LE BLUES DES ADOLESCENTS BLEUS

Chacun sait que les progrès de la cardiologie, de l'anesthésie-réanimation et de la chirurgie cardiaque pédiatriques font qu'un nombre toujours croissant d'enfants nés porteurs d'une malformation cardiaque atteignent l'adolescence, mais sait-on dans quelle mesure leur cardiopathie affecte leur santé mentale ou leur fonctionnement psychosocial ?

La littérature, qui est à ce sujet abondante mais pas univoque, vient de s'enrichir d'une contribution norvégienne.

En effet, à l'Hôpital National d'Oslo, I. Spurkland et coll. ont étudié ce problème en comparant deux groupes, comprenant chacun 26 adolescents, 16 garçons et 10 filles, âgés de 13 à 18 ans (moyenne 16 ans), appariés selon le sexe, l'âge et l'habitat.

Le groupe 1 était composé de patients atteints des cardiopathies les plus graves, pour la plupart des cardiopathies cyanogènes complexes, le groupe 2 d'adolescents ayant bénéficié d'une fermeture chirurgicale de CIA. La comparaison a porté sur l'aptitude à l'effort physique, la santé mentale, le fonctionnement psychosocial et les difficultés familiales chroniques.

L'aptitude à l'effort physique a été mesurée par une épreuve sur cycloergomètre et exprimée selon la classification de la NYHA. Chaque patient a été vu par un psychiatre au cours d'un entretien semi-dirigé de 2,5 à 4 heures. Le psychiatre s'est également entretenu avec au moins l'un des deux parents pendant environ deux heures.

Contexte psychologique
et économique

Ces entretiens ont conduit à porter des diagnostics psychiatriques classés selon le DSM-III (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), à apprécier le fonctionnement psychosocial des adolescents selon l'échelle CGAS (Children's Global Assessment Scale), et à évaluer globalement, selon une échelle de 0 à 6, le poids des difficultés chroniques, sans rapport direct avec la pathologie cardiaque de l'enfant, rencontrées par la famille en termes de revenu, d'emploi, de logement, de couple, d'insertion sociale et de santé.

Enfin, les mères ont rempli un questionnaire d'à peu près 140 items, le CBCL (Child Behavior Checklist), explorant le comportement, l'équilibre émotionnel et la sociabilité de leur enfant.

Que l'aptitude physique à l'effort diffère considérablement entre les 2 groupes était attendu : elle était normale chez les patients opérés de CIA tandis que 50 % des sujets atteints de malformations complexes étaient en classes III et IV de la NYHA.

CIA : des troubles mineurs

Plus intéressant et inquiétant est de constater que l'incidence des problèmes psychiatriques majeurs atteint 1/3 des patients du groupe 2, le fonctionnement psychosocial n'apparaissant normal que chez 1/3 d'entre eux.

Dans le groupe des enfants opérés de CIA l'incidence des problèmes psychiatriques majeurs est normale (4%) ; néanmoins si dans ce même groupe les troubles psychiatriques mineurs sont pris en considération, leur fréquence légèrement anormale (42%) laisse penser qu'avoir une cardiopathie congénitale, même si elle n'entraîne aucun handicap physique, nuit discrètement à la santé mentale.

De plus, une corrélation significative a été trouvée dans le groupe 1 entre, d'une part l'aptitude à l'effort physique et, d'autre part le degré de pathologie mentale et la qualité du fonctionnement psychosocial (CGAS) (r = 0,46 et
r = 0,40 respectivement).

Cette association pourrait, selon les auteurs, refléter les effets nocifs des restrictions imposées par la pathologie ou l'entourage dans la pratique des sports ou, moins directement, l'influence de l'anxiété parentale et de la surprotection qui en résulte.

Enfin, si l'importance des difficultés familiales chroniques ne diffère pas entre les 2 groupes, il existe en revanche, une corrélation inverse étroite entre celles-ci et la qualité du fonctionnement psychosocial (CGAS) (r = 0,55).

Pas de surprotection

De cette étude il ressort qu'une bonne condition physique est d'une importance cruciale pour
la santé mentale et le bon fonctionnement psychosocial des adolescents atteints de cardiopathie congénitale.

Ceci souligne la nécessité de ne pas formuler d'interdits abusifs, mais au contraire d'inciter les enfants cardiaques à participer aux activités sportives adaptées à leur condition.

La plus grande précocité des réparations chirurgicales et l'amélioration de leurs résultats devraient permettre de réduire l'anxiété parentale et la surprotection de l'enfant qui ont des effets néfastes sur l'équilibre émotionnel et le comportement des enfants cardiaques. Quant aux difficultés chroniques économiques et sociales que rencontrent les familles et qui obèrent le développement psychosocial des enfants (cardiaques ou non), les médecins savent qu'ils doivent s'efforcer d'y remédier dans la mesure de leurs moyens.

 

Spurkland I. et coll. : "Mental health and psychosocial functioning in adolescents with congenital heart disease. A comparison between adolescents born with severe heart defect and atrial septal defect". Act. Paediatr., 1993 ; 82 : 71-76.

Tiré à part : Dr. I. Spurkland, Child psychiatric clinic at the University of Oslo, Postboks 59 Vinderen, 0319 Oslo 3, Norway.

Pierre Mauran

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