Par le professeur Serge Tisseron*
Paris, le samedi 5 octobre 2013 – Télévisions, ordinateurs, téléphones : les écrans sont souvent désignés comme les premiers responsables de bien des maux touchant nos enfants. Troubles du sommeil, de l’attention ou encore agressivité, les méfaits des nouvelles technologies seraient en effet nombreux si l’on en croit certains spécialistes. Pourtant, les films, les applications et autres jeux vidéo permettent également aux enfants de développer une créativité, une dextérité et une forme d’intelligence dont sont privés beaucoup d’adultes. Par ailleurs, l’omniprésence des écrans dans nos sociétés rend presque impossible (et même iconoclaste) l’idée de les interdire. Aussi, émerge aujourd’hui chez d’autres spécialistes, sans doute mieux connectés aux réalités contemporaines, une autre proposition : apprivoiser les écrans pour mieux les utiliser. C’est la position que nous présente ici le professeur Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, qui réfléchit depuis des années à l’influence des écrans sur nos vies.
Un débat fait régulièrement la une des médias : « Peut-on laisser les enfants devant les écrans ? ». Il a été relancé par un avis de l’Académie des sciences (1), publié en janvier 2013, qui a mis l’accent sur l’indispensable éducation à ce nouveau monde. Quelques chercheurs ont aussitôt protesté en insistant sur la réduction du temps passé devant les écrans plutôt que sur l’éducation aux médias… au risque d’oublier l’éducation. Mais comment nier que les deux soient complémentaires ? Cessons d’opposer une de ces démarches à l’autre et interrogeons nous plutôt sur la meilleure façon de parvenir à ces deux objectifs en même temps. Car les écrans sont souvent utilisés, chacun le sait bien, pour lutter contre la solitude et oublier les difficultés de la vie, exactement comme l’alcool et les médicaments psychotropes. Du coup, la seule réponse possible réside dans la construction de liens différents, à travers des actions ponctuelles et ciblées associant les parents, les pédagogues et les jeunes eux-mêmes.
Face aux écrans aussi, il existe des « bonnes pratiques »
Un nombre croissant de municipalités organisent déjà des « semaines pour apprivoiser les écrans » et des festivals de création adolescente. Allons plus loin. Il faut, autour des écrans, une campagne qui n’exhorte pas seulement chacun à réduire sa consommation d’écrans, mais qui lui offre la possibilité de s’associer à des actions collectives, centrées à la fois sur la réduction des pratiques abrutissantes et sur la découverte et l’encouragement des bonnes pratiques. Une telle campagne intitulée Apprivoiser les écrans et grandir est lancée en octobre, assortie de recommandations précises à destination des parents, des médecins, des pédagogues. Elle est relayée à la fois par des municipalités comme Belfort et Pantin, des entreprises comme Orange et la MAIF, des associations comme la FNEPE et l’AGEEM, des clubs Rotary, l’Enseignement catholique, etc. Des affiches (téléchargeables sur www.eres.com) sont destinées à être placées dans les écoles, les crèches, les PMI, chez les pédiatres, etc. Parallèlement, un site interactif (www.apprivoiserlesecrans.com) est créé afin de constituer un espace pour alimenter les échanges autour des diverses actions visant à réduire le temps d’écran et à l’employer au mieux. Enfin, un ouvrage intitulé 3-6-9-12, Apprivoiser les écrans et grandir, accompagne cette campagne. La règle 3-6-9-12 a en effet été relayée en 2011 par l'Association Française de pédiatrie ambulatoire (AFPA) avant de recevoir le soutien de l'académie des sciences dans son avis du 22 janvier 2013.
Il est urgent de sortir du débat « faut-il réduire le temps d’écran ?» ou bien « faut-il éduquer ?», et de l’orienter sur les moyens concrets à la disposition de chacun pour y parvenir. Or, s’il nous est très difficile, à chacun, de changer nos rapports aux écrans, nous le pouvons tous ensemble. C'est le but de cette campagne. Relayons là partout.