
L'expansion actuelle de l'épidémie de fièvre Ebola qui frappe l'Afrique de l'Ouest depuis quelques mois est un formidable défi pour la communauté médicale internationale.
Défi organisationnel en premier lieu puisque tous les experts s'accordent pour estimer que la lutte contre Ebola passe avant tout sur le terrain par des mesures de détection, d'isolement et de prise en charge des patients, d'identification des sujets contacts et d'éducation des populations sur lesquelles nous revenons dans un autre article.
Défi scientifique et industriel également. Car pour espérer éviter la propagation de nouvelles épidémies dans les années à venir et en limiter la mortalité il faut initier et financer des recherches nécessairement très onéreuses sur une pathologie qui, jusqu'ici, n'avait concerné que des populations limitées en nombre et au très faible pouvoir d'achat ce qui n'en faisait pas une priorité pour les organismes de recherche publique et ne laissait pas espérer un retour sur investissement rapide aux industriels.
Mais aussi défi éthique comme le soulignent deux publications avancées en ligne, quasiment simultanées, du New England Journal of Medicine et du Lancet (1,2).
Plusieurs molécules à l'étude
Face à cette infection à la mortalité extrêmement élevée (elle oscille selon les régions et les estimations entre 30 et 90 %) nous ne disposons pas encore d'un traitement curateur ayant fait la preuve de son efficacité chez l'homme.
De nombreuses pistes thérapeutiques sont aujourd'hui en phase expérimentale.
Le ZMapp est celle qui a le plus focalisé l'attention des médias. Il s'agit d'un mélange de 3 anticorps monoclonaux obtenus par génie génétique dans des cellules de plants de tabac et dirigés contre des glycoprotéines d'enveloppe du virus Ebola. Ce "sérum secret" (comme le désigne certains journaux), développé par la firme Mapp Biopharmaceutical de San Diego (EU), a démontré son intérêt en terme de mortalité lorsqu'il est administré par voie veineuse chez le primate non humain jusqu'à 5 jours après l'infection.
A côté du ZMapp, d'autres approches expérimentales high tech paraissent prometteuses. Il faut citer ici plusieurs molécules qui ont donné des résultats positifs chez le primate non humain ou chez des rongeurs, le TkM-Ebola, un ARN interférent qui cible une ARN polymérase du virus, l'AVI 7537 qui vise la protéine VP24 du virus, le BCX-4430, analogue de l'adénosine...Enfin certains médicaments commercialisés dans d'autres indications et aux effets secondaires connus, comme la chloroquine et l'imatinib ont montré une activité sur le virus in vitro ou chez le rongeur.
Pour tous ces produits se pose donc dans l'urgence la question de leur utilisation sur le terrain en l'absence d'études d'efficacité et, pour la plus part, de tolérance chez l'homme.
Le comité d'éthique de l'OMS (qui ne comporte pas de membres des pays directement concernés actuellement [2]) a tranché le 12 août dernier en autorisant l'usage immédiat de certaines molécules encore au stade expérimental. Si cette décision a permis de "traiter" 3 patients occidentaux par ZMapp, elle ne résout pas, loin s'en faut, toutes les questions.
Faut-il nécessairement des essais cliniques ?
L'usage des médicaments non encore testés chez l'homme doit-il
être limité à des essais cliniques ou peuvent-ils être administrés
à titre compassionnel ? Certains en effet redoutent qu'une
diffusion de tels traitements en dehors d'études cliniques puisse
conduire à des conclusions erronées et contre-productives. En effet
comme le souligne Jesse Goldman (1) faute d'essai comparatif un
traitement totalement inefficace mais toxique pourrait sembler
utile si l'on évalue son intérêt en se référant à des séries
historiques dans les quelles la prise en charge symptomatique
n'était pas optimale. Il en est peut-être ainsi du ZMapp qui a été
prescrit jusqu'ici tardivement chez 3 soignants occidentaux
contaminés (dont deux ont survécu et un est décédé) sans que l'on
puisse dire, malgré l’annonce surmédiatisée de deux guérisons, si
ce traitement a été efficace ou s'il s'agissait d'une évolution
spontanée. Mais à l'inverse peut-on refuser une diffusion
compassionnelle des candidats traitements alors que la létalité de
l'affection est considérable et que les conditions locales se
prêtent très mal à des essais répondant aux règles de bonnes
pratiques ? En ce qui concerne le ZMapp dont les quantités
produites jusqu'ici sont très limitées, la question restera sans
doute encore théorique quelques temps...
Chez qui utiliser des molécules aux stocks limités ?
Essais cliniques ou non, à qui faut-il réserver ces thérapeutiques et faut-il privilégier les soignants contaminés comme cela semble être le cas jusqu'ici ?
Si ces questions ne sont pas vraiment résolues, tous s'accordent pour estimer que le consentement le plus éclairé possible des patients doit être requis, que les autorités sanitaires locales doivent être impliquées dans les décisions, que l'étude de la toxicité éventuelle des produits doit être évaluée en parallèle chez l'homme et que les résultats des essais doivent être portés à la connaissance de la communauté médicale le plus rapidement possible même avec des données intérimaires.
Dr Anastasia Roublev