La confraternité est-elle un alibi ?

Paris, le samedi 22 mars 2014 – A-t-on le droit de critiquer son prochain, quand ce prochain est médecin ? La question est résolument dans l’air du temps et par conséquent à la une de nombreux blogs. Elle l’était déjà en filigrane dans ces mêmes colonnes la semaine dernière, lorsque nous nous intéressions à la maltraitance vue par Martin Winckler. Au-delà des réflexions que pouvaient faire naître les propositions de l’écrivain et médecin sur ce sujet, nous avions souligné que ses déclarations avaient heurté plusieurs de ses confrères, s’interrogeant sur l’opportunité de toujours pointer du doigt sa corporation. Elle l’est plus que jamais au lendemain de deux événements, l’un dramatique, l’autre juridique.

Critiquer c’est mortel !

D’abord, après le décès brutal du docteur Sophie Becker, récemment auteur d’un billet intitulé « Un médecin meurtri », les commentaires que cette dernière avait recueillis apparaissent sous un jour cruel. Dans ce long « post », republié par le site Egora, ce psychiatre proche de l’Union française pour une médecine libre (UFML) y décrivait les multiples vexations s’accumulant dans une vie de praticien : études longues et éprouvantes, caractère épuisant des gardes et des astreintes, exigences des patients, contraintes administratives ou encore charges exorbitantes s’imposant aux libéraux… Cette longue confession lui avait valu de nombreux commentaires, souvent en parfaite connivences, mais parfois peu amènes. Alors que Sophie Becker est morte brutalement quelques jours après la rédaction de ce billet (et quelques minutes après avoir raccroché avec un journaliste d’Egora l’interrogeant sur celui-ci), certains ont tenu à insister sur le fait que ces critiques avaient fortement fragilisé le médecin (dont les causes de la mort sont totalement inconnues). Ainsi, pour Egora, le docteur Thierry Asquier, membre de l’UFML rapporte « Sophie était d’une grande sensibilité et avait été bouleversée par certains propos lus sur internet », tandis que la journaliste rappelle que le billet du médecin avait été « malmené sur le réseau social Twitter ».

Cette présentation du drame a quelque peu heurté l’auteur du blog « Docteur du 16 ». S’exprimant sur la notion de confraternité, il précise : « J’écris ce billet après avoir appris le décès d’un médecin qui avait publié un billet de blog sur le site Egora que j’avais critiqué vaguement. Ce billet était critiquable. Je n’ai pas été le seul à le faire.  Maintenant que la consoeur est décédée on nous dit que l’on n’aurait pas dû la critiquer, et sur le site Egora, bien que nous n’ayons aucun élément sur les circonstances du décès, on écrit que ces critiques seraient à l’origine de l’issue fatale. (…) Arrêtons donc de critiquer les billets qui paraissent, prenons tout pour argent comptant, et continuons de faire les pleureuses », s’agace « Docteur du 16 ».

Au nom de la confraternité…

Au-delà du cas forcément délicat de l’affaire Sophie Becker, « Docteur du 16 » remarque : « Il semblerait que le respect de la confraternité revienne à la mode. Il n’est pas convenable de critiquer ses confrères (et ses consœurs). Le statut de médecin protège des critiques et des commentaires. Respect, qu’ils disent. Les mêmes, qui glorifient les lanceurs d’alerte ne supportent pas que l’on puisse écrire que les « prescripteurs » de laits de croissance devraient savoir « lire » ou que les nieurs des sur diagnostics des cancers du sein ont des intérêts académiques et financiers gros comme leurs nez. La confraternité signifierait-elle l’aveuglement » s’indigne-t-il. 

