Entre deux

Paris, le samedi 5 décembre 2015 – Il n’est pas nécessaire d’avoir entendu le bruit des bottes pour les entendre encore. Soixante-dix ans après la fin de la seconde guerre mondiale, les jeunes générations d’artistes demeurent toujours traversées par la nécessité de dire l’indicible : les persécutions, la planification de la mort, l’extermination.  C’est un sujet difficile, plus encore quand se pose la question de la forme, car tant d’autres se sont heurtés au piège du pathétisme ou du mythe. Les auteurs, dessinateurs et cinéastes du jour semblent être parvenus à atteindre cet impossible.

Fêlure

Pour faire le portrait de la peur, Christophe Boltanski, lauréat du Prix Femina pour son roman La cache nous raconte sa famille. La grand-mère, Marie-Elise, lourdement handicapée par la poliomyélite, qui a brisé ses espoirs de devenir médecin, mais qui ne l’a pas empêchée de conduire cette famille avec volonté. Le roman évoque ses longs mois passés à l’hôpital et son refus de laisser voir sa maladie. A ses côtés, le second personnage phare de la famille Boltanski est Etienne, le grand-père, médecin dans les tranchées pendant la première guerre mondiale, juif converti par foi dans les années 20 et qui ne comprendra que longtemps après sa femme, que sa participation à la guerre, son amour pour la patrie ne l’empêcheront pas d’être la cible des persécutions. Ainsi, une grande partie du roman évoque les années où il fut caché au sein de son propre hôtel particulier, dans un "entre deux", une cache. Après la guerre, l’angoisse demeurera la passagère obligée de la vie du praticien et de la maison, soudant cette famille où elle devint presque une force, comme le raconte avec talent l’écrivain.

Droiture

Pour faire le dessin de la haine, Patrice Pena et Fabien Bedouel ont choisi de s’intéresser à un personnage peu connu, le docteur Félix Kersten, médecin d’Himmler. Un premier tome avait déjà permis de découvrir l’inextricable dilemme du praticien : faut-il soigner celui dont on  connaît les cruelles aspirations ? Pour remplir son devoir, Félix Kersten va monnayer ses soins contre la libération de détenus, en tentant de ne pas éveiller les soupçons de son patient sur sa perception de la situation. Dans le second tome, titré Au nom de l’humanité, le polar historique reprend mettant en scène avec acuité le jeu d’équilibriste du médecin qui poursuit son étrange marchandage auprès d’Himmler en parallèle avec un rôle d’espion au service des alliés.

Sépulture

Pour faire le film de la mort, László Nemes dont le film Le Fils de Saul a été couronné de la palme d’or à Cannes s’est inspiré de nombreux écrits sur les camps de concentration, notamment celui du médecin juif Miklos Nyiszli, membre d’un sonderkommando. Son objectif était de s’émanciper de l’imagerie hollywoodienne ou galvaudée de la Shoah pour apporter une photographie nouvelle, démystifiée. Son film, qui répond à cet impératif, suit le combat de Saul qui se bat pour protéger le corps d’un jeune garçon, qu’il pense être celui de son fils, mort sous les coups d’un médecin du camp, afin de lui offrir une véritable sépulture répondant aux rites religieux. Cette course haletante, parallèle à la fomentation d’une révolte au sein du sonderkommando, est filmée au plus près de son personnage principal tandis que l’on devine sans cesse que les images les plus harassantes ne sont pas celles qui sont montrées. Entre le visible et l’indicible.

Roman :

La Cache, de Christophe Boltanski, éditions Stock, 20 euros, 344 pages


Bande dessinée :

 Kersten, médecin d’Himmler. Tome II. Au nom de l’humanité, Patrice Perna et Fabien Bedouel, Glénat, 13,90 euros

Film :

Le fis de Saul, de László Nemes, 4 novembre 2015, 1h47

Aurélie Haroche

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