
Paris, le samedi 2 décembre 2017 – Chaque jour, les agents d’Edenis (anciennement ErDF) se heurtent à des refus : partout en France, l’installation du nouveau compteur d’électricité Linky est redoutée.
Alors que certains sont soutenus par leur municipalité, d’autres décident de recourir à leur médecin afin de se faire établir des certificats actant d’une quelconque pathologie qui serait incompatible avec la présence du compteur. Interdits, certains praticiens, pour la tranquillité d’esprit de leur patient, accepteraient de produire ces documents. Pourtant, un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a confirmé l’absence de nocivité du nouveau dispositif.
Afin d’améliorer la connaissance des professionnels de santé sur le fonctionnement de Linky et les rassurer quant à l’absence de danger pour leurs patients et la population en général, les docteurs Thierry Sarrazin, Martine Souques, Leena Korpinen et Jacques Lambrozo nous proposent une mise au point détaillée.
Deux d’entre eux, Martine Souques et Jacques Lambrozo travaillent pour EDF, mais disons tout de suite que le JIM n’a reçu aucun financement de cette entreprise pour publier cet article, qui nous semble participer à une entreprise de démystification nécessaire.
Par les docteurs Thierry Sarrazin1,2, Martine Souques2,3, Leena Korpinen4, Jacques Lambrozo3
Dans le cadre de la loi de transition énergétique (loi n°2015-992 du 17 août 2015) qui vise une meilleure maîtrise de la consommation d'électricité et d'énergie en général, Enedis (anciennement ErDF) prévoit d'installer dans tous les foyers français un compteur communicant appelé compteur Linky qui remplacera le « compteur bleu » (compteur mécanique ou électronique). D'ici 2021, 35 millions de compteurs seront installés. Fin 2017, 8 000 000 seront déjà en place sur l’ensemble du territoire, dont 300 000 depuis 2011.
Cette démarche n'est pas hexagonale, elle est en cours de déploiement ou déjà achevée à la fois outre-Atlantique, aux États-Unis et au Canada mais aussi en Europe chez nos voisins, selon des modalités technologiques qui diffèrent parfois et que nous préciserons.
Les questions posées
« Linky émet des radiofréquences cancérigènes ». « Linky est contre-indiqué quand on porte un pacemaker ». « Il y a des problèmes de sécurité, des incendies avec Linky ». « Les poseurs ne sont pas qualifiés ». « Je vais consommer plus d’électricité avec Linky »… Telles sont les questions qui alimentent les inquiétudes liées à cette nouvelle technologie.
Les choix technologiques qui paraissent nouveaux sont toujours de nature à interroger voire inquiéter. Il est donc nécessaire d’apporter un minimum d’information pour éclairer nos confrères et concitoyens.
En France, comme dans la plupart des autres pays européens (Italie, Espagne, Finlande, Belgique, Luxembourg, …) la technologie choisie est celle des Courants Porteurs en Ligne (CPL) où le signal est transmis via les câbles électriques. Le compteur Linky n’est donc pas, par nature, un équipement radioélectrique. Cependant, des allégations telles qu’« arrêter à distance tous les appareils notamment le ballon d'eau chaude et les radiateurs électriques » peuvent achever de préoccuper.
Dans ce contexte, des manifestations d'intolérance ou d’hyper sensitivité aux champs électromagnétiques sont apparues au travers de certificats médicaux de « contre-indications » à la pose du compteur. Il semble donc nécessaire, devant l'importance d'une action qui concernera à terme tous les foyers de France, de formuler clairement les questions qui inquiètent et d'essayer d'y apporter des réponses validées.
En Amérique du Nord la technologie choisie pour communiquer avec le compteur utilise les radiofréquences, comparables à celle des téléphones portables (900 MHz) [1]. Il en est résulté une opposition d’organisations non gouvernementales arguant des risques sanitaires des radiofréquences, à partir notamment de la classification du CIRC [2, 3] dans laquelle les radiofréquences ont été classées comme cancérogène possible soit en catégorie 2B. Depuis, l'état des connaissances en matière de risques sanitaires des radiofréquences a été actualisé par les expertises de l’Anses en France en octobre 2013 [4] et du SCENHIR en date du 27 janvier 2015 [5] qui font référence.
Comment fonctionne Linky ?
Linky est avant tout un compteur. Il mesure l’électricité
consommée et enregistre cette valeur sous la forme d’index. Il est
intégré dans une chaîne qui comprend trois maillons communiquant
entre eux :
1. le compteur Linky proprement dit, situé chez le client à la
place du compteur actuel et qui mesure périodiquement l'électricité
consommée et enregistre cette valeur ;
2. un concentrateur situé le plus souvent dans les postes de
transformation moyenne tension / basse tension du distributeur
d'électricité Enedis1;
3. un outil de supervision connecté aux autres systèmes
informatiques d'Enedis.
