Le personnel de santé est, dans l'exercice de sa profession, exposé à de multiples sources d'allergènes, le gant étant actuellement le principal pourvoyeur d'allergie. L'épidémie de Sida a en effet rendu nécessaire une utilisation massive des gants. Les dermatoses de contact allergiques aux gants peuvent être de deux types : réaction d'hypersensibilité retardée type IV (type eczéma) et les réactions urticariennes immédiates de type 1.
Des eczémas
et des urticaires
La fréquence des eczémas de contact aux gants est de 7%
parmi
le personnel de santé. La derma-tose peut avoir un aspect
classique, limitée aux zones exposées du dos des doigts et de la
main, peut également s'étendre aux avants-bras, avoir un aspect non
spécifique
d'eczéma des mains et même prendre le masque d'une photodermatose.
Les additifs du caoutchouc (anti-oxydants et accélérateurs de la
vulcanisation) sont ici en cause, le mercaptobenzothiazol et
surtout les thiurams étant les agents le plus fréquemment
incriminés. Les explorations se font grâce à des tests épicutanés :
batterie caoutchouc et patch- tests avec un fragment de gants.
L'urticaire de contact provoquée par les protéines du
latex est de description plus récente. Elle toucherait près de 3%
du personnel de santé avec une atteinte plus
importante en salle d'opération (6,2%). Les spécialités à risque
sont la chirurgie, la gynécologie et l'ORL. L'urticaire commence 5
minutes à 1 heure après le port des gants et peut persister pendant
30 mn à 2 heures. Des signes associés peuvent être observés :
rhinite, œdème de Quincke, œdème conjonctival, vertiges. Le
diagnostic peut être confirmé par un prick-test ou un RAST. Le test
"d'utilisation" (port de gants sur une main humide) peut être
dangereux car source de choc anaphylactique. Aussi est-il conseillé
de ne faire le test qu'avec un seul doigt dans un premier temps,
puis en l'absence de réaction, une demi-heure plus tard, le gant
entier pourra être éventuellement testé. L'allergène en cause est
une protéine hydrosoluble issue de l'Hevea brasiliensis,
d'un poids moléculaire supérieur à 30.000 Daltons, sensible à la
trypsine.
De très nombreux autres matériels médicaux contiennent du latex et peuvent être responsables de ce type d'allergie : cathéter, tube d'intubation, masque d'anesthésie, matériel dentaire, canule de lavement. Les médecins doivent connaître la présence de latex dans ces matériels et être prêts à traiter un éventuel choc anaphylactique par allergie au latex.
Des gants de remplacement en cas d'allergie au latex sont disponibles. Les gants en vynil sont dépourvus de risque allergique mais s'usent rapidement et se fissurent, pouvant laisser passer ainsi le VIH. Aussi des gants synthétiques, sans caoutchouc, sont-ils à présent sur le marché (Tactylon®, Elastyren®, etc..). Ils sont à fois sûrs sur le plan allergique et virologique.
Un autre allergène auquel expose le port de gant est la poudre d'amidon utilisée non seulement pour permettre une pose plus facile par l'opérateur, mais aussi pour assurer le démoulage lors de la fabrication. La poudre d'amidon est faite de polysaccharide et d'amidopeptides, auxquels sont ajoutés 1% d'oxyde de magnésium et 1% de phosphate de calcium. Quelques cas d'urticaire de contact allergiques à la poudre d'amidon ont été décrits. Le diagnostic peut être pratiqué par la lecture d'un scratch-test à la poudre d'amidon à la 45e minute.
Il est à noter que la poudre d'amidon pourrait être en cause dans des granulomes péritonéaux et dans des brides.
Dangers de l'antisepsie
Le deuxième grand groupe
d'allergène qui, après les gants, concerne le personnel soignant,
est représenté par les antiseptiques.
Le glutaraldéhyde, utilisé pour la désinfection des endoscopes, est plus souvent à l'origine de dermatose irritative que de dermatose allergique. Des réactions croisées existent avec le formaldéhyde.
La chlorhexidine peut provoquer plusieurs types de réactions : des réactions retardées à type d'eczéma, des réactions immédiates à type d'urticaire de contact ou même de choc anaphylactique ou des réactions mixtes.
La bétadine est rarement allergisante mais plutôt irritante, surtout chez les chirurgiens mettant des gants immédiatement après l'utilisation de cet antiseptique.
L'alcool est bien connu pour être asséchant et irritant, mais en revanche son pouvoir allergisant est largement sous-estimé. L'alcool le plus souvent employé est l'alcool éthylique qui est dénaturé afin de le rendre impropre à la boisson. Il lui est rajouté, pour un usage industriel, de l'alcool méthylique ou de l'acétone à 5%. Pour les alcools des cosmétiques, les additifs sont dépourvus d'odeur et non toxiques. Les alcools entrant dans la composition des parfums contiennent souvent du diéthylphtalate.
