Selon la définition de l’ELN 2006 (European Leukemia Net) utilisée actuellement, on parle de phase accélérée s’il existe au moins un des items suivants : un taux de blastes sanguins ou médullaires inférieur à 30 % et supérieur ou égal à 15 % ; un taux de blastes et de promyélocytes sanguins ou médullaires supérieur à 30 %, mais avec un taux de blastes qui reste inférieur à 30 % ; un taux de plaquettes < 100 000/mm3 ; un taux de basophiles sanguins supérieur ou égal à 20 %. On comprend ainsi que les LMC en phase accélérée sont des maladies extrêmement hétérogènes. Par ailleurs, il faut souligner que les anomalies chromosomiques additionnelles ne font pas partie de la définition de l’ELN, alors qu’elles sont incluses dans la définition de la phase accélérée de l’OMS. Le traitement de la phase accélérée au diagnostic, ou survenant au cours d’un traitement par imatinib, consiste en la réalisation d’une allogreffe précédée d’un traitement par inhibiteur de tyrosine kinase (ITK) (recommandations de l’ELN 2009).
Des données anciennes et des suivis trop courts
Seule l’imatinib à forte dose (600 mg/ j) possède une AMM en première ligne dans la phase accélérée. Les ITK de 2e génération (ITK2) n’ont pas fait l’objet d’études d’enregistrement chez les patients d’emblée en phase accélérée. Les ITK2 n’ont ainsi pas d’AMM en première ligne et sont préconisés en 2e ligne : nilotinib (400 mg x 2 /j) et dasatinib (140 mg/j). Par ailleurs, il faut souligner qu’il n’existe pas actuellement de définition claire de la réponse optimale et de la résistance aux ITK en phase accélérée.
L’AMM de l’imatinib est basée sur un essai d’enregistrement de phase II ayant majoritairement inclus des patients ayant évolué vers une phase accéléré après traitement par IFN-alpha et/ou chimiothérapie, avec un suivi très court sur 12 mois. Les résultats ne sont guère satisfaisants avec 34 % de réponse hématologique complète à 12 mois. Même si les résultats avec les ITK2 en seconde ligne sont légèrement meilleurs, les AMM des ITK2 dans cette indication reposent également sur des essais d’enregistrement ayant majoritairement inclus des patients pré-exposés à l’IFN-alpha et/ou à une chimiothérapie, avant échec ou intolérance sous imatinib. De plus, il était possible d’inclure dans ces essais des patients porters de la mutation T315I. Enfin, les durées de suivie sont très courtes de 12 à 24 mois.
Des résultats récents encourageants
Comment appliquer ces connaissances relativement anciennes à des patients diagnostiqués en phase accélérée d’emblée en 2013 ?
Une étude récente permet d’apporter des éléments de réponse (1). Dans ce travail, ont été inclus 42 patients, dont 16 en phase chronique qui présentaient uniquement des anomalies chromosomiques additionnelles (ACA), et 26 qui présentaient tous les critères d’accélération hématologique (HEM-AP) avec ACA (n = 10) ou sans ACA (n = 16). Parmi les ACA, il y avait principalement des trisomie 8 (n = 4), des duplications du chromosome de Philadelphie (n = 3) et des anomalies du chromosome 6 (n = 3). Tous les patients ont été traités par imatinib.
Il en ressort que les patients du groupe HEM-AP sans ACA présentent les meilleurs taux cumulés de réponses hématologique ou cytogénétique (RHC : 94 %, RCyM : 94 %, RCyC : 81 %). Ceux du groupe HEM-AP + ACA ont les moins bonnes réponses (RHC : 70 %, RCyM : 40 % et RCyC : 30 %) et ceux du groupe ACA ont des réponses « intermédiaires » (RHC : 87 %, RCyM : 75 %, RCyC : 56 %). L’échec était défini par l’absence de réponse hématologique complète à 3 mois, l’absence de réponse cytogénétique majeure à 6 mois ou de réponse cytogénétique complète à 12 mois («échec primaire) ; la perte d’une RHC ou d’une RCyM ; la progression vers une phase blastique ou le décès. Globalement, la survie sans échec à 24 mois était de 54,2 % (intervalle de confiance à 95 % [IC95] de 39 % à 69,5 %) dont 85,7 % dans le groupe HEM-AP, 43,8 % dans le groupe ACA et 15 % dans le groupe HEM-AP + ACA. Les chiffres correspondants pour la survie sans progression vers une phase blastique ou le décès sont respectivement de 87,2 % (IC95 de 76,6 % à 97,7 %), 100 % (HEM-AP), 92,8 % (ACA), 58,3 % (HEM-AP + ACA). On constate que la réponse cytogénétique à 6 mois est très importante pour le pronostic et représente un argument fort de poursuite du traitement puisqu’en cas de réponse cytogénétique majeure à 6 mois, la survie sans progression est de 100 % à 36 mois versus 76,2 % en son absence (p = 0 ,0131).
Le pronostic selon les anomalies chromosomiques additionnelles
Au total, l’imatinib en première intention chez les patients en
phase accélérée au diagnostic est efficace, surtout en cas
d’accélération hématologique sans ACA. Ces derniers patients ont un
devenir favorable en l’absence d’allogreffe de cellules souches
hématopoiétiques (qui n’est pas un traitement obligatoire dans ce
cas de figure) ; la cinétique de réponse optimale n’est cependant
pas définie.
En revanche, l’échec de l’imatinib est fréquent chez les patients
porteurs d’ACA sans accélération hématologique au diagnostic. La
valeur pronostique des différents types d’ACA n’est probablement
pas la même et reste à déterminer.
Enfin, l’efficacité de l’imatinib est très insuffisante chez les patients en accélération hématologique et porteurs d’ACA au diagnostic.
L’évaluation d’ITK de nouvelle génération en première ligne seuls ou en association est indispensable dans la LMC en phase accélérée avec ACA et chez les patients sans accélération hématologiques mais porteurs d’ACA.
Dr Laurence Houdouin