La chromomycose

O. BOUDGHENE STAMBOULI,

Responsable de l’enseignement des Maladies cutanées, Faculté de Médecine Tlemcen, Service de dermatologie, CHU Tlemcen, Algérie

La chromomycose est une dermatose chronique, localisée, due à des champignons dématiés appartenant principalement aux genres Phialophora, Fonsecaea et Cladosporium(1). Elle est surtout observée dans les régions tropicales et subtropicales à climat sec. Elle pose souvent des problèmes de diagnostic avec la tuberculose et la leishmaniose cutanées, plus couramment rencontrées.

Aspect clinique

La chromomycose, mycose profonde à caractère verruqueux et végétant, est aussi caractéristique par son siège aux extrémités, jambes et pieds (figures 1 et 2)en particulier, et son évolution chronique n’engage pas le pronostic vital.

Dans les zones d’endémie, elle pose peu de problèmes diagnostiques, et la découverte de corps fumagoïdes à l’examen microscopique des squamescroûtes ou du pus suffit en cas d’hésitation. Nos 9 cas sont très classiques par leur localisation (jambe, pied)(2), observés respectivement chez 7 femmes âgées de 18 ans, 33 ans, 36 ans, 40 ans, 51 ans, 52 ans, 61 ans et chez deux hommes âgés de 43 ans et 70 ans durant la période s’étalant de 1987 à 2015. Les observations très classiques par la clinique à type de lésions de type verruqueux ou nodulaire et aussi par la localisation (jambe, pied) les ont fait longtemps confondre avec des dermatoses d’aspects voisins, principalement la tuberculose verruqueuse et la leishmaniose cutanée.

Diagnostic

La méconnaissance de l’affection, les difficultés de trouver les corps fumagoïdes sur les coupes histologiques et celles de la culture mycologique ont longtemps laissé errer le clinicien, et la tuberculose verruqueuse a été évoquée en premier lieu, ce qui a amené à un traitement d’épreuve, utilisé parfois en désespoir de cause (3). Une autre affection moins chronique, la leishmaniose cutanée, peut être une source de confusion avec la chromomycose dans notre pays. Enfin, des aspects voisins peuvent être réalisés par la syphilis tertiaire et le pan (sérologies de la syphilis toujours positives), et les autres mycoses profond es (blastomycose, sporotrichose...).

Au Maghreb, la chromomycose est rare, et 5cas ont été rapportés au Maroc (4)parmi 30observations de mycoses profondes. En Algérie, si cette affection n’est plus rapportée depuis longtemps, des cas sont décrits dès 1927 par

Montpellier et Catanei (5). Dans la région de Tlemcen, après l’observation de Perrin et coll. (6) en 1989, nous avons colligé 9 cas.

Diagnostic positif

Sur le plan histologique

L’examen montrait, sous un épiderme acanthosique et parfois ulcéré, un granulome inflammatoire dermique polymorphe comprenant des cellules géantes, des plasmocytes et de petits foyers d’abcédation ainsi qu’en quelques endroits des spores arrondies spontanément colorées en brun représentant des corps fumagoïdes.

Sur le plan mycologique

Le rôle du laboratoire est une affaire de haute spécialité pour reconnaître l’agent pathogène. L’examen mycologique mettait en évidence à la culture Phialophora verrucosa, Fonsecaea pedrosoi, Fonsecaea compacta, Cladosporium carrionïet Rhino-cladiella aquaspersale plus souvent impliqués (6, 7).

Sur le plan thérapeutique

Le traitement de la chromomycose a toujours posé des problèmes. La cryothérapie, l’électrocoagulation et la chirurgie s’adressent à des lésions limitées. Après la 5 fluorocytosine, les imidazolés oraux ont été essayés et ils sont dotés d’une certaine efficacité : kétoconazole, itraconazole et plus récemment saperconazole, peut-être plus actif (8). La terbinafine a été utilisée avec succès(11). Actuellement, l’association itraconazole + 5 fluorocytosine(9) paraît la plus prometteuse, mais un délai de 5 ans est demandé pour pouvoir affirmer la guérison (5)dans cette dermatose souvent rebelle. La thermothérapie est préconisée par certains(10) comme thérapeutique adjuvante afin de diminuer la durée du traitement.

Conclusion

La chromomycose est une mycose profonde rare en dehors des zones tropicales, mais elle peut se voir en dehors de ces climats, surtout en ces périodes de réchauffement et de sécheresse au sud de la Méditerranée(11). Il faut insister sur la prévention des blessures des jambes et des pieds dans les zones d’endémie. Un diagnostic précoce est, pour le moment, le meilleur garant d’une cure définitive par une chirurgie radicale ou des moyens physiques, en attendant un traitement médical plus constamment efficace et moins onéreux. 

Références

1. Grigoriu D, Delacrétaz J, Borelli D. Chromomycose. In: Traité de mycologie, 2e édition. Lausanne : Éditions Fayot 1986 ; 333-42.
2. Boudghene-Stambouli O, Merad-Boudia A. La chromomycose : Deux observations. Ann Dermatol Vénéréol 1994;121 : 37-9.
3. Boudghene-Stambouli O, Merad-Boudia A, Bouali O, Ould-Amrouche N, Tchouar S. A propos de 45 observations de tuberculose cutanée à Tlemcen (Ouest Algérien). Bull Soc Path Ex 1989; 82:341-50.
4. Jarmouri R, Ntidam H , Afailal A et al. Les mycoses profondes (À propos de 30 cas). Rapports du XIXe Congrès de l’association des dematologistes et syphiligraphes de Langue Française, Rabat, 12-15 Mai 1989 : 39-43.
5. Tuffanelli L, Milburn PB. Treatment of chromoblastomycosis. J Am Acad Dermatol 1990 ; 23 : 728-32.
6. Perrin P, Moulonguet I, Chemaly P et al. Chromomycose chez une patiente algérienne. Journées dermatologiques de Paris, 8-11 Mars 1989, Poster 55.
7. Bolzinger T, Pradinaud R, Sainte-Marie D, Dupont B, Chwetzoff E.Traitement de quatre cas de chromomycose àFonsecaea pedrosoi par l’association 5-fluorocytosine-itraconazole. Nouv Dermatol 1991 ; 10 : 462-6.
8. Franco L, Gomez I, Restrepo A. Saperconazole in the treatment of systemic and subcutaneous mycoses. Int J Dermatol 1992 ; 31 : 725-9.
9. Moulin G, Cognat Th, Ferrier E, Alligier H. Chromomycose : efficacité de l’association itraconazole + 5-fluorocytosine. Journées Dermatologiques de Paris, 8-11 Mars 1989, poster 54.
10. Campbell IT, Reis C, Faria E, Campbell GAM. Chromomycose : traitement par thermothérapie. Nouv Dermatol 1991 ; 10 : 468-70.
11. Chopinaud M, Bonhomme J, Comoz F, Barreau M, Morice C, Verneil L. Chromom ycose en France métropolitaine Ann Dermatol Vénéréol2014;141 : 396-8.

Copyright © Len medical, Dermatologie pratique, septembre 2016

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