
Marrakech, le samedi 10 juin 2023 – Le millionnaire tétraplégique Philippe Pozzo di Borgo, dont le destin a inspiré le film Intouchables, est décédé le 1er juin dernier.
Éternel sourire en coin, chapeau immanquablement vissé sur la tête, costume impeccable, Philippe Pozzo di Borgo dégageait une certaine élégance que même son lourd fauteuil roulant ne lui enlevait pas. Celui que ses amis surnommaient « le promeneur immobile » ou « le Grand Tetra » est décédé le 1er juin dernier à Marrakech à 72 ans. Son destin tragique, dont il avait fait une force, grâce à sa « fragilité féconde », comme l’explique son ami Laurent de Cherisey, a inspiré le film « Intouchables », l’un des plus grands succès de l’histoire du cinéma français.
Né en 1951, issu d’une illustre famille de la noblesse corse ennemie des Bonaparte, Philippe Pozzo di Borgo a longtemps été l’un de ces riches hommes d’affaires ultra actifs jouissant de la vie sans limites. Directeur de la maison de vin de Champagne Pommery, sa vie d’insouciance va être brutalement brisée par deux drames coup sur coup. En 1993, il est victime d’un grave accident de parapente dans les Alpes, qui le laissera tétraplégique jusqu’à la fin de sa vie. Trois ans plus tard, il perd son épouse Béatrice, terrassée par un cancer. L’ancien golden-boy sombre dans une profonde dépression. « Je n’avais plus de passé, plus d’avenir, je n’étais qu’une douleur présente » racontera-t-il dans son autobiographie Le Second Souffle, parue en 2001.
Une amitié mondialement célèbre
La suite est désormais connue par des millions de spectateurs. C’est finalement une rencontre improbable qui lui permettra de sortir de sa dépression et de reprendre goût à la vie, celle d’Abdel Yasmin Sellou, qui sera son auxiliaire de vie pendant quinze ans. « Il a répondu à mon annonce pour continuer à toucher les Assedic, ensuite il s’est dit que l’hôtel particulier du 7ème arrondissement était un coffre-fort à dévaliser, en fait il est resté quinze ans » racontait l’aristocrate. « Il est insupportable, vaniteux, orgueilleux, brutal, inconstant, humain ; sans lui, je serais mort de décomposition, Abdel m’a soigné sans discontinuité comme si j’étais un nourrisson ».
La relation si particulière entre Philippe et Abdel fera l’objet d’un documentaire de Mireille Dumas en 2003, « A la vie, à la mort ». Les deux réalisateurs Olivier Nakache et Eric Toledano s’emparent ensuite de cette histoire pour réaliser en 2011 « Intouchables », dans lequel le personnage inspiré par Philippe Pozzo di Borgo est interprété par François Cluzet. Le succès est planétaire : 52 millions d’entrées dans le monde, dont plus de 19 millions en France et le César du meilleur acteur pour Omar Sy, qui interprète l’auxiliaire de vie fantasque. « En acceptant que l’on adapte son histoire dans Intouchables, il a changé notre vie et la vie de nombreuses personnes vulnérables et fragiles » ont réagi les deux réalisateurs à l’annonce de la mort de l’aristocrate. « Nous gardons l’image d’un homme courageux, digne, humble et combatif ».
Le dernier combat pour la vie
Mais l’infatigable tétraplégique aura eu une troisième vie après le succès d’Intouchables. Avec l’argent qu’il a gagné grâce au succès du film, l’aristocrate finance l’association Simon de Cyrène, dont le but est de créer des maisons partagées ou se côtoient handicapés et valides, afin de pouvoir y recréer le genre de rencontre qu’il a connu avec Abdel. « J’ose rêver que dans ce binôme d’Abdel et moi se trouve la solution à beaucoup de difficultés que connaissent notre société ». En dix ans, l’association Simon de Cyrène a créé 25 de ces maisons partagées. « J’en suis le parrain, c’est mon côté corse » s’amusait à commenter Philippe Pozzo di Borgo.
Fervent catholique, l’aristocrate consacrera les dernières années de sa vie à un combat politique, celui contre la légalisation de l’euthanasie. Parrain de l’association « Soulager mais pas tuer », il n’hésitait pas à mettre son expérience personnelle au service de cet engagement. « Après mon accident, quand je ne voyais pas de sens à cette vie de souffrance et d’immobilité, j’aurais exigé l’euthanasie si on me l’avait proposée, en toute liberté j’aurais cédé à la désespérance si je n’avais pas lu, dans le regard de mes soignants et de mes proches, un profond respect de ma vie, dans l’état lamentable dans lequel j’étais, leur considération fut la lumière qui m’a convaincu que ma propre dignité était intacte » expliquait-il pour justifier son combat.
Philippe Pozzo di Borgo s’est éteint à Marrakech, où il vivait avec sa seconde épouse Khadjia et ses deux filles adoptives. « C’est en découvrant la vulnérabilité qu’il avait trouvé le sens de sa vie, cela peut paraître stupéfiant mais c’est ainsi et c’est en cela qu’il est un grand témoin de notre temps » lui rend hommage son ami Tugdual Derville.
Nicolas Barbet