
Paris, le samedi 29 août 2015 – Il n’est pas rare que l’on se délecte de la révélation des supercheries minutieusement orchestrées pendant des années par des as de la fraude. Découvrir qu’un scientifique reconnu par ses pairs, qui multipliait les publications, n’était en fait qu’un fraudeur patenté, ayant pêché ses données dans l’annuaire ou dans sa propre imagination fait courir un frisson délicieux. Il y a du Agatha Christie dans ces affaires, tandis que les fraudeurs ne sont pas loin d’apparaître comme des Arsène Lupin de la falsification, leur génie de la dissimulation remplaçant leurs mérites scientifiques. En outre, la publicité autour de ces méfaits grandioses conforte souvent la communauté des chercheurs, la pousse à l’autosatisfaction : comparativement aux déboires des uns, les autres ne peuvent que se sentir irréprochables.
Cependant, d’autres observateurs ressentent plutôt un frisson terrible à l’évocation de ces affaires. D’abord parce qu’elles confirment sinon la duplicité tout au moins l’inefficacité des contrôles. Par ailleurs, ils savent à quel point ces fraudes spectacles, si rares qu’elles attirent l’attention de tous, masquent les irrégularités quotidiennes, le maquillage des données, les arrangements avec la vérité. Or, ces multiples manquements, poussés par la nécessité de publier toujours plus (publish or perish disent les anglo-saxons) altèrent la science, comme nous le rappelle ici le médecin blogueur Hervé Maisonneuve qui depuis des années s’intéresse aux milles visages de la fraude, dans un pays, le notre, où ces questions demeurent totalement taboues.
Par le Dr Hervé Maisonneuve*
Parler de fraude scientifique assure d’être lu. Parler d’intégrité scientifique n’intéresse personne. Pourtant l’intégrité scientifique mérite formation et publicité car les Pratiques Critiquables en Recherche gangrènent la littérature biomédicale.
La fraude est découverte par accident car elle est rare
La fraude est classiquement définie par l’abréviation FFP (Falsification, Fabrication, Plagiat). Un fraudeur sait jouer avec le système : le Dr Y Fujii a publié de nombreux articles dont 183 ont été invalidés par des comités académiques car ils contenaient des données inventées… Il a fallu 12 ans pour mettre en évidence cette fraude car Fujii a évité les revues ayant des doutes sur ses travaux ; la communauté a fermé les yeux. Un bon fraudeur ou plagieur connaît les trucs pour tromper logiciels et outils que nos institutions érigent en garde-fou.
Des altérations de la vérité scientifique sur représentées
Plus inquiétantes et fréquentes sont les Pratiques Critiquables en Recherche comme les embellissements et autres procédés visant à réinterpréter des données ou reformuler une hypothèse, tel le HARKing (Hypothezing After Results are Known). Les exemples foisonnent. Ainsi 50 % des essais randomisés de chirurgie publiés dans les meilleures revues contiennent des divergences majeures entre le protocole et la publication. Témoin de cette corruption constante de la vérité scientifique : 50 à 70 % des articles ne seraient pas reproductibles. Par ailleurs les audits de la FDA découvrent des fraudes, invalident des essais… et les publications ignorent ces audits. En France on peut de même se demander pourquoi on protège un essai publié dans le NEJM par une équipe de la Pitié-Salpétrière alors que des doutes ont été exprimés en public et que les données n’ont jamais été reproduites ?
Semblablement, on continue à tolérer des thèses de complaisance. On cache que des abstracts ont été publiés plusieurs fois, alors qu’il est facile de le dire pour diminuer la pollution des publications. Des milliers de patients participent à des essais dont les résultats ne seront jamais publiés…Toutes les disciplines, de la sociologie, au management, aux sciences de la vie et de la terre sont concernées…D’après, un éditorial du Lancet, plus de 50 % de la littérature serait fausse.
Le risque est faible pour des récompenses importantes
Les raisons de ce phénomène sont connues : les chercheurs vivent dans un environnement d’ultra-compétition pour leurs carrières et pour la collecte de nouveaux fonds pour financer leurs recherches. Parallèlement, les sanctions sont faibles. Va-t-on en prison pour plagiat ? Non, ce n’est même pas un délit condamnable par un tribunal. Il faut prouver la contrefaçon ! Va-t-on en prison pour s’être attribué la paternité d’un article en ajoutant son nom sur une publication ? Non, cela fait sourire, car tout le monde le fait.
Une prise de conscience trop timorée
Il faudrait enseigner l’intégrité scientifique ; des mouvements
sont encourageants en France, mais insuffisants… Un rapport
de 2010 "Renforcer l’intégrité de la
recherche" devrait être rendu public (mais quand ?) ;
le CNRS a publié en 2014 un guide "Promouvoir une recherche intègre et
responsable" ; huit organisations ont signé une Charte nationale de déontologie des métiers
de la rechercheen janvier 2015 et encore le MURS-IS
(Mouvement Universel de la Responsabilité Scientifique –Intégrité
Scientifique) organise des rencontres deux fois par an en France
!
Notre société, nos institutions sont aveugles ! Qui fera le premier
pas ? L’autre très probablement.
* consultant en rédaction, et rédacteur de www.redactionmedicale.fr
Liens d’intérêts : rédacteur du blog www.redactionmedicale.fr ,
animateur du MURS-IS