Au cours des 20 dernières années des progrès considérables ont été effectués dans la compréhension de la physiologie du remodelage osseux. En particulier, la découverte de la voie OPG/RANK/RANKL a bouleversé les connaissances de la biologie cellulaire de l’ostéoclaste et de la résorption osseuse et a permis le développement de nouvelles pistes thérapeutiques très prometteuses.
L’os est un tissu vivant dont le remodelage est assuré par
l’activité conjointe des ostéoblastes, des ostéoclastes et des
ostéocytes. A la suite d’un signal informant du vieillissement de
la matrice osseuse (phase d’activation), transmis par les
ostéocytes, les pré-ostéoclastes sont attirés sur la surface
trabéculaire, fusionnent et forment des ostéoclastes multinucléés
qui résorbent la matrice osseuse et creusent une lacune (phase de
résorption). Puis, l’ostéoclaste meurt par apoptose. Survient
ensuite une phase dite « d’inversion » ou de « couplage » au cours
de laquelle apparaissent au voisinage de la lacune des précurseurs
d’ostéoblastes. Des unités ostéoblastiques se forment peu à peu et
vont réparer la lacune osseuse de la profondeur vers la surface
(phase de formation) en formant une nouvelle matrice osseuse.
Retour ensuite à la phase « de quiescence » jusqu’à la prochaine
séquence. Le remodelage osseux repose ainsi sur le couplage des
activités ostéoclastique et ostéoblastique. Il n’existe pas
d’ostéoformation sans résorption préalable.
Une brèche dans la physiologie osseuse
Mais si l’activité de l’ostéoblaste dépend de celle de l’ostéoclaste, l’inverse est également vrai : « 2e couplage ». Il a en effet été montré, dans la fin des années 80, que les ostéoblastes sont indispensables à la différenciation et à la maturation des ostéoclastes. Cette découverte représente la base de l’identification de la voie OPG/RANK/RANKL qui permet une régulation très fine de la différenciation et de la fonction ostéoclastique.
Trois acteurs entrent en scène
L’OPG est découvert
Premier acteur de cette nouvelle voie : l’ostéoprotégérine (OPG)
identifiée et clonée au début des années 90. Membre de la famille
des récepteurs au TNF, l’OPG est une molécule soluble produite par
les ostéoblastes et les cellules stromales. Son rôle régulateur de
la densité osseuse a été mis en évidence à l’aide de souris
transgéniques surexprimant OPG ou déficientes en OPG. En cas de
surexpression d’OPG, les souris conservent une ossature normale
mais ont une ostéosclérose avec une diminution du nombre
d’ostéoclastes et une densité minérale osseuse augmentée. A
l’inverse, les souris déficientes en OPG (knockout) développent une
ostéoporose précoce (survenue de fractures spontanées + DMO
vertébrale basse).
Puis c’est au tour de RANKL : médiateur incontournable
des ostéoclastes
En 1997, le RANK Ligand (receptor activator of nuclear factor-kB
ligand) est identifié à son tour. RANKL est sécrété par les
ostéoblastes ou les cellules stromales sous une forme soluble ou
transmembranaire. L’OPG se lie naturellement à RANKL. Elle agit
alors comme un récepteur leurre et bloque l’action de RANKL.
Et de RANK : récepteur de RANKL !
Quelques années plus tard, en 1999/2000, le véritable récepteur de
RANKL, dénommé « RANK », est pour sa part identifié. RANK est
exprimé par les précurseurs ostéoclastiques. Et la liaison de RANKL
à son récepteur RANK permet, en présence de M-CSF, la
différenciation, l’activité et la survie des ostéoclastes. Comme
l’OPG, RANKL et son récepteur RANK ont un rôle dans la régulation
de la densité minérale osseuse. Chez la souris, l’absence de RANKL
(ou de RANK) a pour conséquence une absence de différenciation des
ostéoclastes et un phénotype de densification osseuse avec une DMO
accrue.
Quand OPG/RANKL perdent l’équilibre !
La régulation de la résorption dépend ainsi de l’équilibre RANKL/OPG ; ces deux molécules étant secrétées par l’ostéoblaste. A l’état physiologique, plusieurs facteurs hormonaux et cytokiniques agissent sur le remodelage osseux en stimulant ou en inhibant l’expression de l’OPG et/ou de RANKL. En situation physiologique, l’équilibre entre ces deux facteurs est maintenu. Mais, dans certains états pathologiques associés à une perte osseuse avec hyper-résorption (ostéoporose post-ménopausique, traitement prolongé par glucocorticoïdes, ostéolyse tumorale, érosions osseuses dans la polyarthrite rhumatoïde), l’expression de RANKL est augmentée. Il existe alors un déséquilibre dans la voie OPG/RANKL/RANK en faveur de RANKL. Dans ces situations d’hyper-résorption osseuse, des auteurs ont ainsi eu l’idée d’utiliser l’OPG afin de « rééquilibrer » le système et de contrebalancer la surexpression de RANKL.
La preuve par l’OPG
Effectivement, des résultats confirmant ce concept ont été obtenus dans plusieurs modèles animaux précliniques.
Des rongeurs modèles !
La surexpression d’OPG chez de jeunes souris ou des rates adultes
transgéniques (OPG-Tg) a permis d’obtenir des niveaux d’OPG très
élevés dés l’embryogenèse avec une inhibition constitutive et
continue de la voie RANKL. Il faut souligner, qu’outre les effets
osseux qui vont être décrits, le développement de ces animaux a été
normal, et que ni les fœtus, ni les adultes OPG-Tg n’ont présenté
de troubles phénotypiques extra-osseux (2).
Au niveau osseux, il a été observé chez les souris OPG-Tg : une augmentation de la DMO, et chez les rats OPG-Tg, une suppression dose-dépendante de la résorption et de la formation osseuse ainsi qu’une amélioration de la microarchitecture trabéculaire (augmentation du volume trabéculaire et du nombre de travées sans modification de l’épaisseur des travées). Des essais ont également été conduits avec une OPG exogène injectable (OPG-Fc) dans des modèles animaux de perte osseuse (rongeurs femelles ovariectomisées). Chez des rates ovariectomisées traitées par OPG-Fc, l’inhibition de RANKL par l’OPG augmente la DMO au niveau des vertèbres, du fémur et du tibia, et améliore la microarchitecture trabéculaire du fémur distale.
Cependant, l’OPG étant un inhibiteur naturel non spécifique de RANKL, son action n’est pas parfaitement ciblée. Elle peut notamment interagir avec différentes voies d’immunorégulation lymphocytaire (dont le système TRAIL du lymphocyte).
D’où l’arrivée du denosumab
Logiquement, un anticorps monoclonal humain anti-RANKL hautement spécifique a ainsi été développé dans le but de contourner cette difficulté. Il s’agit du denosumab. Comme pour l’OPG, plusieurs modèles animaux pré-cliniques ont permis d’étudier les effets du denosumab. Il en ressort que, chez les rongeurs, l’inhibition du RANKL par le denosumab donne des résultats comparables à ceux observés avec l’OPG à savoir une augmentation de la DMO, une suppression de la résorption et de la formation osseuse, une amélioration de la microarchitecture osseuse, sans aucun effet extra-osseux associé.
Des souris au singe
Afin d’étudier les effets de l’inhibition du RANKL sur la qualité osseuse, des expériences ont été menées chez le singe Cynomolgus (3). L’inhibition du RANKL par le denosumab (versus placebo) chez les singes femelles ovariectomisées (OVX) diminue les marqueurs de remodelage osseux, augmente le contenu minéral osseux, la DMO (vertèbre, hanche totale, radius) et la résistance osseuse à des sites corticaux et trabéculaires, accroît l’épaisseur corticale et diminue la porosité corticale. Par ailleurs, les propriétés intrinsèques du tissu osseux sont conservées. L’acquisition osseuse est étroitement corrélée à la résistance osseuse (rachis lombaire et col fémoral) chez les animaux traités par denosumab. Ces résultats suggèrent que l’inhibition du RANKL par le denosumab chez les singes OVX augmente la résistance osseuse en diminuant le remodelage et en augmentant la masse osseuse sans altérer le tissu osseux.
Pour arriver à l’homme
Le premier essai thérapeutique avec le denosumab a débuté en 2004. En 2006, une étude a été menée avec cette molécule chez des patients avec des métastases osseuses et une étude de phase 2 a été conduite chez des femmes ménopausées ostéoporotiques. En 2008, 4 études de phase 3 sont terminées dans l’ostéoporose… moins de 10 ans après l’identification du RANKL.
Dr Laurence Houdouin