Les effecteurs de l’immunité cellulaire ont la capacité de
contrôler les cellules leucémiques dans la leucémie myéloïde
chronique (LMC), au moins dans un contexte allogénique. Les
arguments plaidant dans ce sens sont anciens : augmentation de
l’incidence des rechutes dans les allogreffes déplétées dont les
greffons ont été déplétés en lymphocytes CD3+, possibilité de
diminution, voire d’indétectabilité, de la maladie résiduelle après
diminution de l’immunosuppression post-allogreffe, sensibilité des
rechutes, en particulier moléculaires ou cytogénétiques, à
l’administration des lymphocytes du donneur.
Dans la situation autologue, l’efficacité de l’immunitaire est
moins évidente bien qu’il existe des antigènes tumoraux, par
exemple bcr-abl, la protéinase 3 et WT1, et qu’il existe des
réponses T dirigées contre ces antigènes chez les patients
répondeurs à l’interféron alpha. Chez la grande majorité des
patients, l’imatinib contrôle de façon stable et à des taux faibles
la LMC mais n’éradique pas la maladie. Au début de l’imatinib, les
personnes travaillant sur immunité et leucémie (dont moi-même) ont
eu du mal à persuader bon nombre d’hématologues français de
l’intérêt de la poursuite de leurs recherches dans la LMC.
L’impossibilité d’éradication de la maladie résiduelle sous
imatinib et inhibiteurs de tyrosine kinase de 2ème génération leur
donne raison. Ce type de travail, bien que difficile, doit garder
sa place.
Dans la LMC-phase chronique (PC), le réarrangement bcr-abl peut donner lieu à 2 types de transcrits majeurs selon les points de cassure : b3a2 et b2a2. Des épitopes peptidiques de 9 acides aminés incluant la zone de fusion et reconnus par des lymphocytes T CD8+ ont été mis en évidence en ce qui concerne b3a2, restreints par HLA-A2, HLA-B8, HLA-A3 et HLA-A11. Un épitope de 14 acides aminés de la zone de fusion est reconnu par les lymphocytes CD4+, présenté par un certain nombre de molécules HLA de classe II. Le rôle de ces lymphocytes T spécifiques de bcr-abl dans la lutte anti-leucémique chez les patients n’est pas connu.
Essais de vaccination peptidique chez les patients sous imatinib
Plus de 3 équipes différentes mènent des essais de vaccination peptidique chez les patients sous imatinib dont K. Revzani, J. Barrett et coll. à Bethesda, M. Bocchia et coll. à l’université de Sienne, R. Clark et coll. à Liverpool. Le Dr Richard Clark a présenté au cours de cette communication les résultats publiés de l’essai EPIC (Leukemia 2007).
Rappelons qu’il s’agit d’un essai de phase I/II visant à évaluer la tolérance de la vaccination peptidique chez des patients atteints de LMC-PC en rémission hématologique complète et stable sous imatinib depuis au moins 6 mois. Le vaccin comporte 1 peptide bcr-abl présenté par la classe I (différent selon le typage HLA A3/A11 ou non A3/A11) et plusieurs versions du peptide PADRE, épitope artificiel présenté par la classe II qui est depuis longtemps utilisé dans les essais de vaccination anti-cancéreuse pour engendrer des réponses CD4+ auxilliaires susceptibles d’aider l’élaboration des réponses T CD8+ spécifiques d’antigène tumoral. Dans certaines versions, la séquence PADRE se poursuivait par une séquence peptidique de bcr-abl. L’adjuvant est du QS21. Du GM-CSF est administré localement avant de la vaccination. Les injections sont réalisées à des intervalles courts au départ : J1, J8, J15, J22, J36 et J64. Quatre cohortes de patients ont reçu des doses croissantes de peptide allant de 100 à 1000 microgr par injection intradermique. La tolérance a été bonne : aucun effet systémique chez 18 patients mais une réaction anaphylactoïde chez le 19ème, et des réactions d’hypersensibilité locales évidemment.
Des réponses immunitaires (ELISPOT) contre le peptide PADRE ont été induites chez les 19 patients, avec un pic de réponse entre J64 et J92. Concernant les réponses contre bcr-abl, respectivement 11/19 et 14/19 patients ont développé des réponses T mises en évidence par ELISPOT contre les séquences de 9 et 18 acides aminés de bcr-abl. Ces réponses ont été moins durables que celles dirigées contre PADRE. Concernant la maladie résiduelle, 14 patients étaient en réponse cytogénétique complète à l’inclusion et 13 ont eu une diminution de bcr-abl d’au moins 1 log.
Il est difficile de conclure qu’il s’agit d’un effet vaccinal, la maladie résiduelle pouvant diminuer au fil du temps sous imatinib seul. Du fait de la non durabilité des réponses T anti-bcr-abl à la fin de la première phase de l’essai, certains patients ont ensuite reçu des « boosts » ou rappels, espacés de 3 mois, dont l’efficacité n’a pas été durable.
Beaucoup de questions se posent encore : quel antigène utilisé
(bcr-abl ne serait pas immunodominant), quelle forme vaccinale ?
Seul un essai randomisé pourra montrer l’utilité éventuelle de la
vaccination. Ce qui est sûr, c’est que la vaccination doit
intervenir en maladie résiduelle faible. Et quid de l’imatinib,
dont l’effet sur le système immunitaire est réel, même s’il ne
s’agit pas d’un immunosuppresseur puissant ?
Dr Dephine Rea