Lipides : en finir avec la lipidophobie

Les pédiatres constatent depuis quelques années une augmentation de la défiance des parents vis-à-vis des lipides. Ces derniers représentent pourtant une source d’énergie essentielle pour l’enfant. Notamment, dès les premiers mois, les lipides du lait maternel jouent un rôle important dans le développement cérébral du nourrisson.

Le lait maternel, un exemple à suivre

Lors d’une intervention au cours du congrès de la SFP qui s’est tenu à Lille du 1er au 3 juin, le Dr Dominique Turck souligne la complémentarité physiologique existant entre les lipides du lait maternel et le nourrisson qui fait que la digestibilité et le coefficient d’absorption des graisses sont supérieurs à ceux du lait de vache. Cela tient à la présence dans le lait maternel d’une lipase dépendante des acides biliaires du nouveau-né. Activée dans le duodénum de ce dernier, elle favorise l’absorption intestinale des lipides (gain de 10 à 15 %). D’autre part, les triglycérides du lait maternel sont constitués à plus de 70 % par des palmitates en position sn-2, ce qui assure leur très grande solubilité et une meilleure digestibilité.

Le deuxième message que souhaite faire passer le Dr Turck est la grande variabilité des lipides contenus dans le lait maternel, permettant de dire que l’enfant nourri au sein « mange à la carte ». Les variations sont intra et interindividuelles. Elles se produisent en cours de tétée, la concentration en lipides pendant pouvant alors passer de 32 g/l au début à 56 g/l à la fin de celle-ci. La concentration en lipides varie aussi selon le délai entre deux tétées et selon l’âge de l’enfant, passant de 21 g/l dans le colostrum à 39 g/l dans le lait transitionnel, puis 40 g/l dans le lait mature.

Les lipides du lait maternel sont des triglycérides pour 98-99 %. Il s’agit d’acides gras saturés pour 35-40 %, dont l’acide palmitique qui compte pour 25 % des acides gras totaux, et des acides gras monoinsaturés pour 45-50 %, dont l’acide oléique pour 20-35 % des acides gras totaux. Les acides gras polyinsaturés à longue chaine représentent 15 % des triglycérides. Il s’agit de l’ARA (acide arachidonique) et du DHA (acide docosahexaénoïque). Les autres lipides sont les di et monoglycérides, acides gras libres, vitamines ADEK, les phospholipides, cholestérol et lipides complexes. Notons aussi que, dans le lait maternel, les lipides sont contenus dans des globules dont la structure est différente de celle des laits artificiels, et qui joueraient un rôle essentiel dans les caractères bénéfiques de l’allaitement au sein.

Le 3ème message concerne l’essentialité des lipides du lait maternel. L’acide arachidonique (ARA) et l’acide docosahexaénoïque (DHA) sont essentiels pour la croissance et la maturation cérébrale. Les lipides constituent 50 % du poids sec du cerveau, la moitié des acides gras sont sous forme de DHA/ARA. Le DHA provient essentiellement des apports alimentaires de la mère, l’ARA de ses réserves corporelles. Des travaux ont montré l’impact de la consommation de saumon pendant la grossesse, persistant pendant le mois suivant l’accouchement. Il n’a pas été démontré de bien-fondé d’une supplémentation en AGPI-LC (acides gras polyinsaturés à longue chaine) pour les femmes allaitantes. En revanche, la consommation de poisson a un effet bénéfique, d’où les recommandations de l’AFSSA de manger du poisson 2 fois par semaine, en évitant toutefois les poissons accumulateurs de PCB (anguille, carpe, silure) et en limitant la consommation de poissons prédateurs (espadon, requin, lamproie).

Pour finir, D. Turck rappelle que le lait maternel est un produit vivant.

Quelles graisses pour l’enfant ?

Les lipides sont source d’énergie, participent au développement et au fonctionnement du cerveau et à la régulation de l’inflammation, de l’immunité et de l’hémostase.

Le lait maternel apporte 45 % à 50 % de son énergie sous forme de lipides. Il est considéré comme la référence pour déterminer les besoins lipidiques du nourrisson. Avant l’âge de 6 mois, les lipides doivent constituer 50 à 55 % de l’apport énergétique total. Les besoins diminuent progressivement, pour atteindre 45 à 50 % à l’âge de 1-3 ans, puis 35-40 % à l’âge adulte.

Le Dr Pierre Poinsot rappelle les différentes classes de lipides. Les Acides Gras Saturés (AGS), synthétisables par les mammifères, sont abondamment apportés par l’alimentation et, selon l’ANSES, doivent constituer 12 % des apports énergétiques. L’acide palmitique, acide gras à chaine longue, est le plus abondant dans l’alimentation.

Parmi les Acides Gras Polyinsaturés (AGPI), certains sont non synthétisables par les mammifères et sont alors dits « essentiels » : l’acide linoléique (omega-6) et l’acide -linolénique (omega-3) sont les plus abondants dans l’alimentation, produits par les plantes photosynthétiques et sont présent aussi dans certaines huiles végétales. A partir de ces deux acides gras essentiels sont synthétisés des AGPI à longue chaîne, indispensables pour le développement des structures cérébrales et du système immunitaire de l’enfant. Il s’agit de l’acide arachidonique (ARA, omega-6), de l’acide eicosapentaénoïque (EPA, omega-3) et de l’acide docosahexaénoïque (DHA, omega-3). Seuls les produits d’origine animale apportent les AGPI-LC.

Jusqu’à 6 mois, pour l’enfant exclusivement allaité, le lait maternel assure les apports en lipides et sert de référence pour la composition des formules infantiles. Si le nourrisson reçoit une formule, celle-ci est enrichie en acides gras essentiels et les quantités ingérées suffisent à couvrir les besoins.

Au moment de la diversification, les poissons sont à privilégier pour les apports en AGPI-LC, mais les sources de lipides doivent être variées : beurre, crème (AGS), huiles végétales (AL, AAL), poissons (DHA, EPA, AGPI). Il est indispensable d’ajouter des matières grasses à chaque plat salé de l’enfant, sous forme de beurre, de crème ou d’huile (les huiles de colza et de noix sont les plus équilibrées en omega 3 et omega 6). En ce qui concerne plus spécifiquement les poissons et le risque théorique de contamination de ces derniers par les toxiques, il est recommandé de varier les espèces, d’éviter les espèces de fin de chaîne alimentaire et les espèces de rivière.

Pour terminer, P.Poinsot évoque les controverses écologiques concernant l’huile de palme, principale huile des formules infantiles et des industries de l’agro-alimentaire. Il note qu’un hectare de plantation fournit à lui seul en 1 an 4 tonnes d’huile de palme, soit 7 à 10 fois plus que ses concurrents directs que sont le soja, le colza et le tournesol.

Dr Roseline Péluchon

Références
Lipides : to eat or not to eat ?
Congrès des Sociétés de Pédiatrie – Lille – 1-3 juin 2022

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