
Toronto, le samedi 30 janvier 2016 – La science est traversée de mythes tenaces. Des estimations reproduites d’études en d’études, d’articles en reportages, finissent par s’imposer comme des vérités établies et intangibles. Ainsi, depuis la fin des années 70, chacun assène doctement que le nombre de bactéries et autres microbes qui pullulent dans le corps humain surpassent nettement celui de nos cellules. Le ratio serait même de 10/1. Ce chiffre est issu d’une projection réalisée par le biologiste Thomas Luckey, qui s’était appuyé sur de fines extrapolations, mais qui ne songeait sans doute pas que ces dernières continueraient à être citées religieusement des décennies plus tard, comme l’observent Ron Milo et Ron Sender du Weizmann Institute of Science de Rehovot (Israël) et Shai Fuchs de l’Hôpital pour enfants malades de Toronto.
39 billions de bactéries
Pour ces trois chercheurs, les analyses menées en 1972 par Thomas Luckey n’étaient pas totalement suffisantes pour assurer la parfaite exactitude de ce ratio de 10/1. Aussi ont-ils entrepris un nouveau recensement de nos cellules et bactéries. Pour ce faire ils se sont basés sur les données les plus récentes présentes dans la littérature reposant sur des analyses ADN et l’imagerie par résonnance magnétique (afin notamment de calculer le volume des organes). Ce travail les conduit à avancer que nous abritons 30 billions de cellules et 39 billions de bactéries, ce qui conduit à un ratio très différent du célèbre 1/10.
Ben mon côlon !
Les chercheurs israéliens et canadien dont les conclusions ont été publiées sur le site bioRxiv (portail de prépublications scientifiques) et sont commentées sur le site de Nature considèrent qu’une grande part de la surestimation de Thomas Luckey concerne la capacité d’hébergement de notre système digestif. En se basant sur le nombre de bactéries dans un gramme de matière fécale, le microbiologiste jugeait que l’on recensait probablement 1014 de bactéries dans nos intestins. Cependant, Ron Milo et ses confrères corrigent aujourd’hui cette observation et notent que les bactéries sont en réalité principalement concentrées dans le côlon, qui ne peut, seul, assurer l’accueil d’un si grand nombre d’hôtes.
Il suffit de peu pour faire basculer le ratio !
Loin de chercher à minimiser le rôle que pourraient jouer ces bactéries (objets de tant d’attention aujourd’hui, autour notamment des fameuses propriétés du microbiote), les auteurs souhaitent surtout par leur démonstration appeler à éviter de répéter aveuglement certaines données non parfaitement vérifiées, surtout quand elles manquent de réactualisation. Le ratio bactéries/cellules est en effet loin de 10/1, d’autant plus qu’à chaque défécation il est probable qu’une relative égalité soit atteinte entre microbes et cellules au sein de notre corps, comme l’observent avec finesse les auteurs !
Aurélie Haroche