Paris, le samedi 1er août 2020 – Un métier où même les
hommes portent des robes. Mais les ténors rugissant ne laissaient
pourtant pas beaucoup de place à leurs consœurs. Ce conseil de
l’Ordre là non plus n’aime guère qu’on affiche aussi clairement en
public son adhésion à la légalisation de l’avortement. « Cette
affaire fait trop de bruit » bougonne le conseiller qui l’a
convoquée. Il suggère ainsi clairement qu’il n’a cure de sa vie
privée, mais qu’il réprouve les plaidoiries politiques. Le serment
d’avocat interdit en effet de critiquer aussi manifestement la loi
établie. « J’écopai d’une sanction. Ambiguë et modérée. A me
souvenir aujourd’hui de la cérémonie disciplinaire, je me laisse
aller à la gaieté », écrit Gisèle Halimi dans Le Lait de
l’oranger.
L’injustice comme damnation éternelle
Dans cette réponse à la hiérarchie tatillonne et obscure, Gisèle
Halimi dit sa liberté, inaliénable. Elle dit aussi sa révolte
contre l’injustice, contre les règles iniques, contre les
répressions aveugles et obscurantistes. L’injustice c’est de devoir
s’astreindre aux tâches ménagères, chaque jour, alors qu’elle est
une écolière brillante, quand ses frères, les cancres, ne sont
pratiquement jamais associés aux travaux domestiques. L’injustice
c’est d’entendre son institutrice la traiter de « sale juive
», alors qu’elle connaît une scolarité exemplaire. L’injustice
c’est de devoir accepter ce mariage arrangé avec ce marchand
d’huile quand elle rêve de carrière et d’amour. L’injustice c’est
d’embrasser les symboles d’une religion qui la marque, elle la
fille, la femme, comme impure et inférieure.
Non
Son arme, dans cette famille juive tunisienne pauvre, où la
naissance d’une fille est une telle malédiction que son père refusa
pendant plusieurs semaines de l’annoncer (avant d’aduler son
enfant), est le refus. Inébranlable et têtu. Il lui permet de
remporter toutes les victoires, même face à sa mère, qui n’a jamais
voulu manifester son affection pour l’enfant, la fille, et qui
semble la tenir pendant longtemps responsable de la mort d’un petit
frère. Zeiza Taïeb abandonnera les rites du judaïsme, ne fera plus
le lit de ses frères et ne se mariera pas avec un époux désigné.
Après l’obtention de son baccalauréat à Tunis, elle obtient la
permission de se rendre à Paris pour suivre des études de droit à
La Sorbonne.
Manifeste
Devenue Gisèle (son second prénom) Halimi (le nom de son
premier époux), la jeune femme est d’abord avocate à Tunis entre
1949 et 1956 avant de s’inscrire au barreau de Paris. Elle se fait
alors remarquer pour sa défense de plusieurs membres du FLN. Le
procès très médiatisé de Djamila Boupacha, défendue par Gisèle
Halimi, qui le transformera en accusation des méthodes de l’armée
française, lui vaut d’être approchée par Simone de Beauvoir. Les
deux femmes partagent les mêmes convictions féministes et c’est
donc sans surprise, même si la philosophe avait d’abord considéré
qu’en tant qu’avocate il lui était difficile de signer, que Gisèle
Halimi ajoute son nom au manifeste des 343 femmes célèbres,
révélant avoir avorté.
Tribune politique
Si dès cette époque, Gisèle Halimi est identifiée comme une
figure de la lutte pour le droit à l’avortement, c’est le procès de
Bobigny qui marque le plus symboliquement son engagement. L’avocate
est fin 1971 sollicitée pour prendre la défense de Marie-Claire
Chevalier et de sa mère Michèle. Marie-Claire Chevalier avait mis
fin à sa grossesse après avoir été violée, soutenue par sa mère et
les collègues de cette dernière. Dénoncées par le violeur quelques
semaines après l’avortement qui avait conduit à une hospitalisation
en raison d’une hémorragie, la jeune fille, sa mère et ses
collègues avaient été mises en examen. Gisèle Halimi leur propose
immédiatement de faire de ce procès une tribune politique pour la
libéralisation de l’avortement, ce que la famille accepte. Ainsi la
plaidoirie du 8 novembre 1972 n’évoquera que sporadiquement le cas
de Marie-Claire et de sa mère.
Les nombreux témoins cités par l’avocate avaient déjà donné le ton
: Simone de Beauvoir, Delphine Seyrig ou Françoise Fabian ont
exposé les raisons de leur signature au bas du manifeste, tandis
que les prix Nobel Jacques Monod et François Jacob ont exposé les
raisons à la fois biologiques et éthiques les conduisant à ne pas
s’opposer à l’avortement. Le témoignage du professeur Paul Milliez,
médecin catholique, père de six enfants, fut l’un des moments
phares : « Il n’y avait pas d’autre issue honnête »
déclara-t-il à propos du geste de Marie-Claire.
