Opprobre sur octobre rose

Paris, le samedi 17 octobre 2015 – Jusque ici, tout était rose. Ou presque. La tour Eiffel, les bouteilles de shampoing, les couvertures des magazines. C’était pour les responsables sanitaires, les organisateurs du dépistage organisé du cancer du sein, les directeurs marketing de très nombreuses entreprises et une foule de gens influents (ou pas) dans les médias auprès de la gent féminine un moment de communion. Un moment où l’on pressentait que l’on participait ensemble à une belle œuvre de communication pour le bien des femmes. De quoi voir la vie en rose, vraiment. Mais tout s’est détraqué, et il s’en faudrait de peu pour que dans les années à venir les responsables sanitaires et autres directeurs marketing se sentent tout chose en voyant octobre venir. Car désormais, octobre n’est plus seulement le mois dédié à la promotion du dépistage organisé du cancer du sein, mais apparaît une période de plus en plus consacrée à la controverse, à la remise en cause, à la dénonciation.

Marisol Touraine, soudainement la reine de la concertation

La critique, facilement, se concentre d’abord sur le déluge de rose. Sur son blog, au nom explicite Fuck my cancer, Manuela Wyler, atteinte depuis 2013 d’un cancer du sein, parle de « pinkwashing ». « Cafés, thés et déodorants sont vendus avec un ruban rose » énumère-t-elle, décrivant plus loin : « La Tour Eiffel a été maquillée en rose, tout le monde a applaudi: oh c’est beau, ça brille. Elles ont tapé des mains, trépigné et bu un coup. Le cancer est rose, chic chic. Normal c’est octobre rose » et constatant : « Opacité des recettes (…), des ventes et des dons pour certains, bonne conscience pour tous ». Mais ce ton grinçant n’est pas uniquement destiné à dénoncer cette avalanche irréfléchie de messages répétés à l’envi, sur tous les supports existants. Il sert également une critique des autorités sanitaires. Manuela Wyler épingle ainsi notamment cette année la volonté affichée de concertation du ministère de la Santé et de l’Institut national du cancer (InCA) qui ont lancé un site destiné à recueillir l’avis de tous sur le dépistage organisé du cancer du sein. « Les femmes et les professionnels sont invités à s'exprimer et on peut d’ores et déjà y lire des contributions très variées (…). De tout ce gloubiboulga, la ministre de la Santé nous promet qu’elle tiendra compte dans une possible révision des politiques de dépistage. Marisol Touraine veut recueillir notre avis ? Permettez-moi d’en douter, c’est la même ministre qui fait passer en force une loi santé dont aucun professionnel ne veut et qui impactera durablement la qualité des soins et la prise en charge des malades, malades du cancer inclus. Le site Concertation et dépistage est porté par l’Institut national du cancer et correspond pile poil à l’objectif n°14 du Plan cancer 2014-2019, à croire que l’article 14 a été écrit par eux et pour eux. Le financement est donc fléché. Quand aux résultats de la concertation, je prédis – telle la Madame Irma cancéreuse que je suis, qu’on attendra... qu'on laissera passer les élections de 2017, qu'on oubliera et que dans le fond, rien ne changera. Avec un peu de malchance je ne serai plus là pour le voir » ironise-t-elle glaçante.

