Dysphorie de genre, ne parlons plus de « patients »

L’Australian & New Zealand Journal of Psychiatry présente dans un éditorial le point de vue de psychiatres de l’hémisphère austral se démarquant d’une « prise de position » du Royal Australian and New Zealand College of Psychiatrists (Collège royal des psychiatres australiens et néo-zélandais, RANZCP) sur la dysphorie de genre.

Se déclarant « profondément préoccupés » par une certaine approche du RANZCP, « inappropriée et préjudiciable », relativement aux personnes transgenre, les auteurs rappellent que « la psychiatrie a joué historiquement un rôle central dans la pathologisation du sujet recherchant l’affirmation médicale du genre » : en d’autres termes, les psychiatres ont contribué à « psychiatriser » la personne assumant (selon la définition officielle) un genre différent de celui qui lui a été assigné à la naissance au vu de ses organes génitaux.

Cette vision « psychiatrisante » a négligé une autre approche, celle du consentement éclairé, sous l’impulsion par le patient (neglecting a patient-led, informed consent approach).

Notons d’ailleurs ce paradoxe : les auteurs continuent à parler de « patient », alors qu’ils critiquent pourtant la démarche classique de « psychiatrisation » du sujet transgenre !

Pathologisation = risque de perpétuer la stigmatisation


Pour les signataires de cet éditorial, définir le vécu transgenre comme « intrinsèquement pathologique » s’oppose ouvertement aux préconisations de l’OMS et d’autres organismes professionnels (notamment l’American Psychiatric Association) indiquant clairement qu’être transgenre ne doit plus être considéré comme « une pathologie. » Et prolonger une « pathologisation des personnes trans » risque de perpétuer leur stigmatisation, jusque dans certains plaidoyers législatifs risquant de faire obstacle à l’affirmation du genre.

 Pour les auteurs, dans la mesure où « être trans n’est plus une pathologie », le rôle des psychiatres devrait se limiter aux seuls problèmes de santé mentale auxquels les personnes transgenres sont confrontées de manière inéquitable, en raison de la stigmatisation, du manque de soutien, de la discrimination et des préjugés.

Seulement se préoccuper de la santé mentale


 Et, résument les auteurs, pour « la majorité des personnes trans de plus de 18 ans souhaitant une intervention hormonale ou chirurgicale d’affirmation du genre », un avis psychiatrique ou psychologique ne semble réellement nécessaire qu’en présence de conditions médicales ou psychiatriques sous-jacentes, susceptibles d’avoir une incidence sur leur capacité à fournir un consentement éclairé.

Cette évaluation (psychologique ou psychiatrique) de la capacité d’une personne transgenre « ne devrait pas être distinguée de celle d’une personne cisgenre souhaitant subir une intervention médicale. » À ce propos, de même que Mr Jourdain faisait de la prose sans le savoir, une personne cisgenre [1] est un sujet pour lequel « le genre ressenti correspond à celui assigné à sa naissance », autrement dit un homme ou une femme « ordinaire », non transgenre...

Dr Alain Cohen

Référence
Sav Zwickl et coll.: The RANZCP position statement on gender dysphoria. Australian & New Zealand Journal of Psychiatry 2022; 56(10): 1217–1218.

Copyright © http://www.jim.fr

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Vos réactions (3)

  • Pauvres de nos.

    Le 13 octobre 2022

    Dépsychiatriser les sujets dysphoriques de genre, pourquoi pas, vu que les psychiatriser n'est guère opérant. Tant qu'à faire dépsychiatrisons tous les dysphoriques de tous les concepts nouveaux que le zèle normalisant jugera bon de dégager, extrayant enfin l'humain de la gangue complexe et paradoxale de son éternelle insatisfaction et de son hypocrisie fondamentale.
    Simplifions, socialisons, normalisons, il ne restera plus à la psychiatrie que la portion congrue qu'en même temps on lui retire, la pseudo neurologie à l'enseigne du joyeux neurodéveloppement.
    Pauvre psychiatrie, et pauvre psychiatre à qui l'on enjoint d'être le le militant sans arrière pensées des fadaises de l'heure. Vous me direz que ça a toujours été le cas, ce qui ne devrait pas nous rassurer. Et si on laissait, aux transidentitaires réels ou supposés la possibilité d'une incertitude, l'espace d'une hésitation, le petit battement d'un doute, plutôt que de les noyer dans les ratiocinations modernes style. "affirmation de genre" pour parler de traitements médicaux et chirurgicaux lourds qu'on s'étonne de voir prescrits à des non-malades.
    Et nos chers collègues antipodistes de se griser de mots et d’idées creuses, par exemple que "le rôle des psychiatres devrait se limiter aux seuls problèmes de santé mentale auxquels les personnes transgenres sont confrontées de manière inéquitable, en raison de la stigmatisation, du manque de soutien, de la discrimination et des préjugés." L'absurdité d'une telle assertion, qui annule toute l'épaisseur humaine des transidentitaires, au même titre que de tous les êtres humains, pulvérise l'idée même qu'un psychiatre puisse être d'une quelconque utilité.

    Dr G Bouquerel

  • Psychiatrie et transgenre

    Le 14 octobre 2022

    L'étape suivante sera, bien entendu, l'obligation de modifier son genre tous les dix ans dans une optique de parité...

    Dr X Bareau

  • Il existe des trans qui regrettent leur transition

    Le 17 octobre 2022

    Autant je suis pour que tout le monde puisse vivre d'une façon qui le rend heureux, ou le plus proche possible de ce que "heureux" puisse être, autant je constate qu'il y a des personnes qui ont fait des interventions médicales, ou des transitions sans interventions, et qui reviennent ensuite en arrière ou souhaitent revenir... ah mais oups ! Pour celles et ceux qui ont été opérés, il n'y a pas de retour en arrière possible !
    Oui oui, il y en a très peu, mais des personnalités influençables qui ont pensé que leurs problèmes venaient de là, alors qu'en fait... ben non. Des connaissances médecins et autres thérapeutes m'ont raconté en avoir eu.
    Donc comme tout dans ce monde, il faut réfléchir, anticiper, peser le pour et le contre, ce que beaucoup ne font pas. Et psychiatriser ou non, cela a des conséquences quel que soit le choix réalisé.
    Je ne dis pas ce que c'est bien de faire ceci ou cela. Juste que quelle que soit la solution retenue, il y aura des inconvénients. Des personnes empêchées de transitionner ou des personnes poussées à transitionner par exemple.
    "Qui suis je ?" semble être un questionnement de plus en plus d'actualité dans notre monde.

    E Teyssieres, pharmacien

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