
M. CARBONNEL, J. GOETGHELUCK, J.-M. AYOUBI
Hôpital Foch, Suresnes, Faculté de Médecine Paris-Ouest
La chirurgie robotique est en train de modifier considérablement le paysage chirurgical. Ses bénéfices en termes de courbe d’apprentissage sont un de ses avantages majeurs comparativement à la coelioscopie. Cependant, l’introduction du robot au sein des blocs opératoires amène une modification des pratiques et nécessite d’autres apprentissages : l’installation, la maîtrise de la machine, la gestion des risques. Le bon déroulement de l’intervention repose sur l’ensemble de l’équipe et ce, d’autant plus que le chirurgien s’est éloigné physiquement du patient. Enfin, ce nouvel outil nous conduit à repenser l’enseignement même de la chirurgie. La simulation occupera probablement dans le futur une part importante de la formation sur le modèle de l’aéronautique. Le compagnonnage, s’il est toujours nécessaire, ne peut suffire à répondre aux exigences de cette nouvelle technologie.
De la coelioscopie à la robotique : l’optimisation de la gestuelle
La coelioscopie a apporté de nombreux bénéfices post-opératoires
: la diminution des pertes sanguines, des douleurs, de la durée
d’hospitalisation, un retour plus précoce à la vie normale ; en
outre, ses avantages esthétiques ne sont pas négligeables. Elle
s’accompagne néanmoins de difficultés techniques (vue
bidimensionnelle, instabilité de l’image, longs instruments rigides
non articulés, orientation dans l’espace, position non
ergonomique). Celles-ci expliquent que la diffusion de la
coelioscopie ait été limitée, en particulier dans les pathologies
complexes. L’avènement de la robotique a permis de pallier la
plupart des limites de la coelioscopie.
La vision est en 3 dimensions avec contrôle de la caméra par le
chirurgien, les tremblements sont filtrés, les instruments
micro-articulés (rotation de 360°, 7° de liberté), le pouce et
l’index commandent les deux mors des instruments ; ainsi la
gestuelle se rapproche de celle de la laparotomie, elle est
intuitive : cela permet d’améliorer l’accessibilité, la précision
et la dextérité de l’opérateur. Enfin, le confort de celui-ci assis
à la console est nettement amélioré. La courbe d’apprentissage de
la gestuelle, en particulier des sutures, est donc logiquement plus
courte.
Les autres courbes d’apprentissages : prérequis avant de débuter la chirurgie robotique
Si la gestuelle est clairement simplifiée, la robotique amène de
nouvelles problématiques. Outre la gestion des manettes sur la
console, de nombreux paramètres incluant l’ensemble de
l’équipe doivent être pris en compte. L’installation doit être
optimale pour supporter un Trendelenburg prolongé et plus important
qu’en coelioscopie classique ; une attention accrue doit être
également portée à l’évitement de compressions nerveuses. Les
infirmières de bloc opératoire (IBODE) (la circulante et
l’instrumentiste) doivent allumer, tester la machine, maîtriser et
vérifier les instruments, la caméra, le drapage des bras du robot,
l’installation de la table et des câbles, la mise en place et le
retrait des instruments. L’aide opératoire doit connaître
l’arrimage, le docking (fixation des bras du robot sur les
trocards), limiter les conflits entre les bras du robot, introduire
et retirer les instruments de manière adéquate. À noter que sur le
dernier modèle commercialisé (Xi), l’installation est facilitée et
le risque de conflits entre les bras moindre.
L’équipe d’anesthésie, outre l’installation, doit gérer
l’absence d’accessibilité des bras après le docking, elle doit
offrir une anesthésie de « bonne qualité » (pas de mouvements
intempestifs du patient pendant la chirurgie). Le chirurgien doit
maîtriser les manettes de la console, mais également superviser
l’installation, le positionnement des trocarts qui est différent de
celui de la coelioscopie classique afin d’éviter les conflits entre
les bras, la mise en place des instruments, et la maîtrise de
l’ensemble de son équipe, a fortiori puisqu’il est à distance du
patient. Enfin, tous les acteurs de l’intervention doivent être
formés et entraînés aux situations d’urgence (perte de
pneumopéritoine brutal, réveil intempestif du patient, introduction
non contrôlée d’un instrument, déplacement intempestif d’un bras du
robot par l’aide, erreur de manette à la console associée à un
mouvement brusque).
En effet, le nouvel intermédiaire entre le chirurgien et le patient (Robot + aide opératoire) associé à l’absence de retour de force potentialisent la survenue d’incidents techniques (plaies vasculaires, digestives) liées à un mouvement incontrôlé. La robotique, si elle simplifie le geste, doit être accompagnée en permanence d’un savoir-faire et d’une vigilance accrue afin d’éviter ces complications potentiellement gravissimes. Des procédures d’urgence doivent être connues et répétées régulièrement par toute l’équipe. Afin d’obtenir ces prérequis, la Société Da Vinci® propose aux chirurgiens 2 jours de formation initiale dans un centre de formation agréé Intuitive (en France à l’IRCAD de Strasbourg ou à l’école européenne de chirurgie de Paris). Il s’agit d’une formation théorique et pratique (pièce anatomique ou modèle animal) ; ensuite les premières procédures sont encadrées par un formateur Da Vinci®. Les IBODE référentes suivent le même type de formation, les autres font une demi-journée de formation au bloc avec un formateur. L’aide opératoire peut être un chirurgien formé ; si ce n’est pas le cas les modalités de sa formation préalables ne sont pas clairement définies.
