
Johnstown, le samedi 7 décembre 2013 - La justice américaine va peut-être dans les prochains jours changer le cours de l’histoire de l’humanité et la perception que nous en avons. En effet, Le "Non Human Rights Project" a saisi ce lundi la cour de justice de la ville de Johnstown, dans l’Etat de New York, au nom de Tommy, un chimpanzé vivant actuellement en cage sur un terrain pour caravanes à Gloversville, afin qu’il lui soit reconnu la possibilité de se prévaloir des droits de l’homme.
L’organisation prévoit de faire de même pour d’autres singes en
captivité aux Etats-Unis, qui chez des particuliers, qui «
emprisonnés » dans des laboratoires de recherche.
Cette association demande à la justice de reconnaître aux
chimpanzés leur « liberté de mouvement » et d’enjoindre à leurs
propriétaires de les envoyer dans un sanctuaire afin qu’ils
puissent vivre « parmi les leurs dans un univers aussi proche
que possible de l’état sauvage ».
L’association se prévaut de l’habeas corpus, qui énonce la liberté fondamentale de ne pas être emprisonné sans jugement et elle souligne que les tribunaux de New York avaient utilisé ce fondement pour établir que les esclaves ne pouvaient être l’objet d’un droit de propriété et avaient droit à la liberté.
« Notre dossier (...) établit clairement pourquoi ces êtres
autonomes, au comportement complexe, ont le droit légal de ne pas
être emprisonnés » affirme l’association.
La justice peut accepter ou non de se saisir du dossier, mais si
elle refuse, l’organisation a déjà prévu d'interjeter appel.
Si c’est un homme…est-ce une personne ?
Pour régler ce problème juridique il faudra donc aux magistrats
américains trancher une épineuse et fondamentale question :
qu’est-ce qu’un homme et beaucoup plus complexe encore, qu’est ce
qu’une personne ?
La réponse à la première interrogation semble finalement assez
évidente. L’être humain se distinguant aisément du singe d’un point
de vue tant physiologique qu’éthologique.
La question de la personnalité, semble quant à elle infiniment plus
complexe, car elle se définit en quelque sorte par une tautologie,
une personne est un sujet de droit et d'obligation. Une personne
serait donc en quelque sorte ce que la législation et la
jurisprudence considèrent comme une personne.
Au terme d’une approche comportementaliste et philosophique, la
personne est un sujet apprenant, ignorant et naturellement
maladroit, présentant un potentiel de progression…ce qui peut tout
à fait se rapporter aux singes.
Dans le mémoire qui a été remis au juge, les défenseurs de Tommy font quant à eux valoir, qu’on ne peut nier le caractère de personne aux chimpanzés, car ils posséderaient des capacités cognitives complexes tels que la conscience de soi, la conscience du passé, l'anticipation de l'avenir et la capacité de faire des choix ou celle d’avoir des émotions élaborées comme l'empathie…Ils rappellent également que la justice américaine reconnait déjà aux chiens et aux chats la capacité d’hériter, et préviennent qu’ils songent à se lancer dans des démarches de « libération » identiques pour les éléphants ou les dauphins.
La planète des hommes : un éternel Treblinka
En refusant l’application des droits de l’homme au singe, ne ferions-nous pas comme dans le roman de Pierre Boule La planète des singes la même erreur que ces singes condamnant des hommes à l’esclavage, ramenés par la force au statut d’animal pour la seule raison qu’ils sont dominés ?
Si cette cour de justice venait à refuser de reconnaître aux singes des droits universellement (au moins en théorie) reconnus aux hommes, ne serait-elle pas à son tour la complice de ce que Isaac Bashevis Singer appelait un éternel Treblinka. « Dans les relations avec les animaux, tous les gens sont des nazis; pour les animaux, c'est un éternel Treblinka », écrivait l’écrivain américain.
La philosophe Elisabeth de Fontenay s’est également intéressée au sort réservé aux animaux. Songeant, elle aussi, aux victimes des camps d’extermination qui se faisaient insulter dans une langue qu’ils ne comprenaient pas, elle s’interroge dans son ouvrage « Le silence des bêtes, la philosophie à l’épreuve de l’animalité » : « Subir une langue qui n'est plus faite de mots mais seulement de cris de haine et qui n'exprime rien d'autre que le pouvoir infini de la terreur, le paroxysme de l'intelligibilité meurtrière, n'est-ce-pas précisément le sort que connaissent tant et tant d'animaux ?»
Frédéric Haroche