Et si Broca s'était trompé ?

Paul Broca s'est rendu célèbre avec l'étude de patients aphasiques. A la suite notamment de l'analyse histologique du cerveau du patient Leborgne, il a identifié une zone située au pied de la circonvolution frontale qu’il a désignée comme étant l'aire cérébrale responsable de la production du langage. Depuis, tous les manuels de neurologie font de l'aire de Broca une des pierres angulaires de l'organisation du langage. Cette notion académique est cependant en train de souffrir des progrès  de l'aphasiologie.

La plupart des données classiques sont issues de l'observation de patients cérébrolésés. La principales critique que l'on peut faire à cette approche anatomoclinique est d'établir des conclusions à partir de lésions rarement focalisées et de ne pas tenir compte des phénomènes de plasticité induits par ces lésions et la rééducation. L’autre remarque que fait H Duffau est qu’il n’est pas raisonné ici en terme de réseaux à propos desquels l'imagerie fonctionnelle (PETscan, IRMf) a permis de valider un certain nombre d'hypothèses.

Ce neurochirurgien est parti de l’hypothèse que la stimulation des zones cérébrales sur malade éveillé  pouvait permettre d’aborder plus précisément la neurophysiologie du langage. Il a ainsi présenté au cours de ce congrès les résultats de plusieurs années de travaux effectués sur le cerveau de patients éveillés souffrant de tumeur cérébrale. Afin d'effectuer une résection la plus complète possible et minimiser le risque de séquelles, il réalise en effet une cartographie cérébrale peropératoire. Une équipe d'orthophonistes (P Gatignol) note les effets sur le langage induits par la stimulation des aires péritumorales. Ceci a permis notamment de démontrer qu'une stimulation à différents endroits peut entraîner les mêmes symptômes classiquement attribués à l'atteinte de l'aire de Broca.  Ces recherches ont également abouti à définir un réseau ventral occipito-frontal impliqué au niveau sémantique alors qu'un réseau plus dorsal temporo-frontal serait plus impliqué au niveau phonologique.

Alors Broca s'était il trompé? Non, car « son » aire joue bien un rôle important dans la production du langage mais n'est pas la seule à intervenir. Cette approche a des conséquences importantes sur le plan thérapeutique. Il devient possible d'intervenir dans des zones stratégiques car la cartographie traditionnelle est modifiée en raison de la plasticité cérébrale. La résection peut être optimisée si l'on respecte ces réseaux. Cette nouvelle et séduisante stratégie chirurgicale s'est avéré bénéfique en terme fonctionnel et de survie.

Dr Christian Geny

Référence
Duffau H, Gatignol P.Neuroanatomie du langage: évaluation au cours de la chirurgie cérébrale chez le sujet éveillé. Journées de neurologie de langue française. Bordeaux, 23-26 avril 2008.

Copyright

Réagir

Vos réactions (1)

  • Et si Broca s'était trompé ?

    Le 19 mai 2008

    Si Broca s'est (peut-être) trompé, c'est (peut-être) parce que, contrairement à ce qu'écrit le Dr Christian Geny, ce n'est pas une analyse histologique du cerveau du patient Leborgne, mais une étude seulement macroscopique qu'il avait pratiquée. H. Dufau n'est du reste pas le premier à signaler que Broca était trop restrictif dans sa localisation de la "zone du langage" : Pierre Marie l'a étendue à un "quadrilatère" tout en la restreignant à l' "anarthrie" et a engagé à ce sujet au début du 20ème siècle une polémique restée célèbre avec Jules Déjerine.

    Jean-François Foncin

Réagir à cet article