Oncologie gériatrique : une autre médecine…

Le nombre d’études qui abordent spécifiquement des patients gériatriques en oncologie est limité, de telle sorte qu’on ne sait pas toujours comment traiter ces patients de manière optimale. La plupart du temps, c’est en réduisant les doses que l’on tente de réduire les effets secondaires que tout le monde craint à cet âge, d’autant que plusieurs études proposent des schémas dose-dose ou en intensification de dose.

Comment utiliser au mieux ces données en gériatrie ?

Pour rappel, intensifier les doses correspond simplement à une augmentation de la quantité administrée par unité de temps, ce qui peut se faire soit en augmentant la quantité de produit, soit en accélérant l’intervalle entre deux injections, soit les deux. Mais les deux attitudes n’ont pas le même impact. La densification de dose a une autre définition : il s’agit d’administrer une drogue à la dose la plus effective durant le laps de temps le plus court sans augmenter la dose totale délivrée. Cette densification pourra se faire soit en augmentant la dose par injection (et donc en réduisant le nombre d’injections), soit en augmentant la durée des injections (et donc aussi la dose injectée par injection), soit en raccourcissant le délai entre deux injections. La dose totale administrée n’est donc pas modifiée, contrairement à ce qui se lasse dans les schémas d’intensification de dose. Cette dose densification est habituelle en cas de cancer du sein où elle a montré une efficacité supérieure au schéma classique dans la plupart des études, en particulier chez les patients à haut risque. Ce n’est cependant pas le cas dans le cancer de l’ovaire. Chez la personne âgée, une densification de dose pourra se justifier dans certains cas, contrairement à l’intensification de la dose (même s’il est très important de ne pas réduire l’intensité). La densification peut être obtenue en recourant aux facteurs de croissance (G-CSF) que trop peu de personnes âgées reçoivent effectivement. Ce G-CSF, faut-il le rappeler, permet de réduire nettement le risque de neutropénie fébrile et donc de mortalité.

Prévenir et prendre en charge les toxicités spécifiques ou non

Plusieurs toxicités sont spécifiques à l’âge. Elles sont d’autant plus redoutables que la pharmacocinétique et la pharmacodynamique des produits injectés change chez le patient âgé en cas de densification de dose. Certains tests simples, tels que le CRASH score ou le score CARG (Cancer Aging Research Group score) (1) permettent de prévoir le risque de toxicité et devraient être utilisés systématiquement lorsqu’on envisage une chimiothérapie chez les personnes âgées. Ces tests incluent une évaluation fonctionnelle des patients, de leurs comorbidités, le risque de chute, la présence d’une dépression, l’évaluation de la cognition et l’état nutritionnel.

Plus le score CARG est élevé, plus la fréquence des toxicités augmente (elle passe de 37 % aux scores les plus bas à 70 % pour les scores les plus élevés).

Quoi qu’il en soit, la cardiotoxicité est l’une des principales toxicités rencontrées en oncologie gériatrique, notamment parce que l’incidence des coronaropathies, des valvulopathies et des insuffisances cardiaques augmente avec l’âge. Il est donc important le cas échéant de prolonger la durée de l’infusion pour en minimiser l’impact et d’utiliser les anthracyclines liposomales lorsque cette classe est nécessaire. En cas de dysfonction cardiaque, la prescription d’un IEC (ou d’un sartan) et/ou d’un bêtabloquant est recommandée avant une chimiothérapie cardiotoxique.

La cognition est un autre domaine qui mérite l’attention car toute perte de cognition entraîne une perte d’adhérence (parfois vers l’excès), adhérence qui sera vérifiée par tous les moyens utilisables, y compris électroniques. Le MMAS-8 est un outil utile pour dépister ces problèmes cognitifs.

Par ailleurs, il n’est pas rare de rencontrer des extravasations chez les patients âgés, les plus fréquentes se rencontrant avec les alcaloïdes de la vincamine et les anthracyclines, liées notamment à la fragilité des veines. Le site de canulation est donc important à déterminer avant traitement, l’avant-bras étant le site le plus favorable.

Une attention toute particulière y sera attribuée en cas de troubles cognitifs car, du fait d’une perte de sensibilité, ces patients ne ressentent pas toujours les effets de l’extravasation.

Il en est de même pour les nausées et les vomissements qui entraînent des troubles nutritionnels parfois majeurs et qui se traitent de la même manière que dans la population générale. L’ASCO conseille cependant d’y ajouter l’olanzapine à la dose de 10mg.

Enfin, s’il faut être attentif aux polymédications et ne pas hésiter à arrêter certains traitements moins utiles dans l’aigu (les statines par exemple), il faut garder à l’œil la fonction rénale, altérée par le perte de glomérules qui conduit à une réduction de la perfusion et de la capacité de concentration. La créatininémie n’est pas un bon indice de cette fonction car la masse musculaire est fortement réduite chez la personne âgée. On lui préférera l’estimation aMDRD. L’hydratation sera surveillée de près et le choix des traitements oncologiques sera effectué en fonction de leur (absence de) néphrotoxicité.

Enfin, la neurotoxicité, du fait du risque de chutes, de maladresses dans les gestes de tous les jours sera débusquée avec attention.

En résumé

La personne âgée n’est pas une personne chez laquelle il faut, « sans réfléchir », réduire les doses de chimiothérapie, concluent les experts. La décision sera prise au cas par cas en fonction du risque et en privilégiant toujours les traitements curatifs aux traitements palliatifs.

Dr Dominique-Jean Bouilliez

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