Les mystérieuses encéphalopathies de Kalachi

Kalachi, le samedi 28 février 2015 – Depuis mars 2013, 101 habitants (sur 680) du village de Kalachi au Kazakhstan ont été atteints d’une encéphalopathie d’étiologie inconnue caractérisée par une somnolence, une amnésie et des hallucinations.

Kalachi, au nord du Kazakhstan jouxte la cité fantôme de Krasnokorsk, qui était jusqu’au début des années 90, entièrement dévolue à l’extraction de l’uranium.

Un « trou noir » et des hallucinations

L’agence Interfax, le Siberian Times ainsi que Le Monde ont recueilli de nombreux témoignages qui permettent de dresser un tableau clinique. Les malades évoquent tous un endormissement brutal, un « trou noir » suivi d’un sommeil de 2 à 6 jours et pour certains des hallucinations au réveil et dans les jours suivants.

Et il semble, comme le démontrent certains cas survenus chez des personnes en simple visite dans le village, qu’il n’y ait pas besoin de séjourner longtemps à Kalachi pour être victime de cette étrange épidémie.

Par précaution, des résidents ont déjà été déplacés. Mais l'opération est délicate, certains refusant de quitter la ville. Bien qu'une consultation locale ait en effet révélé que 42 % des votants ne souhaitaient pas déménager, les autorités ont néanmoins décidé de l’évacuation totale de la bourgade dans les mois à venir.

De la vodka au radon, 4 étiologies sur la sellette

Les examens médicaux n'ont rien révélé, faisant place aux conjectures. Le premier coupable désigné aura été la vodka frelatée, mais sa responsabilité a rapidement été écartée. Des médecins ont ensuite évoqué la possibilité qu’il s’agisse d’une « psychose de masse ».

Une équipe d’une douzaine de scientifiques a finalement été dépêchée à  Kalachi pour tenter de percer cette énigme. Ils ont rapidement mis en avant la possibilité d’un facteur toxique, remarquant un niveau élevé de monoxyde de carbone dans l’air. Sergei Lukashenko, le directeur de la Sécurité de Radiation du Centre Nucléaire national du Kazakhstan explique néanmoins qu’il ne peut assurer qu’il s’agisse du  «  facteur principal et essentiel».

La théorie retenue en dernière instance est celle développé par l’école polytechnique de Tomsk (en Russie) qui décèle dans ce mal une exposition au radon, un gaz se formant dans la chaîne de désintégration radioactive de l'uranium. 

Mais cette explication est loin de faire l’unanimité, Sergei Lukashenko, assure que tout ceci « n’a rien à voir avec le radon ». Un anesthésiste a également expliqué que « lorsqu’on utilise des gaz proches du radon sur des patients, ils se réveillent au maximum une heure après l’opération. Là, on est face à des gens qui dorment entre deux et six jours ». Un ancien travailleur de la mine de Krasnogorsk a également déclaré au Siberian Times que lorsqu'il y descendait, « la concentration en radon était très élevée et personne ne s’endormait ».

Un ergotisme ?

On aurait pu également effleurer l’idée qu’il puisse s’agir d’ergotisme, résultat d’un empoisonnement à long terme par des alcaloïdes produits par l'ergot du seigle (Claviceps purpurea).

L'ergotisme,  également connu sous le nom de mal des ardents et feu de Saint-Antoine a largement touché l’empire Russe à travers l’histoire et persiste encore dans les pays peu développés comme en témoignent des flambées récentes en Éthiopie en 2001 et au Kenya en 2004.

Les symptômes peuvent être divisés en deux groupes, convulsifs et gangréneux. Les premiers s’accompagnant souvent d’hallucinations ressemblant à celles déclenchées par le LSD (dont l’ergotamine, l’alcaloïde de l'ergot, est un précurseur immédiat avec lequel il partage certaines similitudes structurelles), et des troubles psychiatriques (manie, psychose...). Quant aux phénomènes gangréneux, l’histoire ne dit pas si les patients de Kalachi ont présenté de tels signes…

Un nouveau Pont Saint-Esprit ?

Ces encéphalopathies d’origine inconnues rappellent à notre mémoire un précédent, celui dit du « pain maudit de Pont-Saint-Esprit ».

L'affaire du pain maudit est une série d'intoxications alimentaires qui toucha la France à l'été 1951, dont la plus sérieuse à partir du 17 août à Pont-Saint-Esprit. Elle y fera cinq morts, cinquante personnes internées dans des hôpitaux psychiatriques et deux cent cinquante personnes atteintes plus ou moins sévèrement et durablement.

L'enquête judiciaire et médicale menée à l'époque ne permit pas de déceler avec certitude la cause de ce mal qui frappa cette commune de moins de cinq mille âmes.

Outre une vague d’ergotisme (hypothèse la plus probable), on a également évoqué le rôle d’un fongicide utilisé pour la conservation des grains, celui des mycotoxines qui peuvent se développer dans les silos à grain, ou encore celui de l’agéne (un produit chimique utilisé pour blanchir artificiellement le pain)…Une théorie « complotiste » a également été avancée au cours des années suivantes, la vague hallucinatoire de Pont Saint-Esprit étant alors attribué à une expérimentation du LSD par la CIA !
En définitive, l'affaire du pain maudit de Pont-Saint-Esprit conserve, à ce jour une part de mystère, espérons que la sagacité des kazakhs évitera un tel (non) dénouement…

Frédéric Haroche

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