L'herpès génital, à côté des primo-infections bruyantes ou des récurrences typiques avec leur bouquet de vésicules, donne lieu à de nombreuses formes atypiques ou même asymptomatiques. Le prélèvement viral pour mise en culture est coûteux et peu sensible. Les techniques de diagnostic par IF directe ou amplification par PCR de l'ADN viral sont rarement disponibles.
De plus, la sérologie classique ne distingue pas HSVl de HSV2 et n'apporte guère d'information que lorsqu'elle est négative, puisque 80 % des adultes ont des anticorps contre HSV dans les pays développés. Une intéressante étude portant sur près de 800 femmes, tirées au sort parmi les consultantes d'une clinique de MST, a comparé les performances de la clinique, de la culture virale et de la sérologie en Western-blot, qui permet de différencier les types 1 et 2, dans le diagnostic de l'herpès génital.
Jeunes et insouciantes
Ces femmes, âgées de 25 ans en moyenne, non enceintes, célibataires pour la plupart, n'avaient, dans 9 cas sur 10, pas recours aux préservatifs. Deux pour cent étaient bisexuelles. Quarante pour cent avaient des rapports génito-anaux. Les prélèvements microbiologiques systématiques à la recherche des principaux agents de MST ont retrouvé 15 % de Chlamydiae, 14 % de gonocoques, 0,5 % de syphilis sérologiques, mais pas d'autres infections.
Un groupe en somme guère plus "à risque" que la moyenne de la population sexuellement active (hélas).
Quarante-huit pour cent d'infections HSV
La moitié d'entre elles avaient soit une recherche de virus, soit une sérologie HSV2 positive. Sur ces 372 patientes, 82 (22 %) présentaient des signes cliniques : 44 primo-infections (PI) et 38 récurrences. Le prélèvement viral était positif chez 14 consultantes asymptomatiques (38 %). Les 276 autres avaient seulement une sérologie positive à HSV2. Moins du quart se connaissaient des antécédents d'herpès.
En tout, 66 femmes avaient un prélèvement viral positif, dont 57 à HSV2. Si les organes génitaux externes et le col utérin restaient les sites de prélèvement les plus rentables (respectivement 39 % et 34 % de positivité), d'autres points comme les voies urinaires (27 %) ou le canal anal (26 %) méritaient d'être prélevés systématiquement et étaient parfois le seul endroit où l'on trouvait le virus.
Lésions vulvaires ulcérées ou atypiques
Les lésions génitales externes à type de vésicules, pustules ou ulcères, présentes chez 83 patientes, pouvaient, dans 85 % des cas, être rapportées à l'herpès, que le prélèvement viral soit positif au niveau de la lésion (60 %) ou en un autre endroit (15 %) ou bien encore négatif dans un contexte clinique et sérologique de PI herpétique (10 %). Les 15 % restants n'ont pu être rapportés à une cause définie.
Des lésions vulvaires atypiques (fissure, rougeur, induration inflammatoire ou excoriation) existaient chez 48 patientes. Dans 4 cas d'érythème simple, l de fissure et 1 de pseudo-furoncle, le prélèvement viral était positif sur la lésion et sur au moins 1 autre site de prélèvement (12,5 % des lésions atypiques).
Quatre de ces patientes sur 6 avaient un profil sérologique de primo-infection.
Ulcérations du col
Trente-trois consultantes étaient porteuses d'une lésion nécrotique ou d'une ulcération patente du col (23) ou encore de micro-ulcérations visibles au colposcope (l0). Quatre-vingt-huit pour cent de ces lésions se sont avérées d'origine herpétique certaine ou probable (culture positive localement : 66 %, ou à un autre endroit : 12 %, ou négatives avec un profil sérologique de PI : 9 %). Le frottis cervical indiquait une infection herpétique chez 2/3 des patientes ayant un prélèvement viral positif et un peu plus de 1 % de celles avec prélèvement négatif. Bonne spécificité donc, mais sensibilité médiocre.
