De la cellule souche pluripotente à l’intestin artificiel
L’intestin, principale interface d’échanges du corps humain avec le
monde externe, possède son propre système nerveux et est considéré
comme notre “second cerveau”. Toute perturbation de son
fonctionnement est susceptible d’entraîner de nombreuses
pathologies. La difficulté est qu’il n’existe aucun modèle
biologique acceptable pour l’étudier chez l’homme. Le seul modèle
existant est la culture de cellules des cryptes, une technique qui
ne permet pas d’inclure le système nerveux entérique.
C’est donc à un triple défi qu’a répondu une équipe mixte de
chercheurs du Cincinnati Children’s Hospital Medical Center
et de l’Inserm* de l’Université de Nantes, à savoir réaliser un
intestin humain à partir de cellules souches pluripotentes, y
introduire un système nerveux entérique et créer un environnement
luminal équivalent à celui que l’on retrouve à l’état naturel chez
l’homme.
Pour comprendre leur protocole de travail, il faut se rappeler
l’embryologie des organes et savoir que c’est l’endoderme qui est à
l’origine des cellules intestinales, un endoderme qui a des
connections directes avec le mésoderme qui génère notamment les
cellules cutanées. Copiant dans les grandes lignes
l’expérimentation animale, les chercheurs ont créé au départ de
cellules souches cutanées pluripotentes un « organoïde »
tridimensionnel dont les propriétés le rendent similaire à un
intestin, c’est-à-dire une forme creuse, une couche polarisée de
cellules épithéliales spécialisées en entérocytes, des cellules
entéroendocrines, des cellules caliciformes et des cellules de
Paneth ; la présence de microvillosités ; la présence de cellules
de la crypte intestinale et une couche de cellules musculaires.
Mais ces tissus intestinaux ne possédaient pas de système nerveux
entérique et ne répondaient donc pas au cahier des charges.
Il fallait concevoir un système nerveux fonctionnel ce qu’ils ont
réalisé en parallèle au départ de cellules de la crête neurale.
“La difficulté de cette étape était d’identifier comment et
quand incorporer les cellules de la crête neurale dans l’intestin
que nous avions créé in vitro” explique Maxime Mahé.
Pratiquement, les chercheurs ont donc créé un endoderme dans
une boîte de culture et un ectoderme dans une autre, puis les ont
rassemblés et constaté que chaque cellule se plaçait dans une
organisation quasi similaire à celle trouvée dans l’embryon sous la
forme d’un sphéroïde creux de 1 à 2 millimètres dont l’intérieur
est nappé de villosités entourées de tissu mésenchymateux et
traversé par des neurones.
In vitro, ce simili-intestin assimile certains sucres et peptides,
mais il lui manquait des enzymes digestives essentielles. Pour les
obtenir, il a été transplanté dans une souris sans défenses
immunitaires où il s’est développé et a acquis les enzymes
manquantes. Les données de l’étude montrent que les tissus
fonctionnent et sont structurés d’une manière remarquablement
similaire à celle d’un intestin humain. Ils se développent et
assurent les fonctions intestinales. Il restait ensuite à rattacher
l’intestin de la souris à ce greffon, pour observer le
développement et le fonctionnement des tissus in vivo et
voir comment les microbes et autres éléments intestinaux
interagiront avec lui.
Des essais concluants qui mènent à plusieurs perspectives de
recherche
Les résultats de ces travaux ouvrent deux grandes perspectives
de recherche. La première est de modéliser et étudier les troubles
intestinaux dans un tissu humain tridimensionnel et fonctionnel, et
ce, avec des cellules souches pluripotentes induites à partir de
cellules de patients. On peut imaginer qu’en utilisant ces
cellules, on pourrait produire des mini-intestins portant des
mutations liées à une maladie digestive, voire étudier sa genèse en
suivant le développement du tissu transplanté chez l’animal, ce qui
a déjà été réalisé in vitro avec des intestins qui présentent une
mutation liée à la maladie de Hirschsprung. La seconde perspective
consistera à tester les nouvelles thérapies sur cet intestin humain
fonctionnel avant de proposer des essais cliniques chez
l’homme.
En attendant, ce mini-intestin peut déjà servir de modèle pour
tester comment des molécules passent cette barrière et ce qu’elles
deviennent.
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