L’imatinib mésylate est d’une efficacité sans précédent dans la leucémie myéloïde chronique (LMC) en phase chronique (PC). Cet inhibiteur de tyrosine kinase a en effet transformé cette hémopathie qui évoluait en quelques années vers la leucémie aiguë, en une pathologie, certes non éradiquée, mais sous contrôle. Dans l’essai clinique IRIS (International Randomized Study of Interferon versus STI571), la survie globale des patients après 6 ans de traitement par imatinib est de 88 %, et la survie sans progression vers les phases accélérées et blastiques de la maladie (PFS) est de 93 %. Mais, certains patients présentent des résistances primaires ou développent des résistances secondaires à l’imatinib et 14 % des sorties de l’essai IRIS sont motivés par ces résistances.
Les mécanismes de résistances à l’imatinib sont multiples, et si l’apparition de mutations dans le domaine kinase d’abl déstabilisant la liaison de la drogue à l’oncoprotéine paraissent être les plus fréquentes (peut être en partie parce qu’elles sont faciles à mettre en évidence en routine), d’autres facteurs contribuent à la résistance. Parmi ces facteurs, citons les amplifications/surexpressions de bcr-abl, l’activation de voies de signalisation indépendantes de bcr-abl et des phénomènes pharmacologiques tels les anomalies d’influx et d’efflux cellulaire de l’imatinib.
Deux grandes familles de transporteurs existent : la famille des protéines ABC (ATP Binding Cassette) dont MDR1 (ou P-gp, ABCB1) impliquées dans l’efflux, et celle des protéines SLC (Solute Carrier Family) impliquées dans l’influx. Le transport intracellulaire de l’imatinib dans la cellule normale ou leucémique est un processus actif qui nécessite l’intervention de hOCT-1 (SLC22A1) comme l’ont démontré des expériences de blocage de OCT-1 par des inhibiteurs tels le vérapamil ou l’amantadine in vitro. L’équipe de Richard Clark, grâce à la création de lignées cellulaires transfectées, a de plus démontré que l’entrée de l’imatinib dans la cellule était dépendante du niveau d’expression d’OCT-1. Quant à l’efflux de l’imatinib, il est sensible à l’action de MDR1, et MDR1 diminue la concentration intracellulaire d’imatinib. Cependant, la situation est peut être plus complexe qu’il n’y paraît puisque l’imatinib lui-même est capable d’inhiber l’action de certaines protéines ABC.
Ces résultats ont une importance en clinique. Plusieurs équipes ont récemment montré que lorsque l’activité/expression de OCT-1 sur les cellules leucémiques est faible au diagnostic, la probabilité de réponse à l’imatinib à 400 mg/j est diminuée. L’équipe de Richard Clark a analysé de manière rétrospective l’expression de MDR1 et d’OCT-1 au diagnostic, et au cours du traitement, chez 70 patients dont 40 en réponse cytogénétique majeure sous imatinib à 6 mois, et 30 non répondeurs. Ils ont montré que l’expression d’OCT1 au diagnostic était faible chez les non répondeurs et qu’elle n’augmentait pas sous imatinib chez les non répondeurs alors qu’elle augmentait chez les répondeurs.
Ces résultats très intéressants sont toutefois à interpréter avec précaution car l’expression d’OCT-1 a été étudiée sur des populations cellulaires non triées. L’expression de MDR1 augmente de manière modérée sous traitement par imatinib. Cette augmentation est extrêmement et significativement plus importante chez les patients en perte de réponse cytogénétique que chez les patients répondeurs stables. L’utilisation d’inhibiteurs de tyrosine kinase de 2ème génération chez les patients résistants tels le nilotinib et le dasatinib peut-elle répondre à ces problèmes d’influx/efflux ?
Le dasatinib peut également entrer dans la
cellule indépendamment d’OCT-1, mais la forte expression d’OCT-1
favorise l’entrée du dasatinib. Le dasatinib semble être très
sensible au phénomène d’hyperexpression de MDR1 in vitro.
Quant au nilotinib, il n’entre pas dans la
cellule via OCT-1 et sa diffusion intracellulaire pourrait être
passive car il s’agit d’une molécule très lipophile.
Les études d’influx/efflux des ITK-2G méritent plus amples
développements, mais en pratique, ces phénomènes ne sont
malheureusement pas facilement analysables et ne peuvent servir à
l’heure actuelle à la prise en charge quotidienne des patients.
Dr Delphine Rea