
Paris, le samedi 9 mars 2013 – Assistants d’écoute vendus sans ordonnance dans les pharmacies, tentatives d’introduction sur le marché de grands groupes d’optique, influence de plus en plus pressante des mutuelles, velléité de créer des écoles privées d’audioprothésistes ou encore multiplication des tests d’audition gratuits: les turbulences sont nombreuses dans le secteur de l’audioprothèse. Ne jouissant pas toujours d’une excellente image (en raison notamment des critiques fréquentes concernant le prix des audioprothèses) et ne parvenant pas facilement à se faire entendre, les audioprothésistes observent cependant ces différents coups de butoir comme des dangers importants non seulement pour leur profession mais également en termes de santé publique. La question de la prise en charge des troubles de l’audition est de fait centrale aujourd’hui non seulement en raison du vieillissement de la population, mais également des insuffisances constatées en ce qui concerne le dépistage chez les plus jeunes et les risques auxquelles s’exposent les adolescents en raison de l’utilisation accrue d’écouteurs diffusant à hauts décibels. Pour faire le tour de ce sujet, loin d’être parfaitement entendu, entretien avec le président du Syndicat national des audioprothésistes, Luis Godinho.
JIM : Il est communément admis que le taux d’appareillage en France reste faible. Quels sont selon vous les principaux freins à l’appareillage et quelle est notamment à vos yeux l’influence du coût des prothèses ?
Luis Godinho : Il y a en effet une importante marge de progression en France en ce qui concerne le nombre d’appareils auditifs. Nous estimons ainsi que nous couvrons 36 % des besoins potentiels. Cependant, avec 7,97 appareils auditifs pour 1 000 habitants vendus en 2011, la France devance largement l’Italie (4,7 appareils) ou l’Espagne (2,8) et se situe en milieu de peloton en Europe, se rapprochant de l’Allemagne (10,8). Il existe cependant différents pays où le taux d’appareillage est bien plus élevé, tels les Pays Bas (13,8) ou la Suède (15,3). Enfin, les meilleurs taux de pénétration sont obtenus dans les pays offrant une prise en charge totale, le Danemark (22,4) et la Norvège (21,1).
S’appareiller ou non : ce n'est pas d’abord une question d’argent !
En France, un appareillage auditif coûte entre 900 et 2 100 euros. En fonction de la couverture complémentaire, on estime qu’en moyenne 60 % des frais restent à la charge des patients. Faut-il pourtant considérer que ce coût est le premier frein à l’acquisition d’un appareil auditif comme on l’entend très souvent ? Je n’en suis pas certain. Les enquêtes menées sur le sujet ne permettent pas de conclure dans ce sens. Ainsi, en 2012, la septième vague du baromètre « Les Français, la santé et l’argent », réalisé par AG2R La Mondiale et l’institut de sondage LH2 invitait les Français à citer les soins auxquels ils ont renoncé car ils étaient peu ou pas pris en charge par leur complémentaire. Seuls 2 % ont évoqué l’équipement auditif. Le baromètre Euro Trak 2009 a pour sa part mis en évidence que le taux d’équipement ne variait quasiment pas en fonction des revenus. Quelle que soit la tranche de revenus annuels entre 10 000 et 50 000 euros, le taux d’équipement oscille entre 29 et 31 %. Ce n’est que chez les très bas revenus (inférieurs à 10 000 euros) ou les plus élevés (supérieurs à 50 000 euros) que l’on observe une différence.
Une forte stigmatisation
Dans le même ordre d’idées, une étude publiée sur le sujet dans The Hearing Journal en mai 2011 a montré qu’une bonne partie des renoncements sont en réalité des « renoncements refus », liés à la forte stigmatisation de l’équipement auditif.
De nombreux éléments permettent d’étayer une telle conviction : il apparaît par exemple que la seule diminution du coût des appareils auditifs, même de 40 % n’accroît pas le taux d’acquisition. De même, il semble que la baisse des prix ne soit pas suffisante pour motiver les adultes présentant une baisse d’audition modérée à s’équiper plus tôt. Beaucoup de patients n’acquièrent ces appareils que s’ils sentent qu’ils en ont besoin, sans considération du coût et dépenseront souvent un petit supplément pour avoir le meilleur équipement. Enfin, l’enquête EuroTrack 2012 montre que la question du coût est considérée comme importante d’abord par les non équipés : elle est ainsi citée par 49 % de ceux qui n’ont pas d’appareils auditifs… et seulement par 14 % des personnes « appareillées ». Bref, il n’est absolument pas certain que la question du prix soit décisive dans le choix de se faire ou non appareiller, pour la majorité des malentendants de notre pays.
