L’illusion du «cannabis médical»

Certaines législations (comme la « Proposition 215 » en Californie) [1] ont-elles ouvert une boîte de Pandore, en permettant un « usage thérapeutique » du cannabis ? The American Journal of Psychiatry ouvre en tout cas le débat sur cette dimension « médicale » de la marijuana, un débat pollué par l’aspect « récréatif » de cette drogue dite « douce. » Mais à tort car, tant par la sélection de plants enrichis en tétra-hydro-cannabinol (THC) que par les nouveaux modes de consommation (pipes à eau), le cannabis actuel s’avère bien plus nocif que celui des années 1960 prônant une culture « sexe, drogue et rock and roll. » Quand on connaît en outre la « lipophilie exceptionnellement élevée » du THC (comme le rappelait récemment sur Jim le Pr. Jean Costentin [2]), on ne peut que redouter une extension « médicale » de l’usage de ce produit favorisant pourtant la schizophrénie, le cancer broncho-pulmonaire et le risque d’accidents (de la route ou du travail). D’autant plus qu’il n’existe « aucune documentation scientifique à l’appui d’un éventuel bénéfice clinique » du cannabis. Quand on lit ainsi dans l’article de Wikipedia consacré au « cannabis médical [3] » qu’il aurait un intérêt comme « anti-psychotique dans le traitement alternatif de la schizophrénie » et qu’il s’agirait là d’une « propriété scientifiquement reconnue », on reste atterré devant tant d’inconscience, de désinformation ou d’ignorance ! Il en irait peut-être autrement si, contrairement à l’évolution observée en pratique, cet usage thérapeutique pouvait s’appuyer sur des plantes appauvries en THC, afin de minimiser les effets nocifs pour le cerveau. Mais dans l’état actuel de la question, il est clairement plus risqué de participer à la banalisation de cette substance que de se priver d’un éventuel bénéfice qu’elle pourrait présenter (comme un effet analgésique ou antiémétique). Surtout, en « permettant cette consommation » dans certains cas, l’autorité médicale serait alors en mauvaise posture pour dénoncer, ailleurs, toutes ses conséquences néfastes, « y compris la dimension criminelle » attachée à ce produit : besoins croissants d’argent pour en obtenir, trafics, initiation à une poly-toxicomanie…

Et sur un sujet proche, celui des « dispensaires » (salles de « shoot »), on doit méditer la conclusion des auteurs : « Dans le Colorado et en Californie, plusieurs villes ont interdit le recours à ces centres d’injection supervisé à cause du chaos créé » par ces structures d’encadrement médical des toxicomanies. Ainsi, « involontairement, des médecins [exerçant dans ces établissements controversés] auront contribué à aggraver les problèmes » liés aux toxicomanies…

[1] http://en.wikipedia.org/wiki/California_Proposition_215_(1996 )
[2] http://www.jim.fr/print/e-docs/00/02/05/78/document_edito.phtml
[3] http://fr.wikipedia.org/wiki/Cannabis_m%C3%A9dical

Dr Alain Cohen

Référence
Kleber HD & Dupont RL : Physicians and medical marijuana. Am J. Psychiatry 2012 ; 169-06 : 564 –568.

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Vos réactions (8)

  • Pour poursuivre le débat ...

    Le 02 juillet 2012

    ... Je vous renvoie au communiqué des Académies nationales de médecine et de pharmacie sur la dépénalisation du cannabis :
    http://www.academie-medecine.fr/detailPublication.cfm?idRub=27&idLigne=2355
    Bien cordialement.
    Dr Philippe Arvers (Grenoble).

  • Pas de THC dans le cannabis !

    Le 02 juillet 2012

    La plante ne contient pas de THC !
    Il est navrant que cette erreur court non seulement les grands médias mais aussi de médias plus pointus. Le THC est synthétisé par le foie. La plante contient des précurseurs de cette molécule.
    JL Bernard

  • Le cannabis contient évidemment du THC !

