
Paris, le mercredi 19 novembre 2014 - La situation actuelle dans les pays touchés par le virus Ebola exige d’urgence des traitements efficaces afin de ne plus compter par centaines le nombre de morts en Afrique de l’Ouest. Certains sont peut être pour bientôt, avec un développement sans précédent où se côtoient des essais de haut niveau qu’il faut réinventer avec des résultats au fil de l’eau.
Quand ZMapp et ARN interférents sont encore en production, pour de premiers essais en Afrique priorité est mise sur les antiviraux, plus facilement disponibles et administrés par voie orale, et sur les produits sanguins de malades guéris, dont on a des exemples d’efficacité (1).
Début d’un programme clinique en Afrique de l’Ouest
Dans le cadre d’un partenariat international, trois essais cliniques vont débuter en décembre dans des centres de traitement de Médecins sans frontières, annonçait l’association humanitaire jeudi dernier. Le Pr Denis Malvy (Inserm et CHU de Bordeaux) est le coordinateur principal d’un essai sur le favipiravir lancé à Guéckédou (Guinée forestière). « Il inclura aussi dès que possible des patients du nouveau centre de Macenta géré par la Croix-Rouge », inauguré le 14 novembre, précise Denis Malvy. Parallèlement le Dr Johan van Griensven (Institut de médecine tropicale d’Anvers) pilotera à Conakry un essai évaluant l’impact d’une immunothérapie passive « par du sang total de malades guéris de l’infection puis par du plasma quand il sera disponible », explique l’OMS (2), et le Dr Peter Horby (université d’Oxford) une étude portant sur le brincidofovir dans des centres hors Guinée en cours d’identification.
« De façon à pouvoir mettre en commun nos données et capitaliser des effectifs, les protocoles des trois essais utilisent des méthodes d’analyses et des critères de jugement similaires, le principal étant la survie à 14 jours », souligne Denis Malvy. Il explique que le but actuel n’est pas d’évaluer l’efficacité mais « d’identifier des signaux positifs pour savoir si une molécule expérimentale est crédible ». En commençant début décembre et en incluant la totalité des échantillons « on aura les résultats finaux de cette première phase fin février - début mars », ajoute le Pr Malvy. « Mais notre méthodologie commune inclut des évaluations intermédiaires. Selon leurs résultats l’essai peut être interrompu pour passer à une autre molécule, ou au contraire pour développer le médicament et le tester dans des combinaisons », par exemple d’antiviraux ou d’antiviral et une autre stratégie.
Favipiravir, un signal peut-être pour bientôt
On espère avec le favipiravir « des signaux significatifs sur la mortalité dès 20 ou 40 patients » dans le groupe de patients sur lesquels porte l’analyse principale, ceux « référés extrêmement tôt qui ont un diagnostic rendu positif dans les 48h après le début de l’apparition des symptômes », explique Denis Malvy qui dévoile des éléments du protocole qui sera finalisé cette semaine. Au total cet essai, dont l’Inserm est le promoteur et l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) l’opérateur, pourra inclure 200 patients, 60 dans l’analyse principale et 140 dans les autres groupes (diagnostic au-delà de 48h). Les critères secondaires incluent virémie, marqueurs de biochimie générale et pharmacocinétique du médicament. La dose d’antiviral, supérieure à celle utilisée contre la grippe, est notamment établie par des données in vitro et pharmacocinétiques, et la durée de traitement est de 10 jours avec une dose d’attaque sur 24 h (en cours de publication).
Sur 24,4 M€ débloqués le 23 octobre pour la recherche de vaccins et de traitements contre Ebola, la Commission européenne accorde 2,58 M€ seulement aux projets sur le favipiravir, ce qui promet d’être insuffisant malgré une contribution de l’Inserm. Ceux sur la transfusion bénéficieront de 2,9 M€ et d’un soutien supplémentaire du Wellcome Trust, qui finance le consortium international pour les essais en Afrique, et soutiendra l’essai sur le brincidofovir.
Un deuxième antiviral
En France le brincidofovir (Chimerix), le Zmabs, proche du ZMapp par ses anticorps monoclonaux, et le plasma qualifié biologiquement recueilli chez des convalescents rétablis, complètent aujourd’hui la liste des trois premiers traitements expérimentaux autorisés chez des patients contaminés par le virus Ebola, favipiravir, TKM-Ebola, et Z-Mapp.
La Food and Drug Administration américaine a donné son feu vert le 6 octobre au brincidofovir à titre expérimental, après le Z-Mapp et le TKM-Ebola, puis a autorisé un essai de phase 2. Cette pro-drogue du cidofovir bénéficie de résultats positifs in vitro contre le virus Ebola dans des essais conduits par les Centers for control disease et les Instituts de la santé (NIH) américains, et de données d’innocuité chez l’homme où il est actuellement en phase 3 contre des infections à cytomegalovirus et adenovirus. La structure du cidofovir, antiviral analogue de la cytosine, laquelle s'apparie avec la guanine dans l'ADN comme dans l'ARN, est modifiée par l’addition d’une chaîne lipidique de façon à permettre l’administration orale et à éviter la toxicité rénale. A l’intérieur de la cellule, le brincidofovir redonne naissance au cidofovir, qui, outre son activité contre les virus à ADN, a bénéficié par le passé de résultats prometteurs chez l’animal et de quelques données encourageantes chez l’homme contre la fièvre hémorragique virale (3).
Nous avons déjà évoqué dans nos colonnes le favipiravir/T-705 (Toyama Chemical/Fuji Film/MediVector), développé au Japon contre divers virus à ARN, notamment celui de la grippe. Chez la souris, administré 6 jours post-infection, il est capable d’annuler la virémie et de prévenir la mortalité chez 100% des animaux, lesquels développent des anticorps spécifiques contre la nucléoprotéine virale (4). Les résultats attendus d’un essai américain chez le singe (5) n’ont pas encore été dévoilés publiquement. Il fait aussi l’objet de tests précliniques chez les primates en France, au même titre que des anticorps (sérums de patients rétablis, cocktail de monoclonaux), indiquait Aviesan le 21 octobre.
Dominique Monnier