ITK chez l’enfant : état des lieux

La leucémie myéloïde chronique (LMC) est extrêmement rare chez l’enfant : 1 cas pour un million/an chez les moins de 15 ans et 2 cas pour un million/an dans la tranche d’âge de 15 à 20 ans. En France, 100 cas de LMC pédiatrique ont été rapportés (dont 55 garçons) sur 15 ans (0,6 cas par million et par an) avec une incidence qui augmente avec l’âge dans le Registre National des Hémopathies Malignes de l’Enfant.

La LMC de l’enfant diffère de celle de l’adulte sur plusieurs points : le sex ratio est de 1,5 garçons pour une fille (1), la médiane de leucocytes est beaucoup plus élevée (1) et il n’existe pas d’index pronostique validé comme chez l’adulte. De plus, comme l’a montré le travail de Adler et coll. (2), la répartition des transcrits semble également différente chez l’enfant comparativement à l’adulte (b2a2+ b3a2 : 26 % ; b2a2 : 38 % ; b3a2 : 36 %) mais ceci reste à confirmer.

Résultats de la greffe de cellules souches hématopoïétiques

La greffe de cellules souches hématopoïétiques, technique en perpétuelle évolution, représente le seul traitement curatif mais peu de publications individualisent les cas pédiatriques.

Dans la série de l’EBMT 1985/2001 (European Group for Blood and Marrow Transplantation), 314 enfants ayant une LMC (Ph+) ont bénéficié d’une greffe de cellules souches hématopoïétiques. La survie globale à 3 ans et la survie sans leucémie étaient respectivement de 66 et de 55 %, avec de meilleurs résultats chez les enfants en phase chronique par rapport aux phases avancées, et chez les greffés avec des apparentés HLA (75 et 63 % respectivement). En revanche, les rechutes étaient moins fréquentes en cas de greffe avec un donneur non apparenté qu’avec un donneur apparenté (3).

Avant de présenter une revue de la littérature sur l’imatinib chez l’enfant atteint de LMC, A. Baruchel a rappelé les indications actuelles de cette molécule dans cette affection (monographie du Vidal 2007). « L’imatinib est indiquée chez des patients adultes et enfants atteints de LMC chromosome Philadelphie (BCR-ABL) positive (Ph+) nouvellement diagnostiquée lorsque la greffe de moelle osseuse ne peut être envisagée comme un traitement de première intention, et chez des patients adultes et enfants atteints de LMC Ph+ en phase chronique après échec du traitement par l'interféron alpha, ou en phase accélérée ou en crise blastique. »

Quelle expérience des ITK chez l’enfant ?

La première étude sur l’imatinib chez l’enfant a été publiée par le Children Oncology Group (4). Cet essai de phase I a été conduit chez 31 enfants d’âge médian de 14 ans dont 14 présentaient une LMC phase chronique, et 6, une LMC phase blastique. Les effets secondaires rapportés sont ceux connus chez l’adulte : nausées, vomissements, crampes, toxicité hématologique. Une étude pharmacocinétique a pu être réalisée chez 22 de ces enfants. Il en ressort qu’une posologie de 400 mg d’imatinib par jour chez l’adulte et de 300 mg/m2 chez l’enfant permettent d’obtenir une aire sous la courbe équivalente. Chez les enfants ayant une LMC phase chronique résistants ou intolérants à l’interféron, l’imatinib s’est avéré très efficace avec 100 % de réponse hématologique complète (RHC) (n=14/14), et 83 % de réponse cytogénétique complète (RCyC) (n=10/12).

Un essai comparable de phase 2 a été mené à l’échelle européenne dans 8 pays et 23 centres (5). Trente enfants d’âge médian de 13 ans ont reçu une dose médiane de 290 mg/m2/j avec un suivi médian de 12 mois. Parmi ces jeunes patients, 4 étaient en phase avancée de novo (n=4), 13 avaient été traités antérieurement sans succès par interféron (résistance hématologique ou cytogénétique, rechute ou intolérance) et 13 avaient présenté une rechute hématologique, cytogénétique ou moléculaire après greffe allogénique de cellules souches hématopoïétiques (allo-SCH). Comme dans le travail américain, la toxicité était comparable à celle rapportée chez l’adulte. Les toxicités de grade 3/4 étaient principalement hématologiques (n=6), mais aussi non hématologiques (n=2) dont une élévation des transaminases et une infection. Chez les 22 enfants atteints d’une LMC phase chronique, les taux de RHC, de RCyC, et les réponses moléculaires étaient respectivement de 80, 60 et 50 % et la survie était de 89 %.

