Quelle influence exercent les grands essais sur la pratique clinique ? Les médecins modifient-ils leurs prescriptions ? Appréhendent-ils différemment la "maladie" ?
Plusieurs grands essais ayant récemment porté sur le traitement de l'infarctus myocardique, il semblait judicieux de comparer leurs effets directs sur la pratique médicale. Pour ce faire, l'utilisation de l'aspirine ainsi que des inhibiteurs calciques a été analysée chez 2231 survivants d'un infarctus myocardique inclus dans l'étude SAVE ("Survival and Ventricular Enlargement Study") et suivis entre janvier 1987 et janvier 1990, c'est-à-dire avant et après la publication de trois grandes études : la Physician's Health Study (portant sur la prévention primaire de l'infarctus par l'aspirine, janvier 1988), l'étude ISIS-2 (International Study of Infarct Survival), évaluant l'utilisation de l'aspirine en post-infarctus, publiée en août 1988) et le Multicenter Diltiazem Postinfarction Trial, publié au même moment et qui soulignait les effets délétères du diltiazem après infarctus dans certaines populations de patients.
Durant le suivi, le pourcentage d'utilisateurs de l'aspirine avant un infarctus myocardique est passé de 16,2% à 23,9% (p<0,001). Lorsque les seuls sujets présentant des facteurs de risque (antécédents de cardiopathie, diabète, dyslipidémie, HTA) ont été pris en compte (1674 sujets sur 2231, soit 75%), ces pourcentages sont passés de 18,3 à 28,1%.
Pour les autres patients, le taux de prescription d'aspirine est resté faible et inchangé au cours de ces trois années. L'entrée dans l'étude après la publication de la Physician's Health Study s'est révélée un facteur prédictif indépendant de l'utilisation d'aspirine avant la survenue d'un infarctus myocardique. Le taux de presciption d'aspirine après une nécrose au cours de ces trois années est passé de 38,8 à 71,9% (p<0,001). Après publication d'ISIS-2, l'inclusion dans l'analyse s'est également révélée un facteur prédictif indépendant de la consommation d'aspirine après un infarctus.
Avant la survenue de leur infarctus, 22,8% des patients inclus dans l'analyse prenaient des inhibiteurs calciques. Après nécrose, ce chiffre est passé à 42,1%. Les malades qui ont reçu des inhibiteurs calciques après infarctus étaient souvent hypertendus (47% vs 40%, p=0,002), ont plus fréquemment bénéficié d'une angioplastie coronaire (25% vs 11%, p=0,002) et ont plus rarement présenté un épisode d'insuffisance cardiaque gauche au cours de leur hospitalisation (63 vs 58%, p=0,025). L'utilisation de ce type de traitement a notoirement diminué au cours des trois années de suivi (de 57,1 à 33,1%). Cette chute a été encore plus prononcée après angioplastie (de 56,8 à 28,6%). L'inclusion après la publication de la Multicenter Diltiazem Postinfarction Trial s'est également révélée un facteur prédictif indépendant et négatif de l'utilisation d'inhibiteurs calciques.
L'utilisation des bêta-bloquants de janvier 1987 à janvier 1990 a servi de référence : la prévalence de leur prescription ne s'est pas modifiée. Ainsi, les résultats des grandes études multicentriques ne restent pas sans effet sur les prescripteurs et leurs « ordonnances » sont là pour le prouver.
Joëlle Chahbenderian