
Enfants déstabilisés face aux contraintes de l’apprentissage
Serge Boimare a mis en évidence un point de défaillance commun
à tous ces enfants en difficulté scolaire. Confrontés aux exigences
et aux contraintes d’une situation d’apprentissage à l’école, ces
enfants sont psychologiquement déstabilisés.
Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas apprendre, c’est que la
situation d’apprentissage déclenche une rupture de leur équilibre
psychologique qui les met en difficulté. Ils sont ainsi «
empêchés de penser ». La pédagogie classique ne peut pas
leur être appliquée.
Ces enfants ont des caractéristiques en commun.
- Ils ne savent pas argumenter pour défendre un point de vue, poser une question quand ils n’ont pas bien compris, prendre un exemple pour se faire mieux comprendre, enchaîner deux arguments pour défendre leur point de vue.
- Leur curiosité reste centrée sur des préoccupations infantiles, sexuelles. Cette curiosité est très archaïque : sadisme, voyeurisme, mégalomanie…
Les soutiens et les aides qui ont pour but de combler les
lacunes de façon scolaire ne sont pas efficaces. La pédagogie
classique est en échec. Les heures d’entraînement scolaire
supplémentaires aboutissent au contraire du résultat recherché
et renforcent les stratégies anti-apprentissage. De même, la
médicalisation de ces enfants ne sert à rien. En effet, ils ne sont
ni dyslexiques, ni hyperactifs, ni hypermatures, n’ont pas de
véritables problèmes d’attention ou de problèmes moteurs. Ces «
symptômes-diagnostics » ne sont que les conséquences de l’absence
des compétences psychiques de base nécessaires pour affronter les
grandes contraintes de l’apprentissage c’est-à-dire :
- Être capable d’attendre.
- Être capable de respecter des règles.
- Être capable d’affronter un petit moment de solitude.
Ce manque de compétences a pour conséquence une
déstabilisation psychique camouflée derrière des troubles du
comportement (de l’agitation à l’endormissement), des idées
d’auto-dévalorisation, de persécution (l’inverse de la
dévalorisation). Ces camouflages sont une protection contre la
déstabilisation ressentie.
Cette déstabilisation n’est cependant pas évidente à
repérer.
Ces enfants mettent aussi en place un fonctionnement
intellectuel particulier qui se prive du temps réflexif de
l’apprentissage (un temps pendant lequel les contraintes sont
maximales). Des stratégies intellectuelles sont alors mises en
place pour se passer de ce temps réflexif de
l’apprentissage.
Ces stratégies sont au nombre de quatre :
- Inhibition intellectuelle. Un phénomène méconnu, que l’on prend pour un manque d’intelligence confirmé par un le QI limite qui, en général, s’élève quand l’enfant va mieux. Le QI peut ainsi passer de 90 à 110 !
- Développement d’une impression de vivacité intellectuelle prise pour de l’hyper-maturité, qui se manifeste de façon évidente lors de l’apprentissage de la lecture. Ce sont les champions de l’association immédiate ou phobie du temps de suspension (peur de se poser pour réfléchir).
- Rigidité mentale où l’ado a l’impression que l’entrée dans la réflexion va l’affaiblir. Situation qui entraîne une contestation, plus ou moins violente (l’enseignant n’ayant pas le droit de mettre l’ado devant une question qui l’amène à réfléchir.)
Insuffisances éducatives qui empêchent de penser
L’absence des compétences psychiques nécessaires à
l’apprentissage découle d’insuffisances éducatives qui empêchent de
penser. Ces enfants n’ont pas été suffisamment tôt initiés à
l’épreuve de la frustration. Ainsi, les parents n’arrivent pas à
les coucher, à les faire manger normalement, à leur faire quitter
les écrans… Ces enfants n’ont pas été suffisamment sollicités au
niveau langagier. Or parler provoque la pensée. Enfin, ces enfants
n’ont pas été suffisamment initiés à l’autonomie.
Remettre en route la machine à penser
Pour sortir ces enfants de la peur d’apprendre, l’appel à un
spécialiste de psychopédagogie est toujours nécessaire. Celui-ci,
essaiera tout d’abord de comprendre le mode de fonctionnement de
l’enfant ou de l’ado.
Quand on les questionne, ces enfants savent bien décrire ce
qu’ils perçoivent quand ils sont déstabilisés
psychiquement.
Pour relancer les capacités à penser, il est nécessaire
d’alimenter la machine à penser, en apportant à l’enfant de
nouvelles représentations qui vont enrichir les siennes, souvent
pauvres et chaotiques. « Lire quotidiennement à haute voix des
récits fondateurs de notre culture permet d’y arriver » affirme
Serge Boimare. Dans ces récits, comme les contes de Grimm ou des
récits mythologiques, courts et faciles à comprendre ou comme ceux
écrits par Murielle Szac, on retrouve toujours les grandes
préoccupations humaines, mises en mots et en histoires, ce qui
intéresse toujours des enfants/ados, car ils peuvent alors s’y
identifier. Ce nourrissage culturel quotidien est une méthode
performante. En quelques semaines, ils peuvent s’appuyer sur leur
(nouveau) monde interne et commencer à penser.
Dr Emmanuel Cuzin