Lésions ano-rectales
La symptomatologie ano-rectale était rarement au premier plan. Onze des 26 patientes, dont le prélèvement ano-rectal était positif, avaient des symptômes : ulcérations dans 5 cas, douleurs ou écoulement dans 6, contre une prévalence de ces symptômes de 8 % chez les femmes dont le prélèvement ano-rectal était négatif. La plupart des cas de production ano-rectale du virus étaient des PI, plus souvent génitales qu'ano-rectales, et le virus était retrouvé à de multiples sites de prélèvement dans 18 des 26 cas. Un petit nombre était, au contraire des récurrences, symptomatique ou non. Il n'est pas apparu de lien statistique entre la pratique de la sodomie et l'incidence de l'herpès ano-rectal.
Herpès génital HSV1
HSVl n'a été isolé au niveau génito-urinaire ou anal que dans 9 cas : 5 PI, une récurrence, 3 excrétions asymptomatiques urinaires associées à un profil sérologique de PI latente.
HSVl montrait une nette prédilection pour les voies urinaires (8 des 9 isolats) par rapport à HSV2 (19/57). L'inoculation de l'urètre pourrait être consécutive aux contacts oro-génitaux.
Prélèvement ou sérodiagnostic ?
L'interrogatoire et la clinique n'ont guère été sensibles. Un antécédent d'ulcération génitale était signalé par 61 % des patientes ayant une récurrence herpétique, 29 % des excrétrices asymptomatiques, 22 % des femmes avec un herpès latent ayant seulement des anticorps anti-HSV2 et 7 % des patientes vironégatives, séronégatives et indemnes de signes cliniques. Les signes cliniques les plus fréquents lors des primo-infections étaient une dysurie (80 %), des ulcérations vulvaires (71 %), des adénopathies douloureuses (66 %) ou une ulcération du col (46 % alors que ce signe était très rare dans les récurrences). Deux tiers des patientes n'avaient ni signes cliniques, ni antécédent, alors que la virologie (4 %) ou la sérologie HSV2 (96 %) était positive. L'isolement par culture virale était le meilleur examen pour confirmer le diagnostic dans une PI. Le prélèvement des organes génitaux externes était positif dans 59 % des cas, celui du col dans 55 % des cas. Si on multipliait les sites de prélèvement en incluant l'urètre, la marge et le canal anal, la positivité atteignait 77 % des primo-infections. On peut réduire le coût de ces prélèvements multiples en les inoculant tous sur le même milieu de culture. La séroconversion ne fournit dans la PI qu'un diagnostic rétrospectif. IF directe et PCR restent à évaluer.
Dans l'herpès récurrent, le prélèvement viral n'était positif que dans 34 % des cas. La sérologie HSV2 était toujours positive et permettait le diagnostic par argument de fréquence, si la clinique était compatible et si l'on avait éliminé les autres causes d'ulcérations génitales. Cela n'est bien sûr vrai que dans une population analogue à celle-ci, où la syphilis est très rare, le bacille de Ducrey rencontré dans moins de 1 cas sur l 000, alors que l'on sait que ce dernier cause à peu près autant d'ulcérations génitales que l'herpès dans certains pays d'Afrique ou d'Extrême-Orient.
Prophylaxie
Aux Etats-Unis, l'épidémie actuelle d'herpès génital est une préoccupation majeure pour le corps médical et l'opinion publique. Comment briser la chaîne de transmission quand on constate que seulement un bon tiers des sujets porteurs de HSV2 a des antécédents parlants ou des lésions cliniques, que celles-ci sont souvent trompeuses, et que l'excrétion asymptomatique est fréquente, quoique trop intermittente pour être identifiée à moins de prélèvements répétés ?
Les auteurs proposent de rechercher en routine les anticorps anti-HSV2 dans les groupes à risque afin de pouvoir "conseiller" les porteuses du virus.
Ils sont moins clairs sur la délimitation de la population à risque, et surtout sur le contenu dudit conseil. L'aciclovir pour tous, semble un peu dispendieux et on peut s'attendre à une compliance médiocre. L'herpès sera-t-il une incitation suffisante au "safer sex" pour ceux que le SIDA ne fait pas réfléchir ?
François Blanc
Koutsky L. A. et coll. : "Underdiagnosis of genital herpes by current clinical and viral isolation procedures". New Engl. J. Med., 1992 ; 326 : 1533-1539.
BLANC FRANCOIS