
Avant d’être au centre de cette affaire digne de la guerre
froide, le major Jamie Lee Henry était devenu(e) un des symboles de
la progression des droits des personnes LGBT aux Etats-Unis.
Médecin militaire, elle était en effet devenue en 2015 le premier
officier ouvertement transgenre de l’armée américaine. Institution
éminemment conservatrice, qui n’a toléré des homosexuels dans ses
rangs qu’à partir de 1993, l’armée américaine avait pourtant
accepté que l’officier change de nom, un an avant que la
réglementation interdisant aux personnes atteintes de dysphorie de
genre d’intégrer les forces armées ne soit abolie.
Si l’officier transsexuel(le) avait alors été encensé(e) par
la presse progressiste pour son courage, ses nouveaux faits d’armes
lui ont valu moins d’acclamations. Le 28 septembre dernier, elle et
son épouse, le Dr Anna Gabrielian, ont en effet été arrêtées et
mises en examen pour avoir tenté de livrer des informations
secrètes à la Russie. Les deux présumées traitres encourent 10 ans
de prison pour conspiration plus cinq ans pour avoir divulgué des
informations médicales secrètes. Elles ont été libérées sous
caution et assignées à domicile.
Troubles de l’identité de l’agent sous couverture
Un communiqué du ministère de la Justice nous apprend que, à
plusieurs reprises durant le mois d’août, les deux praticiennes ont
rencontré dans une chambre d’hôtel de Baltimore un individu
qu’elles croyaient être un espion russe, mais qui était en réalité
un agent du FBI (le contre-espionnage américain) sous
couverture.
En tant que médecin militaire, la major Henry a alors proposé
au faux espion russe de lui fournir des informations médicales
secrètes sur des membres hauts gradés de l’armée américaine ainsi
que sur le fonctionnement du système de santé des armées, « tel
que la manière dont l’armée américaine établit un hôpital de
campagne sur le front et des informations sur l’aide apportée par
les Etats-Unis à l’armée ukrainienne » peut-on lire dans le
communiqué. Lors d’un autre rendez-vous avec l’agent sous
couverture, Jamie Lee Henry lui a livré le dossier médical de sept
membres des forces armées et de leurs proches, indiquant pour l’un
d’eux qu’il souffrait d’une maladie que « la Russie pourrait
utiliser contre lui ».
Quel est le sexe du capitaine ?
La motivation du couple de médecins-espions semble être avant
tout politique. Le major Henry a en effet expliqué au faux agent
russe qu’elle considérait que la guerre en Ukraine avait en réalité
été déclenchée par les Etats-Unis pour nuire à la Russie.
Elle aurait même tenté de s’engager dans l’armée russe (!)
avant d’être déboutée en raison de son manque d’expérience du
combat. Sans doute ignorait elle que la Russie est loin de faire
preuve de la même ouverture d’esprit envers les transsexuels que
l’armée américaine (et c’est un euphémisme). Cette naïveté
confondante pourrait d’ailleurs être considérée comme une
circonstance atténuante lors d’un éventuel procès…
Une certaine confusion règne encore sur cette affaire qui ne
fait que débuter, y compris d’ailleurs sur le genre du major Henry.
L’acte de mise en examen de l’accusé se réfère en effet à elle en
utilisant le pronom « il » et en le qualifiant de « mari
» de son épouse. Le ministère de la Justice a expliqué que
c’était le major Henry et sa femme eux-mêmes qui utilisaient des
pronoms masculins pour parler de lui (ou d’elle). Le site de la
chaine CNBC reconnait avoir dû modifier plusieurs fois son article
sur le sujet, ne sachant plus à quel pronom se vouer (comme le
signataire de notre texte).
Quentin Haroche