Dans le cas d'un usage médical, plus de 40 agents dénaturants peuvent être utilisés. Les plus fréquents sont le tartre stibié, l'acide salicylique, le sulfate de quinine, l'extrait de colchique, la brucine, le quassia (bois de Surinam), le sucrose octa-acétate et l'alcool isopropylique. Parfois seuls des colorants sont ajoutés (bleu de méthylène ou amarante). Des dermatoses de contact peuvent toutefois être provoquées par l'alcool éthylique pur, l'allergie s'étendant dans ce cas aux alcools amyl, butyl, méthyl et isopropylique. La dermatose prend un aspect eczématiforme ou, rarement, celui d'un flush érythémateux ou d'une urticaire de contact aux sites exposés. Des réactions systémiques peuvent être observées après l'ingestion d'alcool chez des sujets préalablement sensibilisés par le contact externe. Il peut s'agir de stomatite aphtoïde extensive, d'urticaire, d'angio-œdème, d'éruption morbiliforme ou de réactivations d'un eczéma pré-existant. Les tests seront pratiqués avec l'alcool non dilué. Deux types de réactions peuvent survenir :
1/ une urticaire de contact immédiate apparaissant dans les 15 mn sous la forme d'un érythème rouge vif avec ou sans papule urticarienne et pouvant persister plus de 2 h,
2/ un eczéma en 24 à 48 h.
Le chlorure de benzalkonium est une ammonium quaternaire cationique détergente utilisée comme désinfectant pré-opératoire ou comme désinfectant des instruments chirurgicaux. Les dermatoses de contact peuvent être observées chez le personnel chargé de la stérilisation des instruments. A noter que le chlorure de benzalkonium est un antiseptique très fréquemment retrouvé dans les collyres ophtalmologiques.
L'hexachlorophène employé pour désinfecter les mains en pré-opératoire provoque surtout une sécheresse cutanée chez les chirurgiens. On peut noter que ce produit est d'un usage très dangereux chez le nourrisson en raison de sa neurotoxicité.
Des orthopédistes exposés
Les ciments acryliques utilisés pour les arthroplasties de hanche sont une cause non négligeable de dermatoses de contact chez les orthopédistes. Les monomères (méthyl méthacrylate) de ce ciment ont la capacité de pénétrer tous les gants, qu'ils soient en caoutchouc ou en vinyl. Afin de prévenir une sensibilisation, on peut conseiller aux orthopédistes d'appliquer le ciment avec une spatule, de porter deux paires de gants de coton plus une paire de gants de caoutchouc et de les enlever aussi rapidement que possible après la manipulation du ciment. Les instruments eux-mêmes doivent être nettoyés aussi rapidement que possible. En plus de sa responsabilité dans les dermatoses de contact, ce ciment acrylique peut induire des paresthésies persistantes. En effet, le monométhylmétacrylate est un solvant très puissant, qui peut pénétrer à travers la peau et provoquer des lésions des fibres nerveuses myélinisées. Les patients chez qui ce ciment acrylique a été posé ne présentent qu'exceptionnellement des allergies à ce composé ; ceci a été attribué à l'absence de cellules de Langherans dans l'acétabulum osseux.
Mais aussi les anatomopathologistes
Le formaldéhyde est un irritant très puissant employé dans les salles d'autopsie, dans les laboratoires d'anapath et dans les unités de dialyse rénale. Quelques cas d'eczémas au formaldéhyde ont été décrits chez des infirmières d'unité d'hémodialyse. En revanche, depuis que le formaldéhyde n'est plus utilisé comme désinfectant, on rencontre de moins en moins d'allergie à ce composant chez les soignants.
Le dernier groupe d'allergène
recensé par Fisher, susceptible
de déterminer une dermatose de contact, est représenté par les
drogues antinéoplasiques. La plupart sont irritantes. Leur
mutagénicité et leur tératogénicité rendent indispensables
l'utilisation de vêtements spéciaux et d'une hotte dans la
préparation de ces produits. La méchlorétamine
(Caryolysine®), antinéoplasique employé en dermatologie,
a provoqué de nombreux eczémas de contact chez des dermatologues
qui appliquaient eux-mêmes ce produit dans le traitement du mycosis
fongoïde. Cette moutarde azotée traverse aisément les gants de
caoutchouc qui ne confèrent ainsi aucune protection. Seuls, d'épais
gants en vinyl pourraient offrir une barrière efficace. *
Fischer A.A. "Allergic contact reactions in health personnel" J. Allergy Clin. Immunol., 1992 ; 90 : 729-738.
Olivier Bayrou