Ces éléments communiquent ensemble par des liaisons sécurisées
garantissant la sûreté des informations échangées :
1. périodiquement, le concentrateur émet un signal vers le
compteur Linky pour vérifier, grâce à un message renvoyé par Linky,
qu'il est bien connecté. Une fois par nuit, le concentrateur
interroge le compteur Linky qui lui renvoie toutes les données de
consommation recueillies pendant la journée. Tous ces échanges
représentent un temps total de transmission de quelques minutes par
jour. Ils sont effectués grâce à la technique des courants porteurs
en ligne CPL décrite ci-après ;
2. le concentrateur transmet ensuite ces données à l'outil de
supervision Enedis via le réseau de téléphonie mobile existant
GPRS2, ce qui peut expliquer une confusion avec les
radiofréquences au domicile du public.
Le fonctionnement du compteur Linky est résumé dans la figure 1.
Figure 1 – Chaine de transmission du système Linky. Source UFE
http://www.observatoire-electricite.fr/Les-compteurs-communicants-une
A quoi sert Linky ?
Pour l’ensemble de la société, le compteur Linky représente la première brique des « smart grids », des réseaux intelligents nécessaires à la transition énergétique. A partir d’une directive européenne (Directive 2009/72/CE) préconisant la généralisation de ce type de compteurs, la loi de transition énergétique en a fait une obligation [6-7]. Sa finalité est notamment de contribuer à la maîtrise de la consommation d'électricité et de permettre d’intégrer au réseau électrique les nouvelles sources d’électricité "verte" (photovoltaïque, éolienne).
Comment Linky communique-il avec le concentrateur ?
Pour l'essentiel il mesure, comme nos compteurs actuels, la
consommation électrique du foyer. Les échanges entre le
concentrateur et le compteur se font par transmission CPL à double
sens, mais à l’initiative du concentrateur. Le concentrateur
interroge le compteur Linky qui lui répond en lui transmettant les
données demandées.
Linky utilise des courants porteurs en ligne (CPL) dont les
fréquences se situent dans une bande réglementée dite CENELEC A
(entre 3 et 95 kHz).
CPL : derrière ce nom un peu étrange, il s’agit d’une technologie ancienne, qui date de 1930 |
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Elle consiste à superposer au courant domestique de 50 Hz un signal de fréquence plus élevée. Sans beaucoup d’applications jusqu’aux années 50, elle est utilisée de longue date puisque les courants porteurs en ligne permettent à nos compteurs de passer du mode jour (tarif Heures Pleines) au mode nuit (tarif Heures Creuses) et vice versa (plus de 11 millions de foyers concernés) ou de transmettre le signal entre l’interphone et la sonnette à l’intérieur d’un logement. On retrouve aussi des applications CPL Haut Débit mais sur des fréquences plus élevées (plusieurs MHz) par exemple pour configurer un réseau informatique sans utiliser ni wifi, ni câble éthernet, ou encore surveiller bébé avec un babyphone/caméra CPL. |
Les CPL transitent par les fils électriques du réseau déjà en place et c’est pendant l'échange entre le concentrateur et le compteur qu’il y a, comme chaque fois que circule un courant électrique, une émission de champ électrique et magnétique.
Il ne s'agit pas d’une nouveauté puisque dès lors qu'un courant électrique circule dans un fil électrique, dès lors que l'on allume une lampe par exemple, il y a émission de champ magnétique de faible intensité et qui décroit très vite avec la distance. Linky transmet, en une fois chaque nuit, la consommation électrique des dernières 24 heures. Le concentrateur, lui, interroge Linky régulièrement au cours des 24 heures pour vérifier que le compteur est toujours intégré au réseau par un "ping" qui signifie « est ce que vous êtes là ? ». Le compteur lui répond par un autre "ping" signifiant « oui, je suis là ». La durée moyenne de ces échanges birectionnels ne dépasse pas quelques minutes en cumulé sur 24 h.
Des valeurs et des comparaisons
Des mesures en situation réelle ont été effectuées, sur des compteurs des deux générations retenues pour le déploiement, pour caractériser les émissions des CPL et en les comparant aux émissions du compteur bleu classique.
Rappelons qu’il existe une recommandation européenne (1999/519/CE) [8-9] qui définit les valeurs de champ électrique et magnétique au-dessous desquelles aucun risque sanitaire n'est avéré pour toute la population, incluant les femmes enceintes, les enfants, les malades et les personnes âgées (tableau I). Les niveaux de cette recommandation ont été régulièrement confirmés par le groupe d’experts européen chargé de la veille scientifique (SCENIHR) [5].
