De nombreuses personnes, notamment dans la population active, sont en dette chronique de sommeil. Leur temps de sommeil moyen est inférieur à ce dont ils auraient besoin et ils accumulent au fil de la semaine une « dette » de sommeil. Quels effets peut avoir cette dette chronique de sommeil sur leurs capacités intellectuelles ? De précédents travaux ont montré l’existence d’une vulnérabilité attentionnelle, associée aux polymorphismes de certains récepteurs. Mais l’existence d’une vulnérabilité à une dette chronique de sommeil, en fonction des processus cognitifs engagés, reste toutefois incertaine.
Une équipe parisienne (Roco-Paixao L. et coll.) a mené une expérience sur 12 personnes âgées de 20 à 36 ans privées de sommeil selon un protocole précis. Après 2 nuits de sommeil normal, les sujets se voyaient contraints de restreindre leur temps de sommeil pendant 7 nuits, puis bénéficiaient de 5 nuits de récupération. Ils étaient soumis à des tests cognitifs, PVT (test de vigilance psychomotrice) et Go-noGo (testant la réponse/inhibition à certains stimuli) et de maintien de l’éveil à plusieurs étapes du protocole.
Pas de doute: la dette chronique de sommeil altère les processus cognitifs. Le nombre de réponses manquées au test PVT passe de 4 après une nuit de restriction de sommeil à 8 à la fin de la semaine de privation, alors que le pourcentage d’erreurs au Go-noGo passe de 4 % à 8 %. Le test de maintien de l’éveil, quant à lui, montre une diminution du temps de latence, passant de 34,3 minutes au 4è jour de privation à 28,7 minutes au 7ème jour. Après la phase de récupération, le taux de « manqués » reste encore élevé pendant 2 jours au PVT et les erreurs persistent au Go-noGo pendant 3 jours. Le temps de latence à l’endormissement reste diminué pendant 2 jours.
Mais des variations apparaissent si l’on regarde les résultats de manière plus attentive, révélant que la dette de sommeil a des effets différents selon le processus cognitif mis en œuvre. Ainsi, le processus attentionnel est altéré de façon différente selon le moment de la journée, avec un effet matin/soir révélé seulement au PVT. Des variations individuelles apparaissent aussi nettement, révélant l’existence de sujets « vulnérables » et d’autres « résistants». Les manqués au PVT allant de 15±5 pour les vulnérables à 2±1 pour les résistants, et les erreurs au Go-noGo allant de 13±1 à 3±1 selon que le sujet est vulnérable ou résistant. Les auteurs précisent que seuls les sujets vulnérables ont une latence d’endormissement corrélée aux erreurs réalisés dans les tests et ils suggèrent que la vulnérabilité cognitive à une dette de sommeil pourrait être liée aux capacités actives de maintien de l’éveil de chaque individu.
Dr Roseline Péluchon