    Le 08 juillet 2012

    Je ne peux pas laisser notre confrère propager ce type de désinformation singulière: le cannabis contient bien sûr du THC! Je cite ici une source qu’on ne saurait qualifier de « média grand public », le "Séminaire de Psychiatrie Biologique" (Hôpital Sainte-Anne, Tome 34, 2003-2004), page 7: "Le Cannabis sativa comporte 61 variétés de cannabinoïdes différents et son principal principe actif est le delta-9-tétrahydrocannabinol. Lorsque le cannabis est fumé, le pic plasmatique (de THC) est obtenu en 3 à 8 minutes et les effets psychotropes d'une intoxication aiguë durent deux à trois heures." Si une synthèse hépatique était requise préalablement, je doute que trois minutes suffiraient à obtenir ce pic plasmatique! Et à ma connaissance, le cannabis ne présente pas moins d'effet nocif en cas d'insuffisance de la fonction hépatique, ce qui serait le cas si l'hypothèse d'une synthèse hépatique du THC prévalait!

    Dr Alain Cohen

  • Quelles sont vos sources ?

    Le 08 juillet 2012

    A propos de tout ceci, voici ce que l'on nous donne à lire :
    "… On ne peut que redouter une extension « médicale » de l’usage de ce produit favorisant pourtant la schizophrénie…"
    Pourrait-on voir là enfin signée scientifiquement la source d'un tel propos ?
    En effet, si le cannabis était si "générateur de schizophrénie", n'aurait-on pas eu depuis plus de trente ans une explosion des chiffres de la prévalence de la schizophrénie (notamment en France), sachant que ces derniers affichaient jusque il y a peu, une prévalence de 1% sur toute la planète (du moins là où l'on savait encore compter !)...
    Et encore :
    "…Surtout, en « permettant cette consommation » dans certains cas, l’autorité médicale serait alors en mauvaise posture pour dénoncer, ailleurs, toutes ses conséquences néfastes, « y compris la dimension criminelle » attachée à ce produit : besoins croissants d’argent pour en obtenir, trafics, initiation à une poly-toxicomanie…"
    De ce propos, je ne retire qu'une leçon de chose : " Et l'alcool dans tout ce foutoir ?!…" Associé ou non au cannabis, l'alcool remplit nos services d'urgences, nos prisons mais aussi nos cimetières : qui va enfin le dire haut et fort ?!…
    Quant au lien proposé sur le " communiqué commun des Académies nationales de médecine et de
    pharmacie", il nous est donné de lire (http://www.academie-medecine.fr/detailPublication.cfm?idRub=27&idLigne=2355) :
    "…Le cannabis n’est pas une drogue « douce »…"
    Alors, que dire de l'alcool et, surtout quels sont les critères retenus pour authentifier une "drogue dure" ?, les mêmes critères que le tabac ?...
    Et sur le même lien on suit :
    "…Bien que certaines activités thérapeutiques du cannabis aient été alléguées, la pharmacopée n’est pas dépourvue de véritables médicaments ayant satisfait aux nombreux et rigoureux critères permettant d’accéder à ce statut et développant des propriétés pharmacologiques supérieures à celles du THC…"
    On aimerait bien savoir les fameuses références : "nombreux et rigoureux critères"…
    Et toujours sur le même lien, on lit :
    "…Mais surtout, ce qui qualifie un médicament est son rapport bénéfice/risque établi par l’analyse des bienfaits que pourra en retirer le patient, comparés aux risques d’effets secondaires et de toxicité. S’agissant du cannabis /THC, alors que les effets pharmacologiques sont d’une intensité modeste, les effets secondaires sont nombreux et très souvent adverses…"
    Un grand merci pour la leçon de "critériologie", les ex-usagers du Mediator et/ou des prothèses PIP apprécieront.