Concernant les ITK de seconde génération, une étude est en cours avec le dasatinib chez des enfants résistants ou intolérants à l’imatinib (en phase chronique ou avancée) et des enfants atteints de leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) (Ph+/Ph-) ou LAM en rechute (6). Les doses de début étaient de 60 mg/m2. Selon des résultats préliminaires chez les 6 enfants ayant une LMC phase chronique, 3 ont présenté une RHC, 2 une RCyC et 1 une réponse cytogénétique partielle (6)

Quid de la sécurité à long terme ?

La question de la sécurité à long terme des ITK chez l’enfant reste entière. En particulier, après la publication de l’observation d’un enfant traité durant 53 mois par imatinib qui a présenté une réduction de la densité osseuse, un ralentissement de la courbe de croissance, une gynécomastie et un possible retentissement sur la spermatogenèse (rapport inhibine B/FSH diminué) (7). Il est également légitime de s’interroger sur les répercussions éventuelles à long terme des ITK sur le développement cardiaque des enfants.

De nombreuses interrogations et quelques certitudes

La question des risques immédiats et à long terme d’une greffe allogénique de cellules souches hématopoïétiques (allo-SCH), comparativement à ceux d’un traitement non curatif par inhibiteur de tyrosine kinase (ITK), se pose actuellement. Les jeunes patients de moins de 18 ans doivent-ils bénéficier d’un traitement par imatinib ou d’une allogreffe ? La discussion est en cours. En cas de donneur HLA géno-identique au diagnostic, la plupart des pédiatres recommandent encore l’allogreffe. On s’interroge aujourd’hui sur l’intérêt de prescrire de l’imatinib avant la greffe pour diminuer les taux de rechute, et combien de temps ?

S’il n’existe pas de donneur HLA géno-identique, l’imatinib est prescrit à la dose de 300 mg/m2.

- en cas de non obtention de RCyC à 12 mois (ou même d’une réponse moléculaire majeure), se discute l’essai d’un autre ITK ou d’une greffe avec un donneur non apparenté après recherche du statut mutationnel et des taux sanguins résiduels d’imatinib.
- en cas de réponse moléculaire satisfaisante sous imatinib, cas le plus fréquent, la conduite à tenir est à l’heure actuelle, là encore, largement débattue : faut-il continuer l’imatinib en acceptant les toxicités potentielles à moyen et long terme ou accepter les risques et séquelles d’une allo-greffe non géno-identique?  

Etudes et registre à venir

Un groupe européen présidé par F. Millot (France) a été mis en place afin de tenter d’apporter de réponses à toutes ces questions. Un essai français de phase IV d’imatinib ayant inclus 40 patients est actuellement clos et en cours d’analyse. Un essai de phase I-II est en cours avec le dasatinib et une étude de phase I-II pourrait débuter avec le nilotinib. De plus, un registre de suivi à long terme des enfants traités par ITK va être mis en place avec l’aide des laboratoires Novartis  (Poitiers, Dr J. Guilhot).

LAL à chromosome Philadelphie

Il s’agit d’une entité très rare également (3 % des LAL de lignée B de l’enfant) et jusqu’ici très grave. A. Baruchel a souligné les résultats préliminaires extrêmement prometteurs d’un essai américain obtenus avec l’imatinib en association avec la chimiothérapie chez les enfants porteurs d’une LAL Ph+ (trial COG- ALL0031). Les patients exposés en continu à l’imatinib après obtention de la rémission complète (cohorte 5) ont une survie sans événement à 2 ans de 84,7 % (alors que dans les séries historiques, celle-ci n’était de 37 %) (8).

Au total : l’imatinib est efficace et bien toléré, au moins à court terme, chez l’enfant et l’adolescent atteints de LMC. Les taux de réponse hématologique et cytogénétique sont comparables à ceux obtenus chez l’adulte. Mais de nombreuses inconnues persistent encore. D’où la nécessité d’essais cliniques supplémentaires.

Dr Laurence Houdouin

Références
Baruchel A : ITK chez l’enfant. Congrès de la Société Française d’Hématologie (Paris) : 19-21 mars 2009.


(1) Millot et coll. Pediatrics 2005 ; 116 (1) : 140-3.
(2) Adler et coll. Eur J Haematol 2009 ; 82 : 112-8.
(3) Cwynarski et coll. Blood 2003 ; 102 (4) : 1224-1231.
(4) Champagne et coll. Blood 2004 ; 104 (9) : 2655-2660.
(5) Millot et coll. Leukemia 2006 ; 20 (2) : 187 -92..
(6) Zwaan et coll. Blood ASH 2007.
(7) Mariani et coll. Lancet 2008 ; 372 (9633) : 111-2.
(8) Shultz K et coll. ASH 2007.

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