Le vieux démon de l’injustice
Enfin, Gisèle parle. Elle dit d’abord qu’elle a avorté. Elle dit
aussi tout de suite que si elle évoque « l’avortement et la
condition faite à la femme par une loi répressive (…) c’est moins
parce que le dossier nous y contraint que parce que cette loi est
pierre de touche de l’oppression qui frappe les femmes ». Elle
dit sa solidarité entière avec les femmes présentes « Elles sont
ma famille. Elles sont mon combat. Elles sont ma pratique
quotidienne ». Le procès de Marie-Claire Chevalier devient
celui de l’injustice séculaire contre les femmes, symbolisée par
l’interdiction de l’avortement. L’injustice est celle qui empêche
les femmes de mettre fin à une grossesse quand rien n’est fait pour
leur permettre de l’éviter. « La contraception, à l’heure
actuelle, c’est peut-être 6 % ou 8 % des femmes qui l’utilisent.
(…) Dans les milieux populaires, 1 % ! ». L’injustice c’est une
sanction qui frappe d’abord les milieux populaires : « Exemple
de cette justice de classe qui joue, sans la moindre exception
concernant les femmes : le manifeste des 343. (…) Trois cent
quarante-trois femmes (…) ont dénoncé le scandale de l’avortement
clandestin, le scandale de la répression et le scandale de ce
silence que l’on faisait sur cet avortement. Les a-t-on seulement
inculpées ? Nous a-t-on seulement interrogées ? ». L’injustice
c’est celle de devoir « donner la vie par échec », par
contrainte, par « erreur » poursuit Gisèle Halimi.
Pas contre, mais avec les hommes
La plaidoirie sera éminemment féministe. Mais Gisèle Halimi
n’oubliera pas de se présenter comme mère et comme responsable. «
Messieurs, heureusement pour vous, car je vous ai sentis
accablés sous le poids de mes témoins et de leur témoignage,
échappé de justesse à deux témoignages de jeunes gens de vingt ans
et de dix-sept ans, mes deux fils aînés, qui voulaient venir à
cette barre. Ils voulaient vous dire d’abord à quel point
l’éducation sexuelle avait été inexistante pendant leurs études.
(…) Ils voulaient faire (il faut le dire) mon procès. Mon procès,
c’est-à-dire le procès de tous les parents ». Ainsi, l’avocate,
comme tout au long de sa vie dans son engagement féministe, a voulu
dans ce discours porter l’idée que les hommes ne devaient pas être
considérés comme des obstacles à la libération de la femme mais
comme des acteurs de cette évolution, en tant qu’humain. C’est
ainsi qu’elle s’adresse aux quatre hommes du tribunal, quatre
hommes jugeant quatre femmes, note-t-elle. « En jugeant
aujourd’hui, vous allez vous déterminer à l’égard de l’avortement
et à l’égard de cette loi et de cette répression, et surtout, vous
ne devrez pas esquiver la question qui est fondamentale. Est-ce
qu’un être humain, quel que soit son sexe, a le droit de disposer
de lui-même ? Nous n’avons plus le droit de l’éviter ». Alors
qu’au cours d’un premier procès à huis clos (en raison de sa
minorité) Marie-Claire Chevalier avait été relaxée, Michèle
Chevalier a été condamnée à 500 francs d’amende, peine dont elle a
fait appel. Cet appel n’a jamais été plaidé, le ministère public
ayant laissé passer, probablement délibérément, le délai de
prescription de trois ans.
Sans maître, ni chignon
Le procès de Bobigny sera l’objet de centaines d’articles de
journaux et de reportages et constitua une étape marquante vers
l’autorisation de l’IVG en France. Deux ans après le procès de
Bobigny, la loi pénalisant l’avortement est abrogée, grâce au
travail mené par le ministre de la Santé, Simone Veil. A propos de
cette autre grande figure, Gisèle Halimi confiera, un brin
irrévérencieuse comme toujours. « Mes parents auraient rêvé que
je sois Simone Veil, bien élevée avec un chignon…». Mais Gisèle
n’était pas bien élevée et si elle fut toujours fidèle à ses
parents, malgré la froideur excessive de Fritna à laquelle elle
consacra un livre, elle défia souvent leur autorité et celle de
leur Dieu. Elle n’était pas plus intimidée par les grands de ce
monde, répondant du tac au tac au Général de Gaule, qui lui
demandait s’il fallait l’appeler « Mademoiselle » ou «
Madame » : « Appelez-moi Maître ». Cette boutade
révélait sans doute une solide estime d’elle-même et une faible
place pour l’autocritique, comme quand elle préféra reporter sur
François Mitterand la responsabilité de son échec de sa courte
carrière en politique.
Farouche
Continuant toujours à écrire chaque jour sur des innombrables
fiches des idées, des pensées, des projets, Gisèle Halimi consacra
également les dernières années de sa vie, avec la même force, la
même entièreté à son amour pour ses petits-enfants et surtout pour
sa petite fille. Au lendemain de ses 93 ans, la farouche s’est
éteinte.
Le 8 novembre 1972 dans sa robe noire, elle avait appelé : « Il
vous appartient aujourd’hui de dire que l’ère d’un monde fini
commence ».
Impeccable dans son juste et nécessaire combat féministe des années 70, qui n'avait rien de commun avec celui des féministes dévoyées geignardes et vindicatives d'aujourd'hui. Mais imbuvable dans sa défense de terroristes avérés et dans sa haine de l'Etat hébreu.
Dr Alexandre Krivitzky
Chapeau bas...
Le 07 août 2020
...lorsque l'on consacre sa vie à la défense d'un idéal humain! Cela me renvoie à moi-même et m'oblige à m'interroger! J'avoue que je ne connaissais pas le passé de cette avocate, et il aura fallu son décès pour que vous me l'appreniez! Merci.