La notion « d’humeur » fait partie du lexique quotidien des
psychiatres. Mais, paradoxalement, ces derniers parlent rarement
des « émotions » ou des « sentiments ». Il faut dire qu’il s’agit
d’états très variables, parfois complexes, multiples, difficiles à
capter au cours d’une consultation « classique ».
Aujourd’hui, l’utilisation de smartphone, ou de capteurs connectés,
pourrait permettre de s’approcher de l’enregistrement des émotions
« en temps réels ». De plus, différentes équipes travaillent
sur la modélisation des émotions et la prédiction des variations
émotionnelles. Une équation a même été mise au point (que nous nous
garderons bien de commenter en détail) :
Happiness(t)=w0+w1∑j=1tγt−jCRj+w2∑j=1tγt−jEVj+w3∑j=1tγt−jRPEj. Et,
de ces travaux de recherche ressort quelques idées sur ce qui
peut donner une émotion positive :
- Les évènements récents ont plus de poids que les évènements anciens.
- Il existe une interaction entre notre humeur et la perception de notre environnement : c’est un système dynamique qui va potentiellement s’auto-entretenir.
- Enfin, ce qui fait varier le plus
l’humeur, c’est la surprise. Gagner de l’argent quand on ne s’y
attend pas rend bien plus heureux que lorsqu’il s’agit de son
salaire identique chaque mois.
Petites joies et prises de risque
En laboratoire, il est possible d’étudier en direct la
variation du ressenti émotionnel de sujets. Dans une étude publiée
dans Nature communications, les chercheurs ont soumis des
volontaires à un quiz de culture générale en les interrogeant sur
leurs émotions au fur et à mesure du test. Cette première étape
permet de mettre au point un algorithme présidant les émotions des
sujets.
Deuxième étape, on peut démontrer que le ressenti émotionnel
induit par le quiz est corrélé à la prise de risque. Il est demandé
aux sujets de choisir si oui ou non ils veulent bien miser des
points dans une épreuve de force (en pratique, presser un
dynamomètre). S’ils acceptent, ils ont la possibilité de gagner ou
de perdre beaucoup. S’ils refusent, ils se plient à la même tâche,
mais avec des gains ou des pertes limitées. Lorsque les sujets sont
plutôt dans un bon état d’esprit, ils prennent plus de risque, et
acceptent de relever le défi.
Toute l’expérience est réalisée en IRM fonctionnelle et permet
de montrer qu’une « bonne humeur », induite par des résultats
positifs au test, entraîne une activité du cortex préfrontal
ventromédian, corrélée à l’acceptation du défi, tandis que la
douleur d’avoir perdu induit l’activité de l’insula antérieure
corrélée au refus du défi.
Pourquoi prenons-nous plus de risque quand on est heureux ?
Comment expliquer que les résultats du quiz aient un impact
sur notre propension à prendre plus de risque, ces deux évènements
(le fait d’avoir bien répondu, et notre probabilité de réussir le
test moteur) n’ayant aucun rapport entre eux ? On peut faire
l’hypothèse que ce lien recouvre une réalité de la nature : les
différents éléments de notre environnement sont en fait souvent
liés. Par exemple, trouver un fruit dans un arbre rend probable le
fait d’en trouver dans d’autres arbres : c’est le printemps. Ainsi,
trouver un fruit va augmenter notre propension à en chercher
d’autres, et cela de façon véritablement adaptée à la probabilité
d’en trouver effectivement. Bref, l’influence d’une émotion
positive sur nos attentes, et notre volonté d’explorer notre
environnement confère un avantage adaptatif.
En d’autres termes, nous commençons à comprendre l’interaction
entre l’environnement et nos émotions. Sur le plan biologique,
plusieurs arguments suggèrent que la dopamine va moduler le poids
que nous donnons à un éventuel gain au moment de choisir de prendre
ou non un risque. Tout laisse à penser que ce neurotransmetteur
jour un rôle important dans l’évolution de notre humeur au
quotidien.
Dr Dominique-Jean Bouilliez