Ebola: la partie immergée de l'iceberg

L'épidémie d'Ebola d'une exceptionnelle ampleur qui a frappé l'Afrique de l'Ouest depuis mars 2014 est aujourd'hui, semble-t-il, en voie d'extinction dans les 3 pays concernés, Guinée, Libéria et Sierra Leone.

Selon les derniers chiffres de l'OMS, au 12 avril 2015, 25 826 cas ont été recensés et le virus aurait tué 10 704 personnes. Mais il ne s'agit là que des conséquences sanitaires directes de la propagation du virus dans cette région. Car, on le sait, au delà des cas avérés d'infection par ce virus, Ebola a eu un impact très négatif sur la santé des habitants de ces 3 pays.

L'épidémie a en effet totalement désorganisé un système de soins déjà en sous capacité. Directement car de très nombreux membres du personnel soignant en ont été victimes, et que du fait de l'afflux de patients suspects d'Ebola dans les structures sanitaires, beaucoup de centres ont dû être fermés aux autres malades. Mais aussi indirectement puisque les mesures préventives ou thérapeutiques habituellement prises contre d'autres maladies (notamment infectieuses) ont été momentanément abandonnées et que les patients, quelle que soit leur pathologie, ne pouvaient plus être pris en charge, soit parce que les hôpitaux et les centres médicaux étaient fermés, soit parce qu'ils avaient peur de s'y rendre.

Une modélisation du désastre sanitaire

Une équipe de l'Imperial College de Londres a cherché à évaluer de manière la plus précise possible l'impact sanitaire indirect de cette épidémie d'Ebola. Patrick Walker et coll. se sont focalisés sur ses effets sur la transmission du paludisme et sur sa morbi-mortalité, l'objectif étant, au delà de l'épidémiologie, de tenter d'estimer l'efficacité de diverses stratégies préventives possibles contre le paludisme dans ces 3 pays en 2015.

En s'appuyant sur des modèles épidémiologiques complexes et en retenant l'hypothèse de travail d'un arrêt complet de la prise en charge thérapeutique du paludisme deux mois après le début de l'épidémie d'Ebola , Walker et coll., ont pu évaluer à 3,5 millions le nombre de cas de paludisme non traités supplémentaires (par rapport à la situation les années précédentes) qui seraient survenus dans les 3 pays concernés en 2014 du fait de cette épidémie. Cette augmentation de la morbidité palustre en rapport avec la désorganisation des structures de soins aurait entraîné 10 900 décès supplémentaires (soit un nombre équivalent à celui des morts directement causées par le virus Ebola !). A ces décès liés à l'arrêt des traitements, il faut probablement ajouter ceux qui ont été occasionnés par les cas supplémentaires de paludisme occasionnés par la perturbation de la distribution de moustiquaires imprégnés d'insecticides dans les zones touchées. Walker et coll. estiment le nombre de ces décès à 3 900. Même s'il ne s'agit là que d'estimations ayant un intervalle de crédibilité très large basées sur des données épidémiologiques nécessairement imprécises sur l'incidence du paludisme et sur sa mortalité, ces chiffres démontrent que les conséquences sanitaires indirectes de l'épidémie ont été plus importantes que son impact direct d'autant que le paludisme n'est évidemment pas la seule pathologie sur laquelle l'effondrement du système de soins a eu un effet délétère puisqu'il en a été de même avec le suivi des femmes enceintes et des nourrissons et plus généralement avec la prise en charge de toutes les affections médicales et chirurgicales.

Une surmortalité palustre prévisible mais évitable en 2015

Pour aller plus loin Walker et coll. ont essayé d'estimer l'efficacité sur la morbi-mortalité palustre de différentes stratégies pouvant être mises en œuvre en 2015 dans ces 3 pays.

Selon leur évaluation, la distribution de moustiquaires traitées aux insecticides et des traitements de masse de la population par diverses associations d'antipaludéens (dihydroartémisine-pipéraquine ou artésunate-amiodaquine) à intervalle mensuel pourrait sensiblement réduire la sur-morbimortalité palustre prévisible cette année en raison de la désorganisation des systèmes de soins, les résultats attendus étant bien sûr d'autant meilleurs qu'un pourcentage élevé de la population serait concerné (dans l'idéal 70 %) et que les campagnes de traitement de masse débuteraient tôt dans l'année. Ainsi selon ces estimations, la mortalité liée au paludisme dans les 3 pays qui pourrait être spontanément de 46 400 environ cette année (avec un intervalle de crédibilité à 95 % entre 28 900 et 73 000) serait susceptible d'être réduite à 14 000 environ si 6 traitements mensuels de masse par dihydroartémisine-pipéraquine étaient appliqués à 70 % de la population à partir du mois d'avril 2015. De telles actions anti-palustres d'urgence sont actuellement préconisées par l'OMS dans les 3 pays où le système de soins est en cours de reconstruction et seraient effectives en Sierra Leone.

Dr Nicolas Chabert

Référence
Walker P et coll.: Malaria morbidity and mortality in Ebola-affected countries caused by decreased health-care capacity, and the potential effect of mitigation strategies: a modelling analysis. Lancet infectious diseases 2015; publication avancée en ligne le 24 avril (doi: 10.1016/S1473-3099(15)70124-6)

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