Magma médiatique d’octobre rose

Derrière cette démonstration, est clairement dénoncée la façon dont les autorités sanitaires méprisent le libre arbitre des femmes, leur aptitude à la réflexion. Sur son blog, le médecin Sylvain Fèvre (qui s’était déjà exprimé sur le sujet à plusieurs reprises) propose également un post très second degré sur le sujet. Il met en scène un médecin amoureux d’une belle femme de quarante ans qu’il presse depuis deux ans de réaliser sans tarder son dépistage du cancer du sein (se projetant dans un pays où « on a beaucoup de chance » car il n’est pas obligatoire « d’attendre l’âge de cinquante ans pour être délivré »). La compagne imaginaire finit par se plier à ses recommandations et le résultat est heureusement négatif. Mais « Tout a basculé.  L’examen de dépistage s’est pourtant révélé normal. On aurait pu profiter de ce bonheur partagé pour les deux années à venir, mais non, Madame en a décidé autrement. Elle m’a volé dans les plumes comme personne ne l’avait jamais fait, moi qui ne souhaitais que son bien. Ses phrases assassines résonnent encore : "Imagine que l’on m’ait trouvé une anomalie, imagine l’angoisse, là tout est beau tout est rose mais imagine un peu s’il avait fallu me biopsier, voire pire que ça ! M’amputer, pour rien peut-être ! Jamais tu ne m’as parlé des risques, du sur-diagnostic, des sur-traitements. Pour toi je ne suis qu’une blondasse écervelée, tu crois que je ne comprends rien, (…). Que tu m’informes, que tu m’accompagnes OK, mais que tu choisisses à ma place, je dis NON ! ". Avoue que c’est incompréhensible d’encourager sa copine à se faire dépister le plus tôt possible et finir par se le faire reprocher. Les femmes… Je te jure. Pour tenter d’y voir plus clair, je lui ai discrètement subtilisé sa tablette pour analyser l’historique de son navigateur. Je suis donc allé sur son Gougueule et j’ai commencé à comprendre. Madame est allée s’informer sur le net et bingo, tu sais mieux que moi ce qu’on y trouve sur le net, des choses pas toujours très nettes. Il y avait par exemple de vieux billets bas-been questionnant l’intérêt de la mammographie de dépistage en population générale dès 40 ans comme ici et . Il y avait d’autres blogs sur le sujet du dépistage organisé dont les auteurs sont médecins comme ici et là aussi. Il y en avait une liste bien fournie. Évidemment dès que tu es médecin, ça te rend hyper-crédible mais méfie-toi, les toubibs qui écrivent ce genre de trucs sont des anarchistes de la médecine, même parfois des terroristes médicaux.  Le pire, c’est que j’ai même découvert des sites sur le sujet tenus par des non-médecins, voire des patientes. Comme si ces personnes avaient le recul nécessaire et les connaissances suffisantes pour s’exprimer, franchement on aura tout vu. C’est tellement affligeant que ça me fait mourir de rire. Finalement elle a raison ma copine, ce n’est qu’une blondasse de nénette écervelée absolument pas armée pour différencier le vrai du faux sur le net » ironise-t-il, avant d’inciter les femmes à « obtenir des informations vraisemblablement plus objectives contrebalançant le magma médiatique d’Octobre Rose afin que ton choix se fasse avec un peu plus de clarté. Je te conseille donc vivement la lecture de ce site cancer-rose.fr et plus particulièrement de sa brochure d’information. Tu auras ainsi la chance d’être mieux armée pour décider ou non de te faire dépister ».

Comment faire pour changer la couleur d’octobre ?

Ce site cancer-rose.fr proposé par seize médecins généralistes, anatomophathologistes et radiologues revient notamment sur l’ensemble de la littérature publiée ces dernières années qui évoque clairement les limites du dépistage organisé du cancer du sein. Ces arguments scientifiques sont également largement repris par Manuela Wyler qui s’insurge entre autres des retards pris en France quant à l’utilisation des tests génétiques. « Des tests prédictifs permettent de déterminer les risques de récidive à dix ans chez certaines patientes atteintes d'un cancer du sein et aussi la pertinence ou non d'une chimiothérapie. Or aucun de ces tests n’est recommandé par l’Institut national du cancer qui s’accroche au DPO (dépistage précoce organisée), en attendant que les tests "aient fait leur preuve" » regrette-t-elle notamment. L’ensemble des éléments scientifiques est également une nouvelle fois exposé par le médecin auteur du blog Docteur du 16 qui s’interroge en outre sur les moyens de faire entendre ces messages aux patientes. « Comment agir pour passer d'un système qui ne marche pas à un système qui permet de reprendre la main et qui permet  d'entraîner moins de dégâts collatéraux. (…) Une de mes patientes me disait (elle se reconnaîtra) : "Comment vous croire alors que tout le monde dit le contraire ?". Mais cette transition et ce virage à 180 degrés sont-ils encore possible avec une machine industrielle lancée dont la force d'inertie est considérable ? Comment s'y prendre ? Comment gagner la confiance des citoyennes ? Comment faire pour qu'elles s'approprient le refus du dépistage organisé ? Comment faire pour que les tenants de ce dépistage ne perdent pas la face et admettent qu'ils se sont trompés ou que les données de la science ont changé ? » s’interroge-t-il promettant de répondre prochainement à ces différentes questions.

