La dépression bipolaire : du diagnostic au traitement

Au cours de la vie d’un patient souffrant d’un trouble bipolaire de type I, le temps passé avec des symptômes dépressifs est 3 fois plus long qu’avec des symptômes maniaques (ce ratio passe à 40 pour le trouble bipolaire de type II). Le traitement de la dépression bipolaire est donc un défi quotidien pour tous les psychiatres. Encore faut-il avoir identifié l’existence d’un trouble bipolaire chez un patient présentant un épisode dépressif.

Sans parler du cas évident d’un antécédent d’épisode maniaque, devant une dépression, il existe certains indices sémiologiques qui vont orienter vers un trouble bipolaire : des symptômes « d’allure » maniaque (réactivité de l’humeur, logorrhée, fuite des idées…) ou bien les signes d’une dépression dite « atypique » (hypersomnie, hyperphagie, ralentissement psychomoteur marqué). C’est aussi l’évolution du trouble qui permet de suspecter un trouble bipolaire : les épisodes dépressifs débutent souvent à un âge jeune (parfois à l’adolescence), les épisodes sont nombreux, sévères, et peuvent avoir une évolution saisonnière. La dépression du post-partum est un élément anamnestiques important. Les antécédents familiaux (de trouble bipolaire, de trouble psychiatrique, ou de suicide) doivent également alerter. C’est donc aujourd’hui un interrogatoire et une analyse sémiologique précis qui permettent d’orienter le diagnostic. Demain, sans doute, l’imagerie cérébrale aura un rôle dans cette enquête.

Regardez les amygdales

Un nouveau modèle du trouble bipolaire ouvre la voie vers une nouvelle compréhension de la maladie, où l’amygdale a une place centrale. En effet, l’humeur peut se comprendre comme un état émotionnel qui peut être décrit selon deux dimensions : la valence des réponses émotionnelles (biais émotionnel négatif dans la dépression, positif dans la manie), et l’intensité des réponses émotionnelles (hyporéactivité dans la dépression, et réponses intenses dans la manie). Une dépression mixte est donc un état de biais émotionnels négatifs associé à une hyperréactivité émotionnelle.

La correction des biais émotionnels négatifs est un processus essentiel dans la guérison des dépressions. Une seule prise d’antidépresseurs permet de mieux reconnaitre les expressions faciales de joie (Harmer, 2009). L’amygdale joue ici un rôle central. Longtemps considéré comme l’organe de la peur, l’amygdale est une structure impliquée en réalité dans toutes les émotions. Dans un modèle murin de dépression (en l’occurrence l’administration chronique de corticostérone), on retrouve comme chez l’homme des biais émotionnels négatifs : l’urine de femelle est moins plaisante pour la souris mâle déprimée, et les odeurs de prédateurs sont particulièrement désagréables. Ces biais émotionnels sont directement liés à une moindre activation des neurones amygdaliens codant pour des stimuli agréables. Espérons que ce nouveau regard sur la dépression bipolaire et le rôle de l’amygdale donnent accès à l’avenir à de nouveaux traitements.

Vieilles recettes et nouveaux produits

Le traitement du trouble bipolaire est une gageure : les antidépresseurs y sont la plupart du temps inefficaces, et bien souvent délétères. Les traitements thymorégulateurs jouent une place centrale ; ils sont malheureusement insuffisants. Face aux limites du traitement médicamenteux, l’électroconvulsivothérapie (ECT) a donc une place de choix dans le traitement de la dépression bipolaire, que ce soit au cours de la dépression ou de l’épisode maniaque. Pourtant, la littérature sur la question était jusqu’à présent étonnamment limitée : trois études récentes (toutes scandinaves) viennent justement combler ce manque.

Une méta-analyse publiée par Bahji en 2019 confirme que les ECT ont un taux de réponse supérieur dans la dépression bipolaire par rapport à la dépression unipolaire (p = 0,02), avec une réponse plus rapide (p = 0,03). Un autre essai Suédois rétrospectif a colligé les données de 1 251 patients ayant une dépression bipolaire traitée par ECT. Le taux de réponse était de 80,2 % avec une meilleure réponse chez les 31-40 ans et les patients de 61 à 80 ans. La comorbidité avec un trouble de la personnalité était un facteur de mauvaise réponse (Popiolek, 2019). Enfin, une étude Norvégienne a comparé 36 patients souffrant de dépression bipolaire traités par ECT et 36 traités par médicaments, avec un taux de réponse de 73,9 % pour les ECT contre 35 % pour le traitement médicamenteux (Schoeyen, 2015).

Enfin, au-delà des traitements thymorégulateurs et des ECT, certains traitements médicamenteux innovant pourraient trouver leur place dans le traitement de la dépression bipolaire.

On connait la kétamine, et désormais sa version « intranasale », la eskétamine. On citera également le pramipexole, agoniste dopaminergique utilisé dans la maladie de Parkinson, avec quelques résultats dans des études réalisées dans les années 2000. Le modafinil a également montré des résultats prometteurs. Enfin, des publications très récentes suggèrent l’intérêt de deux antipsychotiques atypiques qui ne sont malheureusement pas disponibles (pour l’instant) en France : la lurasidone et la cariprazine.

Dr Alexandre Haroche

Référence
M Agoub, M Masson, D Souery, C Henry, J Aubry, C Quiles. Dépression(s) bipolaires(s) : et si elles étaient plusieurs ? 19ème Congrès de l’Encéphale. Du, 20 au 22 janvier 2021 (virtuel).

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