Tableau I : Niveaux de référence en champ magnétique et champ électrique issus de la recommandation européenne 1999/519/CE [8].
Des mesures convergentes
Les ingénieurs d’EDF ont procédé à des mesures près d’un compteur Linky avec émission de CPL en continu. Les résultats, figurant au tableau II, ont été présentés lors de la Conférence internationale des réseaux électrique de distribution (CIRED) en 2015 [10].
*NA : non applicable. En deçà d’une certaine
distance, la mesure du champ électrique ne veut physiquement rien
dire.
Tableau II : Mesures moyenne des champs rayonnés à proximité de
cinq compteurs Linky G1.
L'amplitude des niveaux mesurés est proche du bruit de fond environnemental. Elle n’est détectée qu’à proximité immédiate du compteur, au-delà, le signal émis par le CPL est celui du bruit de fond pour le champ magnétique comme pour le champ électrique, et sans conséquence significative en termes d'exposition supplémentaire.
Afin de se placer dans des conditions environnementales réalistes, des mesures de champ magnétique ont aussi été faites au niveau des têtes de lit où nous passons de six à huit heures pendant le sommeil. Du fait de son niveau très faible, le signal CPL n'est mesurable qu’au contact des fils d'alimentation de la lampe de chevet ou du radioréveil, il est de l’ordre de 0,001 µT c'est-à-dire de celui du bruit de fond. Notons que pour faire ces mesures, le compteur a été "forcé" pour émettre le signal CPL en continu, ce qui ne correspond pas à la réalité quotidienne puisque l’émission CPL dure moins d’1 minute par jour comme évoqué précédemment.
L’ANFR3 a également fait des mesures sur deux
compteurs, un de 1ère génération et un de 3ème génération, avec et
sans le fonctionnement CPL. Des mesures ont été réalisées dans les
mêmes conditions avec un compteur bleu classique. Une distance de
20 cm a été retenue pour évaluer la conformité des niveaux de
champs électromagnétiques vis-à-vis des valeurs limites
réglementaires, comme prescrit dans la norme de mesure des champs.
Les résultats des mesures de champ maximum, additionnant le champ
induit par le courant domestique 50 Hz et celui induit par le CPL,
faites face aux compteurs sont présentés au tableau III. Le champ
électrique et le champ magnétique sont très inférieurs aux limites
de la recommandation européenne, la composante CPL ne modifie pas
sensiblement le rayonnement électromagnétique mesurable (avec des
appareils de mesure professionnels très sensibles) au niveau du
compteur.
« En pratique, l’exposition spécifique liée à l’usage du CPL
apparaît très faible et les transmissions sont brèves : moins d’une
minute chaque nuit pour la collecte des informations de
consommation et des impulsions périodiques de surveillance du
réseau, d’une durée de l’ordre d’un dixième de seconde. Les faibles
niveaux d’exposition diminuent très vite dès qu’on s’éloigne du
compteur et deviennent difficilement mesurables. La transmission
CPL n’accroît ainsi pas significativement le niveau de champ
électromagnétique ambiant. » [11-12]
Tableau III : Mesures maximales des champs
rayonnés à proximité de compteurs bleu, Linky G1 et G3.
Au total, les niveaux mesurés des émissions CPL du compteur Linky sont, au maximum, 1000 fois plus faibles que le niveau de référence du champ magnétique dans la recommandation européenne et 800 fois plus faibles pour le champ électrique.
A titre de comparaison, voici le champ électrique émis par des objets de la vie courante (figure 2).
Figure 2 : champ électrique émis par des objets de la vie courante. Source ANFR et CSTB
Linky ne contribuera pas à modifier l'environnement électromagnétique domestique.
Et la santé dans tout cela ?
Il n’y a pas d’étude scientifique particulière sur l’impact sur la santé des compteurs Linky, et il n’y en aura pas car l’exposition engendrée est trop faible en termes d’intensité et trop courte en termes de durée. En fait, Linky produit sur le circuit électrique des signaux transitoires dit « haute-fréquence » (par rapport au courant 50 Hz), tout comme la mise en route d’appareils électriques domestiques. Il n’y a pas de données suggérant que l’exposition à ces courants transitoires haute-fréquence puisse affecter la santé.
