ESTRO-PROGESTATIFS, UNE SUBTILE SUBSTITUTION

Alors que les estro-progestatifs contraceptifs altèrent le pronostic cardio-vasculaire, la substitution post-ménopausique aurait paradoxalement un effet coronaro-protecteur. En pratique, cela n'a été démontré que pour une substitution par conjugués équins (CE) en monothérapie, habituelle aux USA depuis les années 70. Bien qu'un certain parallélisme existe entre les effets métaboliques des CE et de l'éthinyl-estradiol sur l'équilibre coagulation-fibrinolyse, leur impact global opposé sur le risque vasculaire semblerait pouvoir, au moins pour une part, être mis sur le compte de modifications différentes du métabolisme lipidique.

Une difficulté pour les prescripteurs est venue de la mise évidence d'un accroissement de la fréquence des cancers de l'endomètre sous estrogènes seuls, les contre-indiquant à long terme chez les femmes non hystérectomisées. Jusqu'à tout récemment, on ne disposait d'aucune donnée à grande échelle sur les effets métaboliques des associations estro-progestatives substitutives. Les éléments d'analyse disponibles faisaient même craindre que l'adjonction d'un progestatif n'annule les effets positifs des estrogènes.

Estro-progestatifs, lipides et coagulation

Exploitant les données épidémiologiques de l'"Atherosclerosis Risk in Communities Study", l'équipe de Nabulsi au Minnesota vient de publier une étude rétrospective transversale sur l'impact métabolique d'une substitution post-ménopausique courante sur 1041 femmes ménopausées, comparées à 3 916 témoins non substituées (dont 20% l'ont été dans le passé), appariées sur les principaux facteurs de risque cardio-vasculaires connus. Le traitement substitutif étudié consiste en des CE seuls pour 864 femmes, en association avec l'acétate de médroxy-progestérone (MPA) pour 177 autres.

Un "plus" pour les lipides et la coagulation ?

Quel que soit le paramètre étudié, sa valeur ne sort des intervalles normaux dans aucun groupe. La substitution, quelle qu'elle soit, induit une élévation de 15% du HDL-C, un abaissement de 11% du LDL-C et de 12% de la Lp(a). Le fibrinogène diminue de 5%, l'anti-thrombine III de 4%, et les facteurs VIII et de Willebrand restent inchangés. L'adjonction aux CE du MPA fait disparaître d'une part l'augmentation de 16% des triglycérides (TG) plasmatiques, et d'autre part l'accroissement de 11% du facteur VII et de 6% de la protéine C, observés sous estrogénothérapie seule.

Ainsi, l'association du MPA aux CE ne semble modifier ni qualitativement ni quantitativement les effets connus de ces derniers sur le HDL-C et le LDL-C. L'augmentation du HDL-C est, dans cette étude comme dans la plupart des essais sur les CE seuls, principalement imputable à celle du HDL 2-C (+ 27% versus + 10% pour le HDL3-C). Elle est à rapporter, au moins partiellement, à une inhibition de la voie de retour du cholestérol tissulaire au foie contrôlée par la lipase hépatique. Intervient également une stimulation estrogéno-dépendante de la synthèse hépatique de l'apoprotéine A1 (+ 12%), la résultante de ces modifications, en termes de risque athéromateux, restant à préciser. L'abaissement du LDL-C est liée à l'estrogéno-sensibilité des récepteurs hépatiques des LDL, qui outrepasse leur anabolisme accru sous ce traitement. L'augmentation des TG sous CE, habituellement imputée à l'accroissement de la synthèse hépatique des VLDL, est par contre supprimée par l'adjonction de MPA.

En somme, sur le plan lipidique, l'association du MPA aux CE semble entièrement bénéfique, puisque les effets considérés comme protecteurs contre l'athérosclérose sont maintenus, et l'élévation des TG, facteur limitant potentiel du caractère protecteur de l'élévation du HDL-C, supprimée.

Une balance coagulation-fibrinolyse plutôt respectée

L'estrogénothérapie modifie la plupart des synthèses protéiques hépatiques, altérant potentiellement l'équilibre coagulation-fibrinolyse. Dans cette étude, sont seuls retrouvés une diminution de l'anti-thrombine III, quelle que soit la substitution considérée, et une augmentation du facteur VII et de la protéine C sous CE, que son association au MPA fait disparaître. L'accroissement du facteur VII pourrait être secondaire celui des TG, par stimulation phospho-lipase C-dépendante du complexe du facteur VII sous contrôle des TG.

Sur le plan de l'équilibre coagulation-fibrinolyse, et bien quelle n'annule pas tous les effets potentiellement négatifs des estrogènes seuls, leur association avec le MPA semble n'avoir aucun impact délétère, bien au contraire.

Un domaine de recherche plein d'avenir

L'ensemble de ces résultats très encourageants impose trois réserves, liées à la méthodologie et à des considérations plus fondamentales. Parce qu'elle est rétrospective (recrutement par courrier, plus grand nombre de femmes blanches dans le groupe substitué, absence de prise en considération des antécédents familiaux cardio-vasculaires), un biais de sélection peut s'être introduit dans cette étude, altérant la comparabilité des groupes substitués par rapport aux groupes témoins. Les auteurs ont tenté d'y pallier en étudiant les mêmes paramètres dans deux groupes de risques cardio-vasculaires extrêmes et opposés, et ils y ont retrouvé les mêmes résultats.

Il n'existe à l'heure actuelle aucun paramètre absolu qui permette d'évaluer le risque cardio-vasculaire attaché à un profil métabolique donné, tant dans le domaine lipidique que dans celui, encore moins connu, de la balance coagulation-fibrinolyse. Des taux statiques similaires de divers éléments-clefs de ces métabolismes, peuvent s'observer dans des situations métaboliques différentes, de conséquences potentiellement variables sur le plan cardio-vasculaire. Ainsi, les résultats des premières études épidémiologiques du risque cardio-vasculaire associé aux différents types d'associations estro-progestatives apporteront-ils des éléments essentiels à ce débat.

L'absence d'effet délétère du MPA sur le métabolisme lipidique et la coagulation est probablement en lien avec la modicité de son pouvoir androgénique, comme à des degrés divers pour la progestérone et les prégnanes. On ne peut néanmoins extrapoler les résultats observés avec le MPA aux progestatifs plus fréquemment prescrits en France. Dans le domaine en pleine ampleur de la substitution post-ménopausique, les résultats des études correspondantes, qui restent à faire, sont particulièrement attendus, en raison notamment de l'importance de la morbidité cardiovasculaire.

Pascale Simon

Nabulsi A.A. et coll. : "Association of hormone-replacement therapy with various cardiovascular risk factors in postmenopausal women". New Engl. J. Med., 1993 ; 328, 15 : 1069-1075.

PASCALE SIMON

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