Une réflexion cependant essentielle sur la question du reste à charge
Cependant, je ne suis pas du tout en train de dire qu’il ne faut pas mener une réflexion sur la question du reste à charge et de la prise en charge.
JIM : Quelles sont vos propositions en la matière ?
Luis Godinho : Elles sont d’ordre divers. D’abord, chez les patients bénéficiant d’une couverture médicale universelle, nous suggérons une prise en charge de la 2ème oreille et une revalorisation de la prise en charge globale. Nous proposons de négocier avec l’Assurance maladie et l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire (UNOCAM), avec lesquelles nous sommes en discussion, une offre de qualité à prix fixe, avec un reste à charge modéré. Cependant, un reste à charge nul (chez ceux ne relevant pas des minimas sociaux) n’est pas nécessairement l’objectif ultime, étant donnée la situation économique actuelle.
JIM : A cet égard, que pensez-vous des réseaux de référencement constitués par les complémentaires santé dans votre secteur ?
Luis Godinho : Nous ne sommes pas convaincus qu’il s’agisse de la meilleure voie pour diminuer le reste à charge des patients et pour assurer la qualité de l’accompagnement. Le bon fonctionnement d’un appareil auditif est en effet très « acteur-dépendant ». J’aimerais à cet égard citer une étude publiée dans The Hearing Review qui a ainsi mis en évidence comment le taux de satisfaction des patients était très fortement corrélé au temps passé par l’audioprothésiste. Quand seuls 13 % des utilisateurs étaient satisfaits de leur appareil quand ils n’avaient reçu aucun conseil, ils étaient 68 % à se montrer satisfaits après avoir reçu deux heures de recommandations. En France, nous bénéficions d’un haut taux de satisfaction de nos patients, ce qui est sans doute en grande partie lié au rôle joué par les audioprothésistes (parallèlement au fait qu’il n’y a que peu de produits « bas de gamme »). L’enquête EuroTrack menée en février 2011 en Allemagne, France et Grande-Bretagne a mis en évidence que sur l’ensemble des paramètres, la France connaissait les plus haut niveaux de satisfaction qu’il s’agisse des situations d’écoute, de la qualité du son (qui sont liées aux réglages de l’appareil), de la qualité des produits et de l’accompagnement. Par exemple, 91 % des utilisateurs français se félicitaient du professionnalisme de la personne ayant réglé leur appareil, contre 84 % en Grande-Bretagne et 79 % en Allemagne. Ou encore 90 % des Français saluaient la qualité des conseils du professionnel contre 83 % en Grande Bretagne ou 75 % en Allemagne.
Un encadrement indispensable de la publicité
Il me semble important de conforter ces bons résultats en protégeant la liberté de choix du professionnel par les patients. Par conséquent, les remboursements différenciés par les complémentaires santé, selon que le patient consulte un membre de leurs réseaux ou non, ne sont pas adaptés à notre secteur.
De même, nous appelons à un encadrement de la publicité dans notre secteur. J’ai été ainsi récemment assez surpris de voir une publicité où l’on proposait un appareil auditif à « moins 40 % » et une paire de lunettes gratuite en plus ! Outre que ce type de message n’est sans doute pas productif, la demande étant relativement « inélastique » au prix, car les appareils auditifs sont perçus comme des « biens de nécessité », cela contribue à assimiler ces appareils à de simples biens de consommation. A votre avis, quel peut-être le sentiment d’une personne ayant des difficultés d’audition face à de telles réclames ? Elle n’a pas l’impression qu’il s’agit d’un sujet sérieux et il est peu probable que ce type de messages l’incite davantage à franchir le pas !
JIM : Mais justement à votre avis comment peut-on parvenir à inciter les gens à s’appareiller, à dépasser leurs réticences psychologiques ?