Avec le rêve un jour, de ne plus voir octobre en rose.

Pour découvrir ces différentes réflexions, vous pouvez vous rendre, sur le blog de
Manuela Wyler : http://fuckmycancer.fr/
Sylvain Lefèvre : http://sylvainfevre.blogspot.fr/2015/10/quelle-chance.html
Et Docteur du 16 : http://docteurdu16.blogspot.fr/2015/10/desorganiser-le-depistage-organise-du.html.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (7)

  • Hypocrisie des temps modernes

    Le 17 octobre 2015

    De tout cœur avec vous Manuela Wyler ! Quelle minable attitude de "se donner bonne conscience" ! On peut retourner à ses petites affaires du jour, faire du shopping, du maquillage, etc., en se disant que la BA est accomplie...l'hypocrisie des temps modernes.

    Dr Carmen Tamas

  • Vive décembre vert

    Le 17 octobre 2015

    Vive le novembre bleu qui favorise le dépistage du cancer de la prostate... Et le décembre vert pour diagnostiquer le cancer qui ronge les médias.

    Dr Gérard Marchand

  • Mon expérience de plus de 2000 cancers du sein

    Le 17 octobre 2015

    Octobre rose est un mouvement international d'origine américaine dont le but est d'informer les femmes sur l'intérêt du dépistage. Tout à fait d'accord avec le risque d'utiliser le cancer du sein avec octobre rose à des fins mercantiles et inacceptables.
    Le dépistage mammographique a été critiqué par l'article de Gotskhe (expert de la Cochrane en 2012). Le Formindep a repris et diffusé ces travaux en 2013.
    Les travaux de Gotscke ont été critiqués car basés sur des données anciennes.
    Des experts internationaux du CIRC ont confirmé les bienfaits du dépistage mammographie en 2014.
    Le dépistage mammographique est pour le moment la meilleure technique disponible.
    Mon expérience de plus de 2000 cancers du sein opérés et analysés tous les dix ans confirme le bienfondé du dépistage avec une réduction significative de la taille tumorale (facteur pronostique majeur) .(http//seinslemanavenir.wordpress.com).
    Il ne faut pas confondre les vérités scientifiques et les articles de presse à sensation...

    Dr Jacques Salvat, ancien chef de service de Sénologie des Hôpitaux du Léman

  • Bravo !

    Le 17 octobre 2015

    Très contente de lire ce billet!

    Plein de références qui sont déjà les miennes, merci. Quand va-t-on accepter de mettre un peu de rationalité dans tout ça? Cesser de gaspiller de l'argent public dont on nous dit partout qu'on en manque? Et garder cet argent pour la recherche de nouveaux traitements pour celles/ceux qui en ont vraiment besoin?

    Courage à toutes celles qui luttent pour sauver leur vie, et pas seulement en octobre, quelle que soit sa couleur.

    B. Sellès

  • Octobre rose

    Le 17 octobre 2015

    Le principal c'est d'en parler et on en parle...

  • Dérive illichienne généralisée

    Le 19 octobre 2015

    Il est à mon avis inutile de s'acharner à un débat, car les dés sont d'ores et déjà "pipés", dans la mesure ou les faits scientifiques, qui sont, pour la plupart, évolutifs, se heurteront toujours à ce qui prétend être soustrait à tout examen, j'ai nommé la pensée magico religieuse (le masque de celle-ci est souvent l'hystérie).
    Les choses seraient beaucoup plus simples si:

    - Les magistrats (eh oui!) voulaient bien considérer que le patient majeur et (pour combien de temps encore)vacciné est totalement libre de disposer de son corps en toute responsabilité personnelle, et ne saurait se prévaloir a posteriori de sa propre con...rie contre le médecin (l'accusation de "non compassion" ou de "défaut d'humanité" ne recouvre bien souvent que les pulsions sadiques doloristes des accusateurs).

    - Les charlatans - pardon, les épidémiologistes- cessaient de faire prévaloir leur pseudo science, suspecte,"la quantification de l'ignorance", sur la difficile recherche de causalités
    - les métacharlatans prophétiques - de type Ivan illich- étaient définitivement conviés à rejoindre Nostradamus à la table de toutes les guignolades risibles (la mode actuelle est orientalo mystique à sémantique occidentale de type "quantique", "morphogènes"et Cie).