Le cas Debré et Even

Les commentaires de « Docteur du 16 » le suggèrent sans mal : la seconde affaire qui a remis sur le devant de la scène la notion de respect de la confraternité et dont il est également question sur les blogs cette semaine est la suspension d’exercice d’un an (dont six mois avec sursis) dont ont écopé les professeurs Debré et Even, en partie en raison de leur manque de confraternité. Evoquée à plusieurs reprises sur son site par Jean-Yves Nau, cette sanction est également l’objet d’un post sur le blog « Hippocrate et Pindare ». « Critiquer des confrères est plus grave pour le Conseil de l’Ordre des médecins, que le comportement du Dr Cahuzac. Information intéressante de l’état d’esprit d’un tel conseil » remarque tout d’abord l’auteur. Ce dernier estime ensuite qu’au-delà de la sacro sainte défense de la confraternité, cette décision montre la volonté du Conseil de l’Ordre « d’empêcher les médecins d’exprimer la moindre critique sur l’exercice de la médecine et les règles dictées par la « nomenklatura » médicale ». Et il n’hésite pas à conclure : « Sommes-nous dans une dictature médicale ? Je le pense ». On le voit, sur ces sujets, la passion n’est jamais loin comme le relève également Jean-Yves Nau. Mais le débat, tant sur la confraternité que sur la possibilité pour les médecins de remettre en cause des dogmes établis, reste entier.

Pour le poursuivre vous pouvez retrouver les blogs et posts évoqués aux adresses suivantes : 
http://docteurdu16.blogspot.fr/
http://hippocrate-et-pindare.fr/2014/03/19/les-medecins-interdits-dexprimer-leurs-desaccords-professionnels/
http://jeanyvesnau.com/2014/03/18/philippe-even-et-bernard-debre-interdits-dexercer-pour-manquement-a-la-confraternite/
http://www.egora.fr/sante-societe/billet-de-blog/178612-les-derniers-mots-dun-medecin-meurtri

Vous pouvez également lire sur notre site les réactions qu'ont  suscité nos articles sur la sanction des PR Debrè et Even:

http://www.jim.fr/medecin/debats/e-docs/les_professeurs_debre_et_even_en_appellent_a_la_liberte_dexpression__144313/document_actu_pro.phtml

http://www.jim.fr/medecin/debats/e-docs/urgent_un_an_d_interdiction_d_exercice_dont_six_mois_avec_sursis_pour_les_professeurs_debre_et_even_144298/document_flash.phtml

Aurélie Haroche

Copyright © http://www.jim.fr

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Vos réactions (3)

  • Se garder de juger les personnes

    Le 22 mars 2014

    Quelle tristesse que cette "épidémie" de suicide chez les médecins, et les femmes psychiatres y sont particulièrement exposées ! Je suis d'accord sur le fait qu'une critique ne peut pas suffire à expliquer ce geste dont les causes sont certainement bien plus complexes.
    Cependant je pense qu'il faut se garder de juger les personnes mais s'en tenir à critiquer leurs actes, et ce, pas sur la place publique. Ne nous substituons pas à la justice. L'exercice de notre métier est déjà suffisamment difficile pour qu'on ait pas, en plus, à se méfier de ceux qui l'exercent comme nous.
    Quant à l'affirmation sur la "hiérarchisation" des fautes par l'Ordre, elle me parait totalement gratuite.

    Dr Nicole Sergent

  • Droit à la critique ? Non non nécessité absolue

    Le 22 mars 2014

    La critique est toujours utile et elle n'a pas besoin d'être aimable pour l'être. Elle pousse ceux qui la font à l'analyse et ceux qui sont critiqués à défendre leur point de vue.
    Il s'agit donc d'un exercice utile à tout le monde
    La censure de l'Ordre est non seulement ridicule mais nuisible. Le progrès n'est jamais épargné par les frictions.
    Einstein s'est " frité" avec les tenants de la mécanique quantique...et pas toujours avec gentillesse...nul doute que si un ordre des physiciens avait existé il aurait eu droit à un blâme...Seuls les crétins refusent la critique et seuls les imbéciles ne changent jamais d'avis. Merci à Debré et Even de nous agiter les neurones même s'ils ont totalement tort, ce qui n'est probablement pas le cas.

    Dr JF Huet

  • Désabusé

    Le 24 mars 2014

    La confraternité c'est super sur le papier. A condition qu'il ne vous arrive pas d'ennuis, judiciaires notamment. Car là, alors, vous allez en trouver des confrères qui chercheront à vous enfoncer, même s'ils ne sont pas au courant de ce qui vous arrive!

    JF

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