Luis Godinho : La question est difficile car les réticences sont extrêmement nombreuses, elles existent mêmes chez les professionnels de santé et les ORL, qui ne sont pas toujours très prompts à recommander l’acquisition d’un appareil. De notre côté, nous audioprothésistes sommes difficilement audibles, nous ne jouissons pas d’une parfaite réputation. A mon avis, c’est aux pouvoirs publics de s’emparer de ce sujet d’une extrême importance en termes de santé publique. Je n’ai pas l’impression que Marisol Touraine suive de près la question, mais il s’agit peut-être d’un chantier pour la ministre déléguée, Michèle Delaunay, chargée des personnes âgées et de la dépendance.
Des controverses qui font oublier les vrais enjeux de santé publique
Et cela est essentiel, car c’est une vraie question de santé publique. Les études ont été nombreuses à démontrer les bénéfices de l’appareillage. Chez les personnes encore en activité, il y a un impact certain sur la vie professionnelle, comme l’a montré le baromètre Euro Trak 2012. Mais c’est surtout chez les plus âgés que les bénéfices sont importants : l’appareillage permet d’éviter le repli sur soi, repli qui mène à l’isolement social, puis à la dépendance, avec des conséquences délétères pour la qualité de vie des personnes concernées mais aussi pour les dépenses de santé supportées par la collectivité. On a également mis en évidence le fait que l’utilisation d’un appareil auditif permet de réduire la survenue de dépressions et d’anxiété chez les plus âgés. On ne compte plus les études ayant établi des corrélations entre vieillissement, perte de l’ouïe et accroissement du risque de sénilité. Très récemment dans le JAMA, une étude a mis en évidence que les personnes âgées souffrant de perte auditive ont une accélération du déclin cognitif supérieure de 30 à 40 % par rapport à ceux qui n’en souffrent pas ! Bref, à l’heure du vieillissement de la population, c’est un sujet qui ne doit pas être passé sous silence et nous espérons bien que la future loi sur la dépendance s’intéressera à la question.
JIM : Enfin quelles sont vos réactions face aux recommandations très récentes de l’Académie de médecine qui s’est inquiétée de la prolifération des tests de dépistage gratuits et de la velléité de certains de créer des écoles semi privées d’audioprothèse ?
Luis Godinho : Nous rejoignons l’Académie dans ses constats. Nous aussi nous inquiétons de la « dérive marchande du secteur de l’audioprothèse ». Nous sommes satisfaits qu’une instance telle que l’Académie de médecine ait mis en garde contre « les risques majeurs de dé-médicalisation de la prise en charge de la surdité ». La consultation d’un médecin ORL est notamment essentielle pour éviter de passer à côté d’une pathologie sous jacente. Nous avons également noté la recommandation d’instaurer un numerus clausus de diplômés en audioprothèse.
Des prises de position sans équivoque des autorités sanitaires
Ces recommandations de l’Académie nationale de médecine interviennent après le point établi par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Le 29 janvier, soit la veille de son communiqué concernant l’interdiction de Diane 35, l’ANSM publiait en effet une mise au point juridiquement validée destinée à alerter sur les risques liés à l’utilisation d’assistants d’écoute sans prescription, sans consultation médicale et sans réglage et accompagnement par un audioprothésiste. Ces différents communiqués rappellent qu’un « assistant d’écoute » destiné à compenser une baisse de l’audition, aussi légère soit-elle, doit être fourni et adapté dans le cadre réglementaire français, c’est à dire par un audioprothésiste dans un local réglementé. A présent, nous attendons un message clair de l’Ordre national des pharmaciens rappelant la réglementation en vigueur. Enfin, nous espérons que l’ensemble de ces mises au point nous permettront de mieux nous faire entendre et que ces différentes alertes, diffusées par des instances aussi incontestables, finiront par ne plus être perçues comme la volonté corporatiste d’un secteur de défendre ses prérogatives, comme nous l’entendons hélas si souvent ! Surtout, j’aimerais qu’il nous soit possible, au-delà de toutes ces controverses, de nous concentrer sur les vrais enjeux de santé publique qui sont la nécessité de permettre un plus large accès aux appareils auditifs et de combattre les tabous qui aujourd’hui gâchent la vie des malentendants, c’est-à-dire de millions de Français.
Interview réalisée par Aurélie Haroche.