
Paris, le 23 octobre 2015 - Les retours d’expérience sont toujours riches en information. Or c’est une tradition française, à l’INSERM, les études anthropologiques sont associées aux interventions scientifiques : c’est ainsi que la réponse française à l’épidémie d’Ebola a inclus la présence de chercheurs dont les analyses ont été utiles sur place, et a posteriori. Le point a été fait lors de la dernière réunion de la Société de Médecine des Voyages à Bayonne. L’épidémie est pour le sociologue, un "évènement" à étudier. On étudie d’une part les représentations de la situation de part et d’autre : un regard croisé Nord/Sud inévitablement lié aux vécus et à l’histoire, en l’occurrence la colonisation mais aussi la "coopération". Ainsi, vue depuis la France et les pays industrialisés, l’épidémie (au moins au début) était une sorte de fatalité due à la culture locale (manger de la viande de brousse, avoir des rites funéraires à risque), ce qui n’est pas faux mais pour le moins réducteur, la suite l’a prouvé très vite.
Traquer pour soigner
Pour les habitants des pays concernés, globalement, le premier apriori c’est de vivre l’arrivée des "blancs" comme une nouvelle colonisation, c’est-à-dire penser qu’ils ne viennent pas pour offrir (leur aide) mais pour prendre à nouveau.
Il faut dire que d’une part, les recommandations des soignants étaient "contre-intuitives" : non seulement on ne doit pas prend soin de l’autre (sinon on tombe malade) mais en plus il faut le "dénoncer" (pour qu’il se fasse soigner). La coercition envers les "résistants à l’hospitalisation" a été vécue (car c’était le cas) comme une violence, et ce d’autant plus que dans certains pays, comme la Guinée, les élites nationales (qui entretiennent encore des rapports privilégiés avec les anciens pays colonisateurs) avaient imposé à une époque de grands mouvements de lutte contre les pratiques ancestrales très mal vécus par la population, qui a donc logiquement vu "revenir" cette politique d’un très mauvais œil. Tout n’a pas été comme ça bien sûr : pour exemple, en Sierra Leone, certains villages se sont mis eux-mêmes en quarantaine, et des femmes ont demandé du matériel de protection pour pouvoir continuer leurs rites funéraires.
Contrer des rumeurs … un peu fondées
Et puis les inégalités de traitement étaient visibles : les expatriés ont eu très vite la prise en charge adéquate, tandis que les systèmes de santé locaux, exsangues du fait de remboursement de dettes (Guinée) ou de guerres et conflits (Sierra Léone, Liberia), n’ont pas facilité l’organisation des soins pour les locaux, tout cela n’a fait que renforcer la défiance des populations.
Médecin Sans Frontière a bien tenté de repérer les rumeurs, mais comment les calmer quand le dispositif était marqué par un certain secret ? Les premiers centres de traitement Ebola étaient fermés, on ne savait pas ce qui s’y passait, on n’y respectait pas certains interdits (hommes/femmes, initiés/non initiés etc), et on en ressortait le plus souvent morts… pas très encourageant. Comment enfin expliquer que, mêmes passés les premiers temps de grande urgence (où la gestion des malades et des morts était impossible), on ait continué à enterrer les gens de façon anonyme ? Autant de phénomènes qui ont creusé les inquiétudes et les rejets et au sujet desquels les réflexions des anthropologues pourraient demain servir à éviter d’autres crises similaires.
Dr Blandine Esquerre