    Frédéric Lascoutounax

  • Nous allons vers des problèmes de société massifs

    Le 10 juillet 2012

    Encore une fois, certains doutent (bien à tort) de la dangerosité générale et plus spécifiquement psychiatrique du cannabis! Mais oui, il existe bien une augmentation des troubles psychotiques! Encore faut-il rechercher la consommation de cette drogue chez les intéressés, ce qui n'est pas toujours fait. Et je rejette votre argument tendant à minimiser les risques du cannabis sous prétexte de la légalité d'autres drogues (tout aussi nocives: tabac, alcool) et du dysfonctionnement éventuel de certaines de nos thérapeutiques: cela n'a strictement rien à voir avec le sujet! Je pense au contraire que nous nous allons vers des problèmes de société massifs, quand des apprentis sorciers (fussent-ils ministres) proposent la libéralisation de cette drogue favorisant les troubles psychotiques, et cela au moment même où le nombre de psychiatres en France diminue de façon drastique(-12% entre 2006 et 2010, et -40% attendu entre 2006 et 2020)! Vous voulez une source précise? Toujours la même ("Séminaire de Psychiatrie Biologique", Conférence de M. Tournier et H. Verdoux, Hôpital Sainte-Anne, Tome 34, 2003-2004), page 9: "Certaines études ont évalué la survenue de symptômes psychotiques lors d'une administration de cannabis. Elles ont montré l'apparition de symptômes psychotiques chez certains sujets, avec une relation de type dose-effet entre la dose de cannabis et la survenue de symptômes psychotiques (Isbel et al., 1967). Des essais ont été faits dans un contexte d'évaluation de l'efficacité anti-émétique dans le cadre des chimiothérapies anti-cancéreuses. Il a été retrouvé dans ces essais versus placebo: 6 % d'hallucinations et 5 % d'idées délirantes de persécution sous cannabis, alors qu'il n'y en avait pas sous placebo (Tramer et al., 2001). Il s'agissait (dans cette étude) de doses de cannabis assez minimes." Sans commentaire. Ou plutôt, si : pour ouvrir vos yeux sur les ravages actuels et prévisibles de la "pandémie cannabique", visitez donc le site http://drogaddiction.com/
    Dr Alain Cohen

  • Bravo les sources !

    Le 11 juillet 2012

    Wikipédia, merci pour ces sources pertinentes.
    Rien que pour cela je ne vais pas prendre la peine de lire cet article.

  • Wikipedia : ni rejet ni dévotion !

    Le 15 juillet 2012

    «Rien que pour ça, je ne vais pas prendre la peine de vous lire.» Voilà un bel exemple du sectarisme navrant où s’enlise le débat sur la question du cannabis ! En effet, si vous preniez la peine de me lire, vous auriez constaté que j’approuve l’article de l’encyclopédie en ligne quand c’est mérité (référence[1] sur la proposition 215), mais je suis au contraire très critique quand un élément de l’article est scientifiquement infondé, voire assimilable à une contrevérité flagrante (l’allusion aux vertus prétendument «antipsychotiques» du cannabis, dans la référence[3]). En résumé, diaboliser systématiquement Wikipedia est un très mauvais procès, car certains de ses articles sont excellents, et l’élimination de toute référence à cette encyclopédie en ligne me semble relever d’une forme de «snobisme» intellectuel (analogue à celui de certains enseignants qui dénigraient par exemple Science et Vie, au temps lointain du PCEM). En revanche, il est vrai que certaines âneries (comme celle du «cannabis, traitement alternatif de la schizophrénie») émaillent parfois cette encyclopédie, et doivent alors être contestées, comme je le fais précisément ici.

    Alain Cohen

  • "Mais oui, il existe bien une augmentation des troubles psychotiques!..."

    Le 16 juillet 2012

    "...Encore faut-il rechercher la consommation de cette drogue chez les intéressés, ce qui n'est pas toujours fait.."
    Vos sources ? :
    "...Elles ont montré l'apparition de symptômes psychotiques chez certains sujets, avec une relation de type dose-effet entre la dose de cannabis et la survenue de symptômes psychotiques (Isbel et al., 1967)..."
    Bon alors franchement, que faites-vous des 1% de schizophrènes sur la planète et surtout dans notre Pays, quand on sait que vos sources dateraient de 1967 ?
    Vraiment, je suis navré et, psychiatre de surcroît...

    Frederic Lascoutounax

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