L’exposition aux champs électromagnétiques a été régulée pour le public par la recommandation européenne de 1999 (et régulièrement revalidée par les comités d’experts de la Commission européenne) et, pour les travailleurs par la directive 2013/35/UE. L’objectif visé est d’éviter, pour les radiofréquences, un effet thermique qui puisse être délétère pour les tissus et, pour les basses fréquences, un effet d’excitation sous l’effet des courants induits de la rétine générateur de magnétophosphènes, du cœur et des nerfs périphériques. Les émissions dues au fonctionnement du compteur respectent les valeurs réglementaires. L’Anses a rendu son avis le 15 décembre dernier : « Les campagnes de mesure ayant étudié les intensités des champs électromagnétiques émis par les communications CPL, à proximité des compteurs ou au voisinage des câbles électriques dans des habitations, ont mis en évidence des niveaux très faibles, comparables à ceux émis par les dispositifs électriques ou électroniques domestiques (lampes fluo-compactes, chargeurs d’appareils multimédia, écrans, table à induction etc.). […] Les conclusions de l’agence, dans la configuration de déploiement actuelle […], vont dans le sens d’une très faible probabilité que l’exposition aux champs électromagnétiques émis, aussi bien pour les compteurs communicants radioélectriques [ndlr : gaz et eau] que pour les autres (CPL), puisse engendrer des effets sanitaires à court ou long terme. »
Les autres questions :
Un risque d'incendie a été rapporté.
Il est dû à un défaut de serrage des vis, ce qui est comparable à la situation de nos compteurs actuels. Comme pour tout compteur ou prise électrique, un défaut de serrage des contacteurs peut entrainer un court-circuit, avec un risque de départ de feu. C’est même la principale cause d’incendie domestique. Le retour d’expérience a fait que ce risque a été pris en compte par un renforcement des consignes de pose des compteurs depuis fin 2015.
Des perturbations des installations domotiques suite à la pose
de compteurs Linky ont également été signalées. Il s’agit de
problèmes de compatibilité électromagnétique avec les autres
appareils électriques. Bien que la technologie CPL de Linky soit
"encadrée" par une norme européenne, certains de nos appareils
électriques du quotidien ne la prennent pas en compte et peuvent
donc être ponctuellement affectés par les signaux CPL. Il peut
aussi s’agir simplement de la mise en sécurité de certains
appareils (plaque à induction, sèche-linge par exemple) après la
coupure de courant nécessaire pour changer le compteur.
Aussi, le retour d'expérience devra être soigneusement analysé et
exploité.
En pratique : les courants porteurs en ligne (CPL) qui permettent au concentrateur de "dialoguer" avec le compteur Linky ne sont pas une nouvelle technologie qui pourrait focaliser, alors à juste titre, des interrogations et même des inquiétudes. Ils sont déjà à l'œuvre sur le compteur bleu de la génération précédente mais les fréquences d'utilisation et les protocoles de communication ont évolué.
Il ne s'agit pas de radiofréquences comme celles de la téléphonie mobile, du Wifi, ou encore du téléphone sans fil.
Un compteur Linky n’est pas une antenne, il n’émet pas de rayonnement intentionnel, a un rayonnement électromagnétique faible qui décroit très vite quand on s’en éloigne.
Leur contribution à l'environnement électromagnétique n’est pas significative à la fois en termes d'émission et, de ce fait, en termes de conséquences sanitaires éventuelles.
Les compteurs communicants radioélectriques |
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En France, d’autres compteurs communicants sont en cours de
déploiement : pour l’eau et pour le gaz. Le compteur de gaz
(Gazpar) et certains compteurs d’eau sont équipés d’un module radio
fonctionnant soit dans la bande de fréquence à 169 MHz soit dans la
bande de fréquence 868-870 MHz. |
Sources de financement : aucune
TS et LK déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. MS et JL travaillent à EDF.
1- Service de Physique médicale, Centre Oscar Lambret, 3 rue
Frédéric Combemale, B.P. 307, 59020 Lille Cedex
2 - Société française de radioprotection, SFRP, BP 72, F 92263
Fontenay aux Roses Cedex
3 - Service des Etudes Médicales d’EDF, 45 rue Kléber, 92300
Levallois-Perret
4 - Clinical Physiology and Neurophysiology Unit, North Karelia
Central Hospital, Tikkamäentie 16, FIN-80210 Joensuu, Finland
Adresse de correspondance : Dr Martine Souques. Service des Etudes
Médicales d’EDF, 45 rue Kléber, 92300 Levallois-Perret. martine.souques@edf.fr
1- http://www.enedis.fr/
2- https://fr.wikipedia.org/wiki/General_Packet_Radio_Service
3- Agence nationale des fréquences : Les fréquences
radioélectriques appartiennent au domaine public de l'État.
Celui-ci a confié à l'Agence nationale des fréquences des missions
de planification, de gestion de l’implantation des émetteurs, de
contrôle et enfin de délivrance de certaines autorisations et
certificats radio.