Modération sur la modération ?

Minneapolis, le samedi 26 avril 2014 – « L’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération ». Le message est désormais connu de tous et rares sont également ceux qui ignorent quelles sont les doses à ne pas dépasser pour ne pas contrarier le fameux objectif de modération. Il faut s’en tenir à trois verres pour les hommes et deux verres pour les femmes, des verres dont la contenance doit se limiter à 140 millilitres pour les breuvages dont la teneur en alcool ne dépasse pas 12 % et 120 millilitres quand ce taux atteint les 14 %. Ces dogmes bien ancrés sont aujourd’hui battus en brèche par le Docteur Kari Poikolainen, professeur de santé publique à l’Université d’Helsinki, directeur de recherche à la Fondation finlandaise des études sur l’alcool, ancien expert auprès de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et auteur récemment aux Etats-Unis d’un ouvrage intitulé « Perfect Drinking and Its Enemies ».

Une bouteille de vin par jour reste modérée !

Dans cet ouvrage, au sein duquel il passe en revue l’abondante littérature consacrée à ce sujet, le docteur Poikolainen considère les critères fixés actuellement comme non fondés scientifiquement. En s’intéressant uniquement au cas du vin (dont certains bienfaits pour la santé ont fait l’objet de multiples publications), le docteur Poikolainen va même jusqu’à affirmer qu’il ne serait pas néfaste de se laisser aller à consommer jusqu’à une bouteille (soit 750 ml) par jour, soit une quantité deux fois plus importante que ce qui est recommandé pour les hommes. Au-delà de ces chiffres qui n’ont pas manqué de faire bondir les associations de lutte contre l’alcoolisme, le docteur Poikolainen n’hésite pas à battre en brèche certains des préceptes défendus par ces organisations. Il affirme notamment que l’abstinence est plus dangereuse qu’une consommation modérée… mais que l’abstinence reste néanmoins préférable à une consommation excessive (sans doute faut-il comprendre au-delà d’un litre de vin par jour). Dans son portrait du « parfait buveur », il assure ainsi qu’il doit combattre quatre « ennemis : l’abstinence, l’alcoolisme, la mésinformation et les politiques myopes sur l’alcool ». Il fustige encore l’attitude des mouvements de lutte contre l’alcool qu’il considère trop dogmatiques. « Les effets nocifs de l’alcool sont souvent exagérés et ses bénéfices sont dénigrés ou niés », juge-t-il par exemple.

Abstinence de messages modérés

Les affirmations du docteur Poikolainen reprises dans le monde entier ont bien sûr été rudement attaquées par ceux là même qu’il dénigre. « Il avance des propos qui ne sont pas vérifiables. Au final, l’alcool peut être toxique et ses effets négatifs l’emportent sur ses effets positifs » observe par exemple Julia Manning de 2020 Health interrogée par le Daily Mail. En France, le spécialiste des addictions Michel Lejoyeux ne voit guère d’un très bon œil les nouveaux seuils proposés par le praticien finlandais. « La consommation d’une bouteille de vin par jour peut entraîner des troubles de la vigilance, des comportements violents, voire un coma éthylique » proclame-t-il dans un billet publié sur le site « Le plus » du Nouvel Observateur. Cependant, il concède que certaines des affirmations du docteur Poikolainen concernant les effets positifs de l’alcool (à faibles doses) ne doivent pas être rejetées. On touche néanmoins là un débat récurrent et difficile qui taraude depuis longtemps certains spécialistes de santé publique : n’est-il pas plus facile de transmettre un message tranché, faisant l’apologie de l’abstinence, afin d’être plus certainement entendu, plutôt que de tenter de diffuser des informations plus nuancées (et peut-être plus exactes) au risque qu’elles soient mal comprises et déformées ? Un débat d’autant plus difficile en ce qui concerne l’alcool que les études peuvent être contradictoires : certaines suggérant un effet néfaste de l’alcool quelle que soit la dose (en ce qui concerne par exemple les malformations fœtales ou certains cancers) et d’autres confirmant effectivement un effet protecteur (face notamment aux maladies cardiovasculaires). Enfin, le type d’alcool considéré pourrait également être important (bien que cela soit contesté). Autant de paramètres qui expliquent qu’entre nuancer et prévenir, certains ont eut tôt fait de choisir.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (1)

  • Il est souvent plus facile de n’être pas nuancé

    Le 26 avril 2014

    J’entends déjà les protestations de certains addictologues, sans modération (quel âge pour ce coma éthylique avec une bouteille de vin par jour, sans doute absorbé en une seule fois ?) sans parler des ligues dans lesquelles tant de bénévoles donnent de leur temps et des associations de victimes.
    Il est vrai qu’il est souvent plus facile de n’être pas nuancé, surtout dans ces sujets difficiles et polémiques, où de nombreux facteurs interviennent, où ce qui est vrai pour un système ou un organe ne l’est pas pour un autre, où les risques individuels et collectifs sont parfois mêlés, sans oublier les enjeux financiers qui opposent bénéfices et coûts.
    Pour la petite histoire, en Allemagne, lorsque quelqu’un éternue on lui dit : Gesundheit ! « À votre santé ! », et pour trinquer : Prost !, ou Prosit !, dérivé du latin « que cela soit bon, salutaire » c’est-à-dire… « À vos souhaits ! »

    Dr P Foulon

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