Déterminisme de l’autisme, des interprétations étonnamment différentes

Connu pour ses expériences (très décriées par les défenseurs des animaux) sur un modèle animal de l’autisme consistant à séparer de jeunes singes de leur mère et de leurs congénères, le psychologue universitaire américain Harry Harlow[1] (1905–1981) a reçu en 1958 la visite du psychiatre britannique John Bowlby[2] (1907–1990), promoteur de la théorie de l’attachement[3] et du psychologue austro-américain Bruno Bettelheim[4] (1903–1990), célèbre (mais désormais contesté) pour ses conceptions sur l’autisme, mettant notamment en exergue le concept de Léo Kanner[5] (1894–1981) de « mère-frigidaire » (refrigerator mother) dans le déterminisme de l’autisme.

Revenant sur la rencontre exceptionnelle entre ces trois chercheurs, la revue History of Psychiatry montre que, malgré des « observations similaires sur les singes de Harlow », Bettelheim et Bowlby ont développé des « interprétations étonnamment différentes » de ces expériences. Bettelheim trouvait dans cette absence de mère une confirmation de la notion de « mère-frigidaire, provoquant l’autisme infantile », alors que Bowlby voyait dans ces travaux de Harlow une confirmation du rôle des relations précoces dans l’essor de la socialisation. À la lumière de ces observations, leurs préconisations étaient ainsi opposées pour contrer l’autisme infantile : Bettelheim conseillait de retirer la mère du circuit thérapeutique (puisqu’elle était présumée pathogène), mais Bowlby voulait à l’inverse « l’impliquer dans le traitement. »

Les carences de stimulation précoces, facteur d’aggravation

Les auteurs rappellent qu’Harlow lui-même se montrait très critique à l’égard de Bettelheim, mais évaluait au contraire « positivement le travail de Bowlby. » Si les défenseurs de la cause animale dénoncent  l’aspect pervers de ces travaux sur la séparation mère-enfant, certains les réalisèrent jadis chez des humains ! Sans avoir besoin d’évoquer le « point Godwin » (c’est-à-dire le nazisme)[6], citons un texte (Les Histoires, vers –445 avant J.C)[7] où Hérodote raconte comment Psammétique, un pharaon de l’Égypte antique, voulut savoir quel était le peuple le plus ancien sur la Terre : « Il fit remettre à un berger deux nouveau-nés à élever dans ces conditions : personne ne devant prononcer le moindre mot devant eux, ils resteront seuls dans une cabane, le berger amenant seulement des chèvres pour leur donner du lait. Par ces mesures, Psammétique voulait surprendre le premier mot que prononceraient les enfants, après l’âge des vagissements inarticulés. »

Vraie ou légendaire, cette histoire aurait inspiré au XVIIIème siècle le roi de Prusse Frédéric II : s’interrogeant sur la première langue que parleraient spontanément des enfants (grec, hébreu, araméen...), il aurait réédité la triste « expérience » de Psammétique. À défaut de créer l’autisme (dont la composante neurodéveloppementale paraît aujourd’hui décisive), ces carences de stimulation précoces constituent bien sûr un réel facteur d’aggravation.

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Harry_Harlow
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Bowlby
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Theorie_de_lattachement & https://www.cairn.info/revue-devenir-2007-2-page-151.htm
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Bruno_Bettelheim
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Leo_Kanner
[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Godwin.

Dr Alain Cohen

Référence
Van Rosmalen L et coll.: The nature of love: Harlow, Bowlby and Bettelheim on affectionless mothers. History of Psychiatry 2020, 31(2) 227–231.

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Vos réactions (2)

  • Il y a plusieurs Frederik...

    Le 02 octobre 2020

    Ce n'est évidemment pas de Frederik II de Prusse dont il s'agit, mais de Frederik II de Hohenstauffen, roi de Sicile au Moyen-Age (on lui doit un très beau château en Apulie). Il fit "l'expérience" de manière plus sérieuse que Psammétique, puisque les enfants ne parlèrent pas phéniciens (les nourrices avaient dû être mal surveillées) mais moururent...

    Dr Jean Pierre Huber

  • Rendre à César

    Le 02 octobre 2020

    Merci de votre précision permettant de rendre à "César" ce qui lui appartient. J'avais en effet relevé dans plusieurs sources qu'il s'agissait du Frederick (dit le Grand) qui recevait notamment Voltaire au palais de Sans souci (que le philosophe appelait malicieusement "Cent soucis").

    Dr Alain Cohen

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