Les courbes d’apprentissage selon les interventions
La courbe d’apprentissage du « set up » (préparation et test du robot, installation, docking, drapage et dédrapage, changement des instruments) se stabilise assez rapidement au bout d’une vingtaine de cas.
• Concernant le temps opératoire à la console, pour les pathologies bénignes, en particulier les hystérectomies, la courbe d’apprentissage se situerait à environ 50 cas, mais un bénéfice important existerait dès 20 cas. Le temps de suture vaginale semble être le plus long à maîtriser, de même le taux de déhiscences vaginales diminue avec le nombre de cas. Il est intéressant de noter que le temps opératoire diminue avec l’expérience de l’aide opératoire et qu’un opérateur ayant été d’abord aide opératoire a une courbe d’apprentissage encore plus courte.
• Concernant les pathologies malignes, la courbe d’apprentissage semble être de 50 cas pour les curages pelviens, 70 cas pour les curages lombo-aortiques. Le temps opératoire diminuerait néanmoins là aussi significativement au bout d’une vingtaine de cas. Si on compare la courbe d’apprentissage dans le cancer de l’endomètre, elle est de 24 cas pour le robot et de 49 cas pour la coelioscopie. On constate une amélioration significative de la durée opératoire dans les hystérectomies élargies après 12 procédures.
• Concernant la promontofixation, la durée opératoire diminue de 25 % au bout de 10 cas pour être en moyenne de 192 minutes. Au-delà des durées opératoires, la modification des pratiques, et notamment la diminution des laparotomies dans les centres ayant acquis le robot, sont le témoignage indirect d’une courbe d’apprentissage plus courte que celle de la coelioscopie.
La formation
Il n’existe pas actuellement de standard de formation défini
concernant la robotique en dehors des 2 jours de prérequis
dispensés par la société Da Vinci® pour les chirurgiens seniors et
de leur accompagement durant les premières interventions. Un DIU de
robotique est organisé par la faculté de Nancy, des formations
pratiques sont parfois organisées au sein des blocs opératoires « à
vide » avec un formateur Da Vinci® pour les internes. Le
compagnonnage permet de passer d’aide opératoire à opérateur sur
des « temps opératoires » puis des interventions complètes.
Certains centres se sont équipés de la double console. Elle
permet de former comme le système des auto-écoles en ayant un
contrôle permanent de la gestuelle de l’étudiant et ainsi de donner
plus rapidement les « manettes » aux plus jeunes en toute sécurité.
La formation continue consiste en des congrès, vidéo transmissions
3D, télétransmissions avec expert, e-learning, simulateur et
visites d’experts régulières. Le manque d’accessibilité du robot
(vacations à partager avec les autres spécialités) renforce la
difficulté de formation continue, sachant que l’introduction de
nouveaux médecins rallonge la courbe d’apprentissage. L’intégration
des internes semble pourtant nécessaire afin de pérenniser et de
diffuser la pratique de la chirurgie robotique.
Nous sommes donc confrontés à une nouvelle problématique d’enseignement. Pour y remédier, plusieurs axes semblent se dessiner : la standardisation des procédures et l’entraînement hors bloc opératoire. Celui sur pièce anatomique ou modèle animal est coûteux ; la simulation mécanique permet de régler la gestuelle de base, mais est vite limitée. Ainsi, la simulation virtuelle avec des programmes définis, calquée sur les programmes de formation en aéronautique semble être l’avenir de l’apprentissage de la robotique. Elle permet non seulement d’accélérer l’apprentissage en toute sécurité, mais aussi de maintenir ses compétences entre 2 cas. Plusieurs simulateurs ont été validés, tel le MimicTM, RobotiX MentorTM…
Une intervention complète d’hystérectomie est actuellement disponible sur le modèle RobotiX MentorTM.
Conclusion
Les benefices en termes de courbe d’apprentissage sont un des
avantages majeurs de la robotique comparativement à la coelioscopie
; elle rend la chirurgie mini-invasive potentiellement accessible à
un plus grand nombre d’opérateurs. L’ensemble de l’équipe doit être
formée et entraînée. La vigilance concernant les risques de
complications gravissimes être en permanence à l’esprit. La
définition d’un nouveau modèle d’enseignement et de formation
continue basé sur la simulation et la standardisation des
interventions sera, à moyen terme, indispensable à la diffusion de
ce nouvel outil.
Pour en savoir plus
. Favre A, Huberlant S, Carbonnel M, Goetgheluck J, Revaux A, Ayoubi JM. Pedagogic Approach in the Surgical Learning: The First Period of “Assistant Surgeon” May Improve the Learning Curve for Laparoscopic Robotic- Assisted Hysterectomy. Front Surg 2016 ; 3 : 58. Published online 2016 Nov 2.
. Schreuder HWR, Wolswijk R, Zweemer RP, Schijven MP, Verheijen RHM. Training and learning robotic surgery, time for a more structured approach: a systematic review. BJOG 2012 ; 119(2) : 137-49.
. Lin JF, Frey M, Huang JQ. Learning curve analysis of the first 100 roboticassisted laparoscopic hysterectomies performed by a single surgeon. Int J Gynecol Obstet 2014 ; 124 : 88-91.
. Lenihan JP Jr, Kovanda C, Seshadri- Kreaden U. What is the learning curve for robotic assisted gynecologic surgery? J Minim Invasive Gynecol 2008 ; 15(5) : 589-94.
. Payne TN, Pitter MC. Robotic-assisted surgery for the community gynecologist: can it be adopted? Clin Obstet Gynecol 2011 ; 54(3) : 391-411.