
J’écris ton non
Ce qui fait la force du livre d'Emma Healey est sa capacité à se mettre dans la peau d'un personnage bien éloigné de son quotidien tout en lui instillant son énergie, une façon de se rappeler que les vieux eux aussi ont été jeunes. C'est également l'idée qui fait le sel d'un autre premier roman, celui d’Alexandre Feraga, intitulé simplement « Je n'ai pas toujours été un vieux con ». Ici encore, le jeune écrivain, plutôt que de raconter les états d'âme d'un trentenaire d'aujourd'hui a préféré se glisser dans la peau d'un vieillard, un baroudeur du passé qui se retrouve reclus dans une maison de retraite. Son ressentiment face aux affres du temps et à ce mouroir s'exprime sans détour. « On ne devrait jamais finir ses jours dans des draps en coton souples comme du carton, à suçoter des tuyaux comme des chiards ou à boulotter de la morphine. Je me suis toujours vu ailleurs, agonisant dans un champ de pâquerettes, chialant dans les bras d’une femme, évaporé dans le ciel après un beau feu » proteste par exemple Léon. Le ton est donné, entre humour et sarcasme, le héros et ses compères se battent contre l'enfermement, la maladie et ceux qui oublient trop vite qu'ils n'ont pas toujours été de vieux cons.J’écris ton don
Il n'est pas que les écrivains qui se glissent dans la peau de l’autre tout en s'efforçant de garder une distance indispensable, ceux qui ont fait profession d'aider les autres également. Le personnage d'Helen Hunt, dans le film « The Sessions » diffusé mercredi 18 juin sur Canal + a poussé ce défi (encore un!) assez loin. À l'instar d'Emma Healey et d’Alexandre Feraga qui auraient pu se contenter de prêter leurs voix à la jeunesse, l'héroïne de The Sessions aurait pu se contenter de prêter ses mains à de simples massages relaxant et apaisant. Mais plutôt que de s'en tenir là, elle a choisi d'être assistante sexuelle d'un homme de 38 ans, victime de lourdes séquelles d'une poliomyélite contractée dans l'enfance. Comment se glisse-t-on près de la peau de l'autre en évitant la morsure des sentiments mais sans renoncer à l'amitié ? Peut-on prêter sa peau à une personne handicapée pour lui permettre d'avoir une vie sexuelle sans être taxée de prostitution. Ce sont les questions qui traversent ce beau film qui avait été très remarqué lors de sa sortie l'année dernière.J’écris ton nom
Pour se découvrir, se reconnaître, s'aimer Liberté et Tamil les héros du film indien « Coucou » ne peuvent que se fier à leur peau. Ils sont en effet tous deux aveugles et doivent donc inventer une nouvelle grammaire amoureuse. Cependant, le principal obstacle à leur union ne sera pas ce handicap, mais bien plus certainement la misogynie de Tamil qui accepte difficilement que Liberté, plutôt que de se contenter d’être une sage jeune femme aveugle ait choisi de se lancer le défi de devenir institutrice. Le film poétique et riant raconte donc le cheminement de Tamil vers une autre forme de pensée, qui lui permettra de garder Liberté contre sa peau.Romans :
« L’Oubli », d’Emma Healey, Sonatine Editions, 354 pages, 21 €
« Je n’ai pas toujours été un vieux con », d’Alexandre Feraga, Flammarion, 250 pages, 18 €
Télévision :
Canal +, « The Sessions », mercredi 18 juin, 20h55
Cinéma :
« Coucou » (Cuckoo), de Raju Murugan, sortie le 11 juin 2014, (2h41)
Aurélie Haroche