
Paris, le samedi 2 mai 2015 – Invités à se prononcer sur une liste de dix professions, les Français interrogés par l’institut CSA pour Direct Matin ont placé au premier rang le métier de médecin (recueillant 13 % des voix), devant celui de vétérinaire (10 %) ou encore d’acteur (9 %). Il serait facile (et peut-être précipité) de conclure des résultats de cette enquête que les Français aiment leurs médecins. Cependant, tous les sondages d’opinion le rappellent régulièrement: les Français ont globalement une grande confiance dans leurs professionnels de santé. Il n’est en outre pas nécessaire de se plonger dans les chiffres des instituts et autres agences pour s’en convaincre. Les sourires des patients en disent souvent tout aussi long. Sur son blog « Le kiné, ce héros ? Si on en parlait… », Leila K. évoque dans un post récent ces nombreuses situations où l’on découvre dans les yeux des malades: reconnaissance et soulagement. « Le long de ces innombrables pentes sur lesquelles je les accompagne, bon gré, mal gré, il y a disséminées au gré du hasard, quelques moments-pépites, infiniment beaux et précieux dont ma soif, jamais ne s’étanche. Des instants, fugaces, où l’autre que l’on soigne, auparavant terni par la peine, s’emplit soudain d’une lumière que je ne vis que pour revoir encore. Le sourire de la femme, enceinte jusqu’au cou, qui, un peu soulagée, enfin, a pu dormir et laisser au placard ses cernes et ses larmes. Le soupir de celui qui tout en bas de la dernière pente, savoure la caresse de mes mains chaudes qui lui dénouent la nuque, une dernière fois. Les petites fossettes qui renaissent au coin des lèvres de cette femme qui s’extirpe difficilement d’un long harcèlement au travail, évoqué à demi-mot lors d’une séance. Ces petites rides qui s’effacent d’une séance à l’autre sur des fronts plissés par la douleur, sourde, lancinante, incessante qui consent enfin une trêve. Inconsciemment, je les scrute, encore et encore, et à mesure que certains se réapproprient leur corps, leur vie et leur autonomie…, leurs visages, leurs regards se transforment. Comme un masque qui tombe et laisse entrevoir la beauté du bonheur » écrit Leila K. N’en jetez plus. A ceux qui ne veulent retenir que cet aspect de la relation médecin malade, qui ne veulent pas croire que d’autres arrières pensées gangrènent les sentiments (pour ne pas dire les ressentiments) que les malades nourrissent à l’égard de ceux qui les soignent, il est préférable d’interrompre la lecture ici.
Les médecins ne prennent plus le temps…
Au-delà en effet de la relation intime entre un médecin et un patient, l’environnement médiatique contribue au contraire à nourrir une image très dévalorisée du médecin, une image très éloignée de celui qui fait naître un nouveau souffle à celui qui souffre. Et les patients, loin de défendre leurs praticiens, loin de ne s’inspirer que de la reconnaissance que parfois ils éprouvent à l’égard des médecins, souscrivent très fortement aux portraits peu flatteurs entretenus par la presse, quand ils ne participent pas à les brosser. C’est la gastroentérologue Marion Lagneau auteur du blog « Cris et Chuchotements » qui en fait la démonstration. Dans une note récente, elle s’est attelée à établir à un verbatim assez large de toutes les récriminations émanant de patients qui fleurissent sur le web. Il s’agit notamment des commentaires postés à la suite d’articles présentant les revendications et malaises des médecins. Contrastant très fortement avec le beau portrait dressé par Leila K. des « instants pépites » qui constituent l’essence des relations entre les soignants et leurs malades, les patients se montrent sans illusion sur l’attention que les praticiens leurs accordent. « Il faut savoir ce que vous avez, ce que vous voulez, et vous avez effectué les trois quart de la consultation qui dure à peine 10 minutes ! Voici comment je vois la relation patient/médecin à l’heure actuelle » écrit un internaute, dont le message est retranscrit par Marion Lagneau. « Il est certain que le médical a perdu de sa valeur » renchérit un autre.
… et comptent trop sur l’argent !
Derrière cette présentation peu amène des liens médecin/malade, le nerf de la guerre semble indubitablement l’argent. Et si certains médecins blogueurs affirment parfois que leurs patients ne cachent pas leur étonnement en constatant la faiblesse du tarif de la consultation, le ton est bien différent sur la toile. « Vingt-trois euros la consultation, ça fait quand même autour de 92 euros de l’heure » lance un visiteur, cité par Marion Lagneau, tandis qu’un autre se lance dans de grandes leçons : « Si le médecin n’était pas intéressé par l’appât du gain, la médecine se porterait beaucoup mieux », tandis que plusieurs se font l’écho d’un tel sentiment. On s’en doute, de telles convictions sur les tarifs des médecins n’augurent guère un soutien massif aux revendications actuelles. De fait, les habitués des commentaires n’observent guère d’un très bon œil l’appel à un passage unilatéral du tarif de la consultation à 25 euros. « Je ne décide pas de mes augmentations, le problème est bien là » observe par exemple un lecteur. On ne trouve guère plus d’appui en ce qui concerne la généralisation du tiers payant : beaucoup de commentaires, parmi ceux cités par l’auteur de Cris et chuchotements, espérant (et se félicitant) que cette mesure permettra de révéler au grand jour les dépassements d’honoraires des médecins.
Ne pas confondre patients et internautes
De ces différentes citations, qui révèlent également une suspicion sur la qualité des médecins et des exaspérations en ce qui concerne les délais d’attente, Mariol Lagneau conclut : « Ces textes libres ne doivent pas être sous-estimés. En effet, ils pourraient correspondre à une partie émergée de l’iceberg des pensées souterraines de pas mal de patients. A lire ces écrits librement rédigés, sans contrainte et sans contrôle, on réalise que, secrètement, quelque part au fond d’eux, nombre d’utilisateurs du système de santé ressentent pas mal de pensées négatives envers leurs médecins, et semblent en large partie d’accord avec ce qu’on leur inflige. Ce qui permet, in fine, de réaliser que les actions des médecins contre la loi de santé recueillent de l’hostilité, voire de l’indifférence, mais pas de véritable soutien de la part des patients. Nombre d’entre eux pensent que les médecins méritent ce qui arrive ». On se permettra cependant de ne pas partager totalement le pessimisme de ces cris et chuchotements et de rappeler qu’internet est souvent un exutoire pour exprimer ses ressentiments, quand les personnes simplement satisfaites, se montrent, comme partout, moins prolixes. Il existe ainsi très certainement un biais déformant dans les propos ainsi récoltés par Marion Lagneau (qui elle-même à aucun moment ne rapporte des déclarations éventuellement plus positives et on ne peut douter qu’il en existe !). En outre, on ne peut oublier que les relations médecin/malade sont inévitablement douées d’ambivalence, marquées tout à la fois par la reconnaissance et l’espoir et par le rejet lié à la hantise de la maladie.
Aussi, si vous préférez vous convaincre que les questions pécuniaires et les considérations politiques n’entrent que peu dans les sentiments profonds des patients envers ceux qui les soignent, n’hésitez pas à retrouver les lignes de Leila K., mais si vous préférez vous inquiéter de la désacralisation de la fonction de médecin, retrouvez les analyses de Cris et Chuchotements.
http://leya-mk.blogspot.fr/2015/04/lucioles.html
http://www.cris-et-chuchotements.net/2015/04/en-fait-on-ne-nous-aime-pas-tant-que-ca.html
Aurélie Haroche