
Paris, le samedi 15 janvier 2022 – L’évocation par Stromae de
ses pensées suicidaires dans son nouvel album pourrait permettre de
briser le tabou du suicide et de sauver des vies, estiment certains
psychiatres.
La scène a fait beaucoup parler et grincer des dents ceux qui
estiment que les journaux télévisés ne se prêtent pas aux
divertissements. Mais ce dimanche 9 janvier sur le plateau du 20h
de TFI, le chanteur belge Stromae n’est pas venu amuser la galerie.
Devant plus de 7 millions de téléspectateurs, il a évoqué ses idées
suicidaires. Interrogé par la journaliste Anne-Claire Coudray sur
les problèmes psychiatriques (il a lui-même évoqué un «
burn-out ») qui le rongent et l’ont éloigné de la sphère
médiatique depuis 2015, le chanteur belge a préféré répondre en
chanson, en interprétant « L’enfer », un titre qui figurera
dans son prochain album Multitude. « J’ai parfois eu des pensées
suicidaires, j’en suis peu fier, on croit parfois que c’est la
seule manière de les faire taire, ces pensées qui me font vivre un
enfer ».
L’OMS fan de Stromae
Plus que les fans de Stromae, qui attendaient une nouvelle
chanson de leur idole depuis 2015, ce sont les médecins qui ont
fait le meilleur accueil au morceau. Pour de nombreux psychiatres,
le fait qu’une célébrité d’une telle importance évoque ses idées
suicidaires peut permettre de lever le tabou autour du suicide,
notamment chez les jeunes, et éviter des passages à l’acte. «
C’est un magnifique cadeau qu’il fait aux psychiatres, mais
surtout à ceux qui sont dans la détresse » a réagit Christophe
Debien, psychiatre à Lille et responsable du déploiement du 3114,
le numéro national de prévention du suicide. « Ce type de
message porté par une star va permettre de libérer la parole »
ajoute son confrère le Dr Pierre Grandgenèvre. « L’impact qu’a
eu Stromae en 3 minutes, je ne l’aurais jamais en une vie de
psychiatre » commente, un brin jaloux, Nicolas Rainteau,
psychiatre à Montpellier.
La performance de Stromae au 20h de TF1 semble avoir fait le
tour du monde. Ce mercredi sur Twitter, le directeur général de
l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) lui-même a réagit à la
nouvelle chanson de l’artiste belge. « Merci Stromae de soulever
le thème difficile du suicide sur votre dernier album, il est si
important de demander de l’aide lorsqu’on souffre et de soutenir
ceux qui ont besoin d’aide » a réagit Tedros
Ghebreyesus.
L’effet Papageno
La démarche du chanteur belge, dont le style particulier a pu
être comparé à celui de Jacques Brel, s’inscrit dans un mouvement
plus global de « libération de la parole » autour de la dépression.
Plusieurs célébrités de renommée internationale telle la chanteuse
Lady Gaga ou la gymnaste professionnel Simon Biles ont récemment
fait part de leurs problèmes psychiatriques et des effets néfastes
que la pression pouvait avoir sur leur équilibre
mental.
Les psychiatres sont d’avis que ces prises de parole par des
célébrités peuvent avoir un effet bénéfique pour la prévention du
suicide. Selon une étude parue dans le BMJ en 2017, la parution de
la chanson 1-800-273-8255 (le numéro de prévention suicide
américain) du rappeur Logic avait provoqué près de 10 000 appels à
ce numéro notamment par des adolescents suicidaires, ce qui
correspondrait à 245 suicides évités. C’est ce qu’on appelle
l’effet Papageno, du nom d’un personnage de l’opéra « La flûte
enchantée » de Mozart. Ne retrouvant plus sa dulcinée, Papageno
songe à se pendre, avant d’en être dissuadée par trois génies, qui
lui conseillent d’utiliser son carillon magique pour retrouver sa
bien-aimée. 230 ans plus tard, la musique continue de sauver des
vies.
Grégoire Griffard