    - Et enfin, qu'il soit admis que ce sont les atomes, et non la toute puissance des idées, qui mènent la danse

    Dr YD





  • Prévention primaire du cancer du sein

    Le 26 octobre 2015

    Le dépistage du cancer du sein par la mammographie monopolise l’attention des médias, des femmes, et des pouvoirs publiques. Présentée comme une prévention dite secondaire de la maladie, cette stratégie n’a de prévention que le nom. La véritable prévention qui consiste à éviter l’apparition de la maladie est en revanche étonnamment négligée. Or, avec 50 000 nouveaux cancers du sein annuels et environ 10 000 décès, la prévention dite primaire de cette maladie devrait être une priorité. Ce qui est une évidence dans d’autres maladies comme les maladies cardio-vasculaires ou infectieuses ne semble pas l’être pour le cancer du sein. Pendant l’octobre rose, aucun article de presse n’a été consacré à cette prévention primaire.
    Pourtant la prévention primaire du cancer du sein est pleine de promesses. S’agissant d’une maladie hormonale dans plus de 80% des cas, une action sur les hormones est très rapidement et fortement efficace. A coté de la stratégie de prévention du cancer du sein par une pilule progestative, décrite dans mon livre, « L’enfer au féminin », il existe d’autres possibilités d’action.
    Savez vous que,
    Chez la femme ménopausée :
    - L’arrêt du traitement hormonal de ménopause au long cours pourrait réduire l’incidence du cancer du sein de 50% chez les femmes ménopausées. Et ceci dès 2 ans après l’arrêt du traitement (IARC 2008).
    - Revenir à un poids normal (IMC entre 15 et 25) pourrait réduire l’incidence du cancer du sein de 50% chez les femmes en surpoids ou obèses après un délai de 2 à 5 ans (Eliassen 2006).
    - Chez la femme buvant plus de 4 verres d’alcool par semaine, une réduction de 35 % du risque de cancer du sein pourrait être obtenue dans un délai de 5 à 10 ans (Smith Warner 1998).
    - Chez la femme dont l’activité physique est insuffisante, un exercice supérieur à 30 mn/jour pourrait réduire l’incidence du cancer du sein de 20% au bout de 10 à 20 ans (Bernstein 2005)
    Chez la femme avant la ménopause,
    - Maintenir un poids normal (IMC entre 15 et 25) pourrait réduire l’incidence du cancer du sein de 50% au bout de 10 à 30 ans (Eliassen 2006).
    - Ne pas boire d’alcool ou boire moins d’un verre par semaine permettrait une réduction de 35 % du risque de cancer du sein (Smith Warner 1998) au-delà de 10 à 20 ans.
    - Chez la femme dont l’activité physique est insuffisante, un exercice supérieur à 30 mn/jour pourrait réduire l’incidence du cancer du sein de 50% au bout de 10 à 30 ans (Eliassen 2006).

    Tous ces facteurs, qui pourraient sembler indépendants, ont en fait un dénominateur commun : l’imprégnation hormonale. En effet, à coté de la source ovarienne, il existe une autre source d’œstrogènes, la graisse, grâce à une enzyme (l’aromatase) transformant les hormones mâles en hormones femelles, dont l’alcool augmente l’activité.

    Ces mesures de prévention sont en fait peu réalistes. La façon la plus efficace de diminuer le risque de cancer du sein reste une action directe sur les œstrogènes.
    - Dans les pays anglo-saxons, est proposée une prévention par des « anti œstrogènes » (Tamoxifène) chez les femmes à risque élevé de cancer du sein. Une réduction du risque de 50% est obtenue après 5 ans de traitement (Fisher 1998).
    - En France, ces traitements ne sont pas autorisés. En revanche nous avons une pilule progestative dont l’action est similaire car elle abaisse fortement l’imprégnation hormonale. Une réduction du risque de 50% est obtenue après 5 ans de traitement (Plu Bureau, 1994) avec un progestatif à action similaire.Cette dernière méthode à l’énorme avantage d’être contraceptive et dénuée de risque de phlébite au contraire du tamoxifène.

    Dr Vignal

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