Merci pour cet orgueil

Paris, le samedi 6 septembre 2014 – Dans les tragédies grecques, on parle « d’hybris », la passion dévastatrice de l’orgueil. Les héros qui en sont frappés finissent tous par sombrer dans la honte. Ils n’ont souvent comme unique issue que la tentation de se cacher, de ne plus paraître aux yeux de ce monde auquel ils voulaient imposer leur démesure. Le docteur Christian Arribeau pourrait être un héros grec moderne. Avec cette pointe de ridicule (son nom fait irrésistiblement penser au nom des célèbres bonbons) qui est souvent la marque de la modernité et qui est une nouvelle illustration de la distance souvent prise par Olivier Kourilsky avec ses héros. Il n’est en effet pas totalement tendre le docteur Olivier Kourilsky ancien chef du service de néphrologie de l’hôpital d’Evry, avec ce praticien, personnage principal de son septième polar. Pourtant, le docteur Christian Arribeau pourrait être son miroir : médecin brillant, qui s’apprête à devenir professeur de néphrologie quand le roman s’ouvre. Mais l’orgueil, le septième péché qui donne son titre au livre, va sans doute le conduire à la perte : alors qu’il heurte mortellement un clochard en voiture, plutôt que de venir à son secours, il prend la fuite. Dès lors, l’univers bien construit du docteur Christian Arribeau va s’effondrer et une autre démesure va s’abattre sur lui : celle du chaos, broyant sa vie. Plutôt que de faire de ce SDF une énième victime anonyme, le lieutenant Igor Pougnisky va en effet mener l’enquête avec opiniâtreté, incité notamment par le récit inopiné (ou pas ?) d’un témoin soudainement apparu. Rebondissements et déchirures vont alors se succéder réduisant peu à peu à néant l’orgueil du docteur Christian Arribeau, tandis qu’Olivier Kourilsky parvient à faire d’un accident un thriller haletant.

Merci pour la ponction

Sans doute, Christian Arribeau n’était-il pas un interne ressemblant à Benjamin (interprété par Vincent Lacoste), le héros d’Hippocrate, film de Thomas Lilti qui retrace les premiers jours à l’hôpital d’un jeune homme venant de passer ses ENC. Benjamin est trop indolent pour être le double d’un Christian Arribeau. Pourtant, lui aussi ne manque pas d’orgueil. C’est sans doute cette passion qui l’a poussé à choisir le service de médecine interne dirigé par son père plutôt que de se fondre, anonyme, dans une autre unité. Et c’est l’orgueil encore qui l’incite avec bravache à pratiquer dès son premier jour une ponction lombaire. Mais très vite, échouant, il doit abandonner cet air légèrement supérieur pour laisser faire un autre interne, Abdel (Reda Kateb). Il faut dire que ce dernier a de l’expérience : dans son pays, il est déjà médecin en exercice. Le binôme est installé et les relations entre les deux hommes, passionnantes et complexes, qui se tendent un étrange miroir, vont nourrir le film. De même que le docteur Kourilsky a très probablement puisé dans son expérience pour composer le personnage du docteur Arribeau, Thomas Lilti connaît parfaitement les affres de l’internat, pour avoir lui aussi arpenté comme jeune médecin les couloirs des hôpitaux publics. Son film se caractérise donc par son authenticité mais aussi par les nombreux sujets abordés. On y voit par exemple une description contrastée de l’hôpital public : édifice tentant avec démesure d’imposer son autorité et qui s’effrite sous le poids des contraintes économiques. Les conditions des médecins étrangers constituent également l’un des plus importants messages du film : ils sont les chevilles ouvrières des hôpitaux la nuit, dans l’ombre et la honte, mais sont totalement oubliés et méprisés quand vient la blessure orgueilleuse du soleil. Mais l’œuvre se caractérise également par son humour, grâce notamment au génie comique de Vincent Lacoste. Une alchimie qui fait d’Hippocrate un moment attendu de cette rentrée cinématographique.

Merci pour ce moment

Si sans orgueil, on voulait faire dans la bluette, on pourrait observer qu’Abdel et Benjamin semblent être nés sous des « étoiles contraires » de la médecine. Les destins de Hazel Grace (Shailene Woodley) et Augustus (Ansel Elgort) sont également opposés. La jeune fille est atteinte d’un cancer incurable, tandis qu’Augustus est en rémission et promis à la vie. Pourtant, l’amour va naître entre ces adolescents donnant lieu à une romance sentimentale poignante, comme le cinéma américain les aime tant. Mais pas seulement. Le film se démarque des autres productions du genre grâce à la personnalité des deux héros, qui se tendent l’un à l’autre un miroir douloureux de ce qu’aurait pu être leur destin. L’orgueil face à la maladie, l’indispensable démesure pour réussir à braver le spectre de la mort caractérisent les deux personnages et permettent aux Etoiles contraires d’être autre chose qu’une comédie (car on rit) sentimentale à l’eau de rose.

Merci pour les silences

Les étoiles de Véronique et de ses parents semblent elles aussi « contraires ». Véronique entend parfaitement et ses parents sont sourds et muets. Voici cette enfant, à l’affut de tous les bruits du monde, plongée dans un étouffant monde du silence. Une traversée singulière que Véronique Poulain raconte dans « Les mots qu’on ne me dit pas ». Elle y évoque sans faux semblant et avec humour, elle aussi, les bruits inconscients que laissent échapper les sourds (mastication, flatulences et autres), elle raconte ces sous entendus qu’ils ne peuvent comprendre, elle souligne l’absence de pudeur face à la sexualité facilitée par la crudité de la langue des signes. Mais surtout, elle montre combien une enfant ainsi confrontée au handicap de ses parents se réfugie avec orgueil dans la crânerie et la moquerie pour ne pas céder à la honte de ne pas être comme les autres face à ces camarades. Hommage autant que cri de souffrance, le livre s’offre dans la démesure des mots qu’on ne dit pas.

Livres :
« Le septième péché », Olivier Kourilsky, éditions Glyphe, 204 pages, 15 euros
« Les mots qu’on ne me dit pas », Véronique Poulain, éditions Stock, 144 pages, 16,50 euros

Cinéma :
« Hippocrate », de Thomas Lilti, 3 septembre, 1h42
« Nos étoiles contraires », de Josh Boone, 20 août, 2h05

Aurélie Haroche

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Vos réactions (1)

  • PL

    Le 06 septembre 2014

    Le héros d'"Hippocrate" es interne et fait sa première PL ? "De mon temps" on apprenait à les faire dès l'externat !
    Dr A-C M

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