
Les protéines de transfert lipidique (LTP) sont des allergènes végétaux produites par de nombreux végétaux, dans les pollens, fruits ou autres parties de la plante. Elles sont résistantes aux enzymes digestives et à la cuisson, ce qui en fait des allergènes alimentaires redoutables. Elles sont impliquées dans des réactions croisées et des manifestations systémiques d’allergie alimentaire (AA). A l’occasion de la deuxième journée du Réseau d’Allergo Vigilance (RAV), Dr Carine METZ FAVRE (CHRU de Strasbourg) est revenue sur l’évolution des allergies sévères aux LTPs, grâce notamment aux données récentes déclarées au RAV.
En 2019, lors des premières rencontres du RAV, la littérature s’accordait sur le fait que l’allergie aux LTPs était une allergie à expression variable, qui concernait majoritairement les adultes. Chez les patients sensibilisés au LTP de la pêche (Pru p 3), certains était asymptomatiques et d’autres présentaient une expression clinique variable (urticaire de contact, syndrome oral ou anaphylaxie pour certains). Parmi les facteurs de risque de l’anaphylaxie se détachaient :
-la présence d’une allergie alimentaire aux légumes,
-la présence de cofacteurs (alcool, AINS, effort physique surtout chez l’adulte, stress, menstruations, températures extrêmes),
-la quantité de LTPs contenues dans l’allergène alimentaire,
-et la vacuité gastrique.
A contrario, certains facteurs étaient sans impact sur la gravité des manifestations cliniques comme : le nombre de sensibilisation aux aliments, le taux d’IgE Pru p 3 et la taille des tests cutanés Pru p 3. Les études ont même permis d’identifier des facteurs protecteurs comme la co-sensibilisation à d’autres panallergènes (profilines, PR10).
Quels sont les marqueurs de sévérité de l’AA via les LTPs en 2023 ?
Les récentes publications présentées par Dr Metz Favre viennent confirmer ces observations à l’exemple de cette étude italienne (1) qui a rassemblé un total de 426 sujets sensibilisés à au moins un LTP (screening réalisé sur une puce multiallergénique ISAC qui contient 15 LTP). L’âge moyen dans la cohorte était de 34 ans avec une prédominance féminine (68 %) et, fait nouveau, des nourrissons étaient inclus (intervalle d’âge 2-74 ans). Parmi les sujets sensibilisés, 19 % étaient asymptomatiques, 34 % présentaient un syndrome oral et 47 % présentaient une urticaire ou une anaphylaxie. Les facteurs sans influence sur la gravité de l’expression clinique étaient : l’âge, le sexe et le taux d’IgE Pru p 3. Les facteurs favorisant la gravité étaient l’exercice physique et la prise d’AINS. Les facteurs protecteurs quant à eux étaient la co-sensibilisation aux profilines et/ou PR10 et la présence d’une dermatite atopique. (1)
Une autre étude mérite d’être soulignée selon l’oratrice, celle de Casas-Saucedo R et coll (2), une étude prospective espagnole rassemblant un total de 67 patients (11-68 ans, 67 % de femmes) présentant une allergie alimentaire sévère imputable aux LTPs. L’exploration incluait des tests cutanés à tous les aliments incriminés dans l’allergie et un panel de pneumallergènes définis. Au total, 55 participants présentaient une anaphylaxie seule (n=134 réactions), et 12 patients une anaphylaxie associée à un choc anaphylactique (n=16 réactions). Dans cette étude, l’unique facteur qui permet de différencier une anaphylaxie d’un choc anaphylactique est le nombre d’accidents allergiques, probablement car les patients ayant précédemment présenté un choc anaphylactique sont plus prudents que les autres.
Chez les enfants, ne pas initier de régime d’éviction sur la base d’une sensibilisation
Les enfants étaient rarement représentés dans les cohortes de patients allergiques aux LTPs, mais ce constat commence à être bousculé. Des auteurs italiens rapportent les résultats d’une étude rétrospective (3) portant sur 800 enfants âgés entre 1 et 18 ans et suivis pendant 10 ans dans un service d’allergologie pour cause d’allergie, de rhinite, de conjonctivite ou dermatite atopique avec une suspicion d’AA. L’analyse du sérum des enfants en puce ISAC a permis d’étudier l’évolution des sensibilisations aux LTPs au fil des années.
En 2010, 3 LTPs/8 LTPs étudiés étaient positives (pêche, noisette, armoise). Durant la décennie de suivi, les auteurs rapportent un pourcentage croissant de sensibilisations avec, en 2023, l’ensemble des 8 LTPs reconnues chez ces enfants. Les auteurs rappellent au passage qu’il ne s’agit que de sensibilisations et qu’un régime d’éviction ne doit pas être initié dans ces cas-là.
Enfin, dans une étude portugaise (4) portant sur un effectif plus petit d’enfants (n=26, 1-17 ans) mais présentant une réelle allergie alimentaire aux végétaux comestibles et une sensibilisation aux LTPs (IgE et tests cutanés), tout comme chez l’adulte, l’expression clinique est variable (syndrome oral, urticaire, 46 % d’anaphylaxie). Les facteurs prédictifs de la gravité sont les cofacteurs (surtout l’exercice physique) et le nombre d’AA rapportées. Dr Metz Favre rejoint les recommandations de ces auteurs qui préconisent de maintenir une tolérance orale chez les enfants, par exemple en les laissant manger les fruits des rosacées épluchés en dehors de l’effort.
A quand une étude française ?
In fine, pour prédire l’AA grave aux LTPs, il ne reste que la clinique, la poly réactivité LTPs, la co-sensibilisation à PR10 et/ou profilines et les cofacteurs précédemment cités. Le test d’activation des basophiles ne semble pas utile pour prédire la gravité de l’AA aux LTPs car il ne discrimine a priori que les sujets symptomatiques versus asymptomatiques.
Dr Metz Favre clôture sa présentation par les données d’AA sévère aux LTPs issues des déclarations au RAV. Malgré le manque d’uniformité dans les investigations (anamnèse, tests allergologiques), ces déclarations permettent de confirmer que l’allergie sévère aux LTPs ne concerne pas que le pourtour méditerranéen, avec des cas rapportés dans le nord de la France. Les caractéristiques démographiques sont concordantes avec les études cliniques (majorité de femmes, âge le plus souvent compris entre 20 et 50 ans mais incluant des enfants). Malgré la forte prévalence de cas graves (n=36 anaphylaxies), l’adrénaline reste trop peu utilisée (55 %). Les allergènes incriminés sont en majorité les rosacées et les céréales (riz, mais, blé) et les facteurs de risque de sensibilisation aux LTPs sont : le cannabis, le latex, les pollens et les cofacteurs (alcool ++).
L’oratrice propose à ses confrères d’améliorer le phénotypage des patients sensibilités aux LTPs et insiste sur l’importante de l’éducation thérapeutique des patients, notamment : éviter les cofacteurs, consommer les fruits épluchés, éviter les évictions infondées et se former à l’usage de l’adrénaline.
Résumé de communication réalisé en collaboration avec l’entreprise Nutricia.
Dr Dounia Hamdi