Covid : si j’étais Président de la République…

En réaction à l'émergence du nouveau coronavirus (SRAS-CoV-2) de nombreux pays européens ont mis en œuvre des interventions non pharmaceutiques sans précédent : isolement des cas, fermeture des écoles, ouverture des prisons, fermeture des universités, interdiction des rassemblements de masse et/ou des manifestations publiques et, plus récemment, une mise en distance sociale à grande échelle.

Est-ce que ça marche ?

C’est la question à laquelle l’Imperial College of London, se propose de répondre. Celui-là même qui a réussi à faire infléchir la politique du laisser s’infecter jusqu’à l’immunité de horde, de Boris Johnson (ce dernier n’ayant pas hésité à joindre l’acte à la parole en se retrouvant Covid+), en lui faisant miroiter quelques centaines de milliers d’exitus post Brexitus. Schoking !

Du marc de café à la modélisation mathématique

Un modèle hiérarchique bayésien semi-mécanique a été utilisé pour tenter de déduire l'impact de ces interventions dans 11 pays européens, en prenant comme hypothèse que la valeur du taux de reproduction R0 a été dictée par la réponse immédiate à la mise en œuvre de ces interventions plutôt qu’à des changements comportementaux progressifs. Ce modèle estime ces changements en calculant « à rebours » à partir des décès observés dans le temps afin d’estimer la transmission du virus qui s'est produite plusieurs semaines auparavant, en tenant compte du délai entre l'infection et le décès.

L'une des principales hypothèses du modèle est que chaque intervention a eu le même effet sur le taux de reproduction dans les différents pays et au fil du temps, ce qui permet d’agréger beaucoup plus de données, mais également de faire remarquer que les résultats qui vont suivre sont fortement influencés par les données provenant de pays dans lesquels les épidémies sont plus avancées et les interventions plus précoces, comme l'Italie et l'Espagne.

Miroir, au mon beau miroir, que vois-tu ?

Le ralentissement de la croissance des décès quotidiens signalés en Italie correspond à un impact significatif des interventions mises en œuvre plusieurs semaines auparavant. En Italie, le taux de reproduction effectif, Rt, est tombé à près de 1 lors du confinement (11 mars), mais avec un niveau d'incertitude élevé. Dans l'ensemble, les auteurs estiment que les 11 pays ont réussi à réduire leur taux de reproduction avec de larges intervalles de crédibilité et contiennent le chiffre 1 pour les pays qui ont mis en œuvre toutes les interventions.

Cela signifie que le taux de reproduction peut être supérieur ou inférieur à cette valeur.

Entre 21 000 et 120 000 décès évités dans 11 pays d’Europe

Si les interventions actuelles sont maintenues au moins jusqu'à la fin mars, il est estimé que, dans ces 11 pays, elles auront permis d'éviter 59 000 décès jusqu'au 31 mars [intervalle crédible à 95 % : 21 000-120 000], dont 2 500 en France. De nombreux autres décès seront évités si ces 11 pays s'assurent que les interventions sont maintenues jusqu'à ce que la transmission soit réduite à de faibles niveaux.

Trois pour cent des Français (seulement) auraient été infectés

Il est estimé que dans les 11 pays européens, entre 7 et 43 millions de personnes ont été infectées par le CoV-2 du SRAS jusqu'au 28 mars, ce qui représente entre 1,88 % et 11,43 % de la population (un intervalle très large !). La proportion de la population infectée à ce jour (le taux d'attaque) serait la plus élevée en Espagne, suivie de l'Italie, et la plus faible en Allemagne et en Norvège, ce qui reflète les stades relatifs de l'épidémie. En France, elle serait de 3,0 % [1,1 %-7,4 %], soit la bagatelle de 700 000 à 5 millions de nos compatriotes ! Ce qui laisserait présager de beaux jours à l’épidémie.

Quelles sont les limites de ces estimations ?

Étant donné le délai de 2 à 3 semaines entre le moment où les changements de transmission se produisent et celui où leur impact peut être observé dans les tendances de la mortalité, il est trop tôt pour être certain que les interventions les plus récentes ont été efficaces.

En effet, si les interventions dans les pays qui se trouvent à un stade précoce de leur épidémie (Allemagne ou Royaume-Uni), sont plus efficaces ou moins efficaces que celles mises en place dans les pays dans lesquels l'épidémie est avancée (ce sur quoi le modèle de calcul est largement fondé), ou bien si les interventions ont été renforcées ou relâchées au fil du temps, ces estimations du nombre de cas de reproduction et de décès évités changeraient en conséquence.

Enfin, R0, le taux de reproduction de base peut varier au cours du temps et dans l’espace si le taux d’interactions humain-humain et humain-agent infectieux varie (à infectiosité d’un agent pathogène et à durée de contagiosité constantes). De fait, le R0 est presque toujours estimé rétrospectivement à partir de données séro-épidémiologiques après l’épidémie ou en utilisant des modèles mathématiques théoriques.

Si j'étais Président de la République, j'écrirais mes discours en vers et en musique

Et surtout, j’en conclurai, sur la foi de ces tendances :

-    Que les mesures de confinement sauvent vraisemblablement des vies et évitent l’explosion du système de santé hospitalier et notamment des services de réanimation, déjà rudement malmenés, aujourd’hui 3 avril 2020.

-    Que les interventions actuelles doivent être maintenues et que les tendances en matière de nouveaux cas et de décès doivent être étroitement surveillées dans les jours et les semaines à venir pour s’assurer que la transmission du SRAS-Cov-2 ralentit.

-    Que les mesures de confinement se poursuivront vraisemblablement au moins jusqu’à la fin avril en France et en Europe.

PS : cet article n’a pas encore fait l’objet d’une relecture par des pairs.

Dr Bernard-Alex Gaüzère

Référence
Seth Flaxman, Swapnil Mishra, Axel Gandy et coll. Estimating the number of infections and the impact of non-pharmaceutical interventions on COVID-19 in 11 European countries. Imperial College London(30-03-2020) doi:https://doi.org/10.25561/77731

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Vos réactions (3)

  • Nous sommes dans l'incertitude nous aussi

    Le 05 avril 2020

    Voilà de la belle médecine selon les statistiques. Un bel article !

    Reste à se demander ce que font donc les médecins de terrain. C'est chacun selon son expérience pour les anciens, selon les recommandations des statistiques, selon les demandes des malades parfois.

    Ainsi j'ai vu des demandes d'huiles essentielles et des suggestions d'inhalations à l'eau chaude (pas plus pas moins que 54 degrés) et des questions sur un médicament allant directement dans les poumons par vapotage. L'idée est bonne mais que mettre dans cet appareil ?

    Dr JD

  • Confinement et séroconversion...

    Le 06 avril 2020

    Article intéressant bien que très théorique et dont deux chiffres interpellent :
    - d'une part le nombre de 2500 vies sauvées par les mesures drastiques en cours (sans doute bien plus à terme). Bien qu'indispensables sur le plan éthique, il faudra bien dans un an faire le compte de la mortalité induite par le confinement (pathologies induites, défaut de suivi, sédentarisation, violences, troubles psychiatriques sévères) et cela risque d'être très lourd !
    -D'autre par le pourcentage étonnamment faible annoncé des infections de 3 % et donc des séroconversions qui découlerait alors logiquement du confinement et qui suppose (s'il est réaliste), une épidémie prolongée et une mortalité persistante et élevée pour les prochain mois.

    Dr Christian Cusset

  • J'aurais fait fabriquer des masques

    Le 10 avril 2020

    Sauf que d'autres, avec les moyens de protection et la discipline, ont moins de morts et ne ruinent pas leur économie sans fermer leurs écoles ni confiner. Si j'étais président, j'aurais fait fabriquer des masques plutôt que d'expliquer à la population que le virus ne sortirait pas de Chine.

    https://www.bfmtv.com/international/suede-coree-du-sud-taiwan-comment-se-propage-le-coronavirus-dans-les-etats-qui-n-ont-pas-confine-1891223.html

    Dr Serge Rouchet

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