Lait maternel et santé de l’enfant : Etat des lieux

L’intervention sur l’allaitement maternel au cours du Congrès des Sociétés de pédiatrie a quelque peu bouleversé les idées reçues. Si la supériorité du lait maternel ne peut être contestée, le Pr Dominique Turck a toutefois incité à beaucoup de prudence au sujet des bienfaits du lait maternel dans certaines affections, car il y a loin des allégations militantes aux faits scientifiques. Pour des raisons éthiques, il est évidemment impossible de réaliser des essais randomisés comparant l’allaitement maternel et l’alimentation au biberon et les facteurs de confusion dans les études observationnelles freinent la mise en évidence de liens de causalité.

Des effets prouvés dans les pays en développement

De larges études observationnelles, des revues systématiques et des méta-analyses permettent toutefois d’affirmer certains bénéfices de l’allaitement pour la santé de l’enfant. C’est ainsi qu’il n’est pas exagéré d’affirmer que dans les pays en développement, l’allaitement constitue une « véritable assurance-vie », par une réduction de la mortalité et de la morbidité d’origine infectieuse.

En revanche, les effets bénéfiques de l’allaitement sur l’allergie sont maintenant controversés, tout au moins au long cours. Si les données ne confirment pas non plus un effet protecteur vis-à-vis de la maladie cœliaque, elles indiquent un effet bénéfique sur les maladies inflammatoires intestinales à début pédiatrique. L’allaitement est aussi associé à une diminution de la prévalence du surpoids et de l’obésité à 5-6 ans, mais il n’a pas été prouvé d’effet protecteur à long terme sur les maladies cardio-vasculaires.

Le sujet qui déchaîne le plus de passions est toutefois celui du lien entre allaitement et développement cognitif. Mieux vaut, là encore, s’en tenir aux travaux disponibles. Ils montrent que le DHA (acide docosahexaénoïque) et l’acide sialique sont mieux intégrés dans le cerveau chez les enfants allaités, que la substance blanche semble mieux se développer chez ces derniers, mais rien ne permet d’affirmer que cela se traduit cliniquement par des avantages à long terme sur le développement cognitif.

Le microbiote, une étroite connexion mère-enfant

Le Pr Jean-Charles Picaud a pris le relais en soulignant que, contrairement à ce qui a longtemps été affirmé, le lait maternel n’est pas stérile. La connaissance du microbiote du lait maternel évolue très rapidement et l’on sait maintenant que, à côté d’une origine exogène, il existe aussi un cycle entéro-mammaire d’apport de bactéries, débutant avant l’accouchement et que la composition du microbiote du colostrum présente de nombreuses similitudes avec celle du microbiote intestinal de la mère. Récemment, plus de 600 espèces commensales différentes ont été identifiées dans le lait maternel, dont 9 espèces trouvées constamment, composant le « core microbiome ». Un nouveau-né à terme, qui ingère 800 ml par jour de lait maternel, absorbe aussi 1 x 105 à 1 x 107 bactéries vivantes, ce qui, associé aux autres composants du lait maternel, contribue à l’établissement de son microbiote.

Les HMO, la particularité du lait maternel

Parmi ces composants du lait maternel, les oligosaccharides du lait humain (HMO) font actuellement l’objet d’une attention particulière sur laquelle est revenu le Dr Jean-Pierre Chouraqui. Présents en quantité 300 fois supérieure dans le lait maternel que dans le lait de vache, à des concentrations variant au cours de l’allaitement, non modifiées par la pasteurisation ou la congélation, les HMO agissent comme des prébiotiques et favorisent l’inhibition des pathogènes, par un effet anti-adhésion des bactéries dans le tractus intestinal, les voies respiratoires hautes et les voies urinaires. Là encore, les freins à la réalisation d’essais randomisés empêchent de démontrer le bénéfice clinique de ces mécanismes sur la santé de l’enfant qui pourrait ouvrir la voie à une amélioration des laits infantiles.

Finalement, le Pr Turck a estimé que, pour promouvoir l’allaitement, la mise en avant de ses bénéfices sur la santé de l’enfant n’était peut-être pas la meilleure stratégie, en tous cas dans nos contrées.

Dr Roseline Péluchon

Référence
Table-ronde Allaitement et pathologies. Pr Dominique Turck : Les bénéfices de l’allaitement maternel. Pr Jean-Charle Picaud : Microbiote du lait maternel. Dr Jean-Pierre Chouraqui : HMO (Human Milk Oligosaccharides). Congrès des Sociétés de Pédiatrie, Lyon, 24-26 mai 2018.

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