Paris, le samedi 12 décembre 2015 – Le bouleversant voyage intime né de la maladie connaît un chemin plus singulier quand le malade est celui qu’on aime. Le désarroi intime, les peurs mêlées de tristesse et de culpabilité ne sont pas perturbées par les préoccupations physiques, les douleurs, l’énergie à survivre. Seule l’âme signe la souffrance. Ce bouleversement intérieur, imperceptible à l’œil nu, jusqu’à ce qu’il provoque les pires tempêtes est le sujet de L’Homme qui fuyait le Nobel de Patrick Tudoret. L’écrivain qui en est le héros, Tristan, fuit est devient invisible à toutes sollicitations médiatiques quand son nom est annoncé par l’Académie Nobel. L’unique lieu où il accepte encore de parler et d’écrire se trouve dans les lettres qu’il envoie à son épouse, sa danseuse, morte après des années de souffrance, tuée par une « saloperie ». C’est l’histoire particulière de ces deuils qui suivent des années entières d’âpre lutte à accompagner l’autre dans sa souffrance et sa déchéance : la danseuse, sous le poids de la maladie n’était bientôt devenue qu'une ombre. Le vide a tout à la fois la forme de l’être aimé, dont on peine à se souvenir de sa silhouette avant la maladie et celui du combat qui s’achève, désespérément perdu, face auquel même un Nobel n’est qu’une chimère.
Trinité
Ce n’est pas un époux que Margherita, l’héroïne de Mia madre dernier film de Nanni Moretti est en train de perdre, mais sa mère comme le titre de l’œuvre l’indique. Avec finesse et non sans humour, le réalisateur italien donne corps au chaos intérieur qu’est l’impossible préparation à la séparation et au deuil. Les désordres intimes de Marguherita transparaissent dans ses difficultés professionnelles (la réalisatrice doit faire face à de multiples complications sur son tournage) et dans sa vie personnelle, mais ils se manifestent également par le jeu de l’actrice et des milliers de détails dans son rapport à son frère et à sa mère, dans ce trio singulier en suspens avant la mort.
Trinité (bis)
Le spectre de la mort rode également dans le roman Ma mère, le crabe et moi d’Anne Percin, mais l’humour y est pourtant présent. Tania, adolescente, apprend le cancer du sein de sa mère et imperceptiblement voit sa vie transformée par cette épée de Damoclès et les souffrances bien réelles de sa mère. Pourtant, en apparence, rien ou presque n’est modifié dans son quotidien, les troubles ne semblent d’abord ne se manifester que dans les interstices, dans les creux. Le roman, conseillé notamment à un jeune public, mais pouvant également être parfaitement apprécié par les adultes retrace à son tour les méandres de cette vie intérieure bousculée par la maladie de l’alter ego.
Roman :
L’homme qui fuyait le Nobel, Patrick Tudoret, Grasset, 238 pages, 18 euros
Ma mère, le crabe et moi, d’Anne Percin, Editions du Rouergue, 128 pages, 10,20 euros
Cinéma :
Mia Madre, de Nanni Moretti, sortie le 2 décembre, 1h47
Aurélie Haroche