L’incontournable conférence « Quoi de neuf en rhumatologie » présidé cette année par RM. Flipo (Lille) et P. Goupille (Tours) a permis un tour d’horizon sur les avancées les plus marquantes dans l’ostéoporose et la pathologie osseuse en particulier. Riche actualité dans ce domaine : l’évaluation des risques de fracture et l’ostéo-immunologie (L’ostéo-immunologie à l’honneur) étaient à l’honneur.
Hommage à Pierre Delmas
Avant de débuter son exposé sur les actualités 2008 dans l’ostéoporose, P. Orcel (Paris) a rendu hommage au Professeur P. Delmas dont la disparition prématurée à l’âge de 58 ans a laissé un grand vide dans la communauté scientifique française et internationale. Rappelons que cet éminent représentant de la Rhumatologie Française, particulièrement impliqué dans l’ostéoporose (signataire de 470 articles recensés dans PubMed à ce jour) était notamment chef du service de rhumatologie et pathologie osseuse à l’hôpital Edouard Herriot de Lyon, directeur de l’unité de recherche INSERM 831 sur l’ostéoporose et la qualité osseuse, mais aussi président fondateur de l’ International Osteoporosis Foundation (IOF) et du Health Council on Osteoporosis jusqu’en avril 2008.
FRAX, l’outil tant attendu !
L’évaluation du risque des fractures dans l’ostéoporose représentait un des sujets de prédilection de P. Delmas. Et, dans ce cadre, la mise à disposition en accès libre sur internet de FRAX, nouveau score de risque, représente une avancée dans le domaine de l’ostéoporose. FRAX permet à partir de 11 items cliniques +/- la DMO au col fémoral de prédire sur 10 ans le risque de fractures ostéoporotiques, dites majeures, et le risque de fracture de hanche. Se pose désormais la question de savoir comment exploiter ces chiffres en termes d’évaluation du risque et de discussion des indications thérapeutiques. Ces réflexions sont en cours en France et devraient donner lieu à une réévaluation des recommandations des traitements de l’ostéoporose par l’Afssaps et la HAS en 2009. (FRAX en pratique quotidienne : intérêt et limites ).
Analyse d’éléments finis : cela ne fait que commencer !
Mais comme l’a souligné P. Orcel (Paris), les différentes variables utilisées par FRAX pour établir le risque fracturaire ne tiennent pas compte de la résistance mécanique des os, facteur non plus quantitatif, mais qualitatif. A l’avenir, des méthodes évaluant la qualité du tissu cortical et trabéculaire osseux nous permettront sans doute d’affiner l’évaluation du risque de fracture. Dans la cohorte OFELY (Boutroy et coll.), le risque de fracture du poignet a été évalué à l’aide d’une mesure tomodensitométrique à haute résolution (HR-pQCT) de l’extrémité inférieure du poignet et par analyse en éléments finis : 33 patientes ayant des antécédents de fracture ont été comparées à 33 témoins appariés sans antécédent de fracture. La tomodensitométrie associée à l’analyse en éléments finis permet de mesurer la densité osseuse volumétrique, la microarchitecture et des paramètres de résistance mécanique (dérivés de cette analyse particulière en éléments finis). Les auteurs démontrent que les fractures du poignet sont associées à une diminution de la densité volumétrique et surfacique, une diminution des paramètres d’architecture (tels que l’épaisseur corticale ou le nombre des travées) et de différents paramètres mécaniques. Cinq composantes structurales et mécaniques indépendantes expliquent plus de 85 % de la variance totale des caractéristiques osseuses ; plus de la moitié de cette variance étant expliquée par la charge de rupture estimée par l’analyse en éléments finis, la densité minérale osseuse surfacique et volumétrique et l’épaisseur corticale. Ainsi l’évaluation non invasive des propriétés mécaniques de l’os pourrait améliorer la prédiction de risque de fracture du poignet (L’imagerie au-delà de l’ostéodensitométrie ). Une autre équipe (Vico et coll.) a également utilisé le scanner à haute résolution pour évaluer la microstructure corticale et trabéculaire au radius et au tibia chez des patientes ostéoporotiques avec fracture récente du poignet (n=50), ou du col du fémur (n=62) et 54 témoins. Les résultats montrent que l’analyse structurale de l’os à l’aide de cette technique pourrait permettre de mieux distinguer les patientes à risque de fracture de hanche de celles à risque de fracture du poignet.
Sur la piste des gènes de l’ostéoporose…
Dans l’évaluation du risque, il faut également considérer la piste des gènes de l’ostéoporose. Une étude qui a utilisé une technique de « génome scan » a ainsi identifié 314 075 polymorphismes (SNPs) potentiellement intéressants chez 2 094 femmes ménopausées. Deux SNPs ont été associés avec un phénotype de DMO basse : l’un est localisé sur le chromosome 8 près du gène TNFRSF11B (ostéoprotégérine) et l’autre sur le chromosome 11 dans le gène de LRP5. Ces deux protéines sont impliquées de façon majeure dans la différenciation et l’activité des cellules osseuses, ostéoclastes et ostéoblastes (Richards et coll.). Le SNP du gène LRP5 est aussi associé à une augmentation du risque d’ostéoporose (odds ratio=1,3 ; p=0,008) et de fracture (OR=1,3 ; p=0,002).
Quoi de neuf du coté de la vitamine D et des anti-acides ?
La relation entre vitamine D et fracture du col du fémur est controversée dans la littérature. En 2008, deux études ont réévalué cette association. Le premier travail a été conduit chez des femmes ménopausées (n=400) et des témoins appariés (n=400) (Cautey et coll.). Les résultats montrent que les femmes dont le taux de vitamine D se situent dans le quartile inférieur (<19 ng/ml) ont un risque augmenté de fractures par rapport à celles du quartile supérieur (>28 ng/ml) avec un gradient significatif pour les quartiles croissants. Chaque diminution de 1 ng/ml de 25-OH vitamine D augmente de 3 % le risque de fracture. Dans le second travail, mené chez 1 311 hommes et femmes ambulatoires de la Longitudinal Aging Study Amsterdam, le seuil de 12 ng/ml permet la meilleure discrimination entre les patients avec et sans fracture (Van Shorr et coll.). Cependant, après ajustement pour les facteurs de confusion et séparation des classes d’âge, ce seuil n’est prédictif des fractures que chez les patients les plus jeunes (65-75 ans). Pour les autres seuils, aucune prédiction du risque de fracture n’est constatée.
Le lien entre anti-acides et risque de fracture a également fait l’objet de plusieurs travaux.
Une étude européenne avait suggéré en 2007 un lien éventuel entre inhibiteur de la pompe à protons (IPP) et fracture vertébrale (Briot K et Roux C). Cette relation a été réévaluée dans les cohortes SOF (6 339 femmes de plus de 65 ans) et MrOS (5 755 hommes de plus de 65 ans) par mesure de la DMO, recueil de l’information sur la prise d’anti-H2 ou d’IPP à l’inclusion et des événements fracturaires au cours du suivi prospectif (Yu et coll.). La DMO est diminuée chez les hommes (pas chez les femmes) utilisateurs d’anti-H2 ou d’IPP. Le risque de fracture non vertébrale (sauf les hanches) est augmenté (+ 30 %) chez les femmes utilisatrices d’IPP et chez les hommes (mais seulement chez ceux ne prenant pas de supplément calcique). Aucune augmentation du risque de fractures n’est associée à la prise d’anti-H2. Enfin, il n’y a pas d’augmentation du risque de fracture de hanche dans cette étude pour les IPP et les anti-H2.
Acquis et perspectives
En 2008, l’évaluation du risque fracturaire en cas d’ostéoporose repose sur la recherche de plusieurs facteurs de risque cliniques bien identifiés, associée à l’ostéodensitométrie. Un nouveau score de risque FRAX est par ailleurs à la disposition des praticiens. A l’avenir, des marqueurs du remodelage osseux et de nouvelles techniques d’imagerie permettront sans doute d’évaluer plus précisément encore, et individuellement, le risque fracturaire. L’identification de SNPs représentera peut-être aussi un outil du futur